Société
Fukushima, 5 ans après

 

“Le 11 mars 2011, les secousses duraient et gagnaient en puissance”

Un ouvrier portant une combinaison protectrice terrasse la terre dans l’enceinte de la centrale gérée par Tokyo Electric Power Co's dans la préfecture de Fukushima
Un ouvrier portant une combinaison protectrice terrasse la terre dans l’enceinte de la centrale gérée par Tokyo Electric Power Co's dans la préfecture de Fukushima le 10 février 2016. (Crédit : TORU HANAI / POOL / AFP).
Damien Roger-Coquard a vécu cinq ans à Sendai (de 2008 à 2013), où il était le directeur de l’Alliance française locale. Sendai au nord-est de Tokyo est la plus grande ville de la région du Tōhoku, elle été touchée de plein fouet par les évènements de mars 2011.
Cinq ans après il revient sur cette catastrophe qui reste gravée dans sa mémoire. Interview.
Le 11 mars 2011 vous étiez au plus près de la catastrophe à Sendai, comment avez-vous vécu les évènements ? Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
J’ai vécu la catastrophe avec mon équipe administrative. Nous étions à l’Alliance française, en train de terminer les derniers préparatifs de la prochaine session de cours et d’un événement culturel qui devait se tenir le lendemain. Heureusement, il n’y avait aucune classe au moment du séisme. J’ai ressenti de la surprise face à la violence du tremblement de terre. J’en avais connu beaucoup, certains très puissants, c’est pourquoi je n’ai pas réagi tout de suite quand les secousses ont débuté. D’ordinaire (car cela arrive très souvent au Japon, et en particulier dans cette zone), elles disparaissent au bout de quelques secondes. Le 11 mars, ce fut le contraire, elles duraient et gagnaient en puissance. Quand les étagères ont commencé à se déplacer et à “vomir” les livres qui y étaient alignés, nous avons fui par l’escalier pour rejoindre le parc tout près, comme l’ont fait toutes les personnes travaillant dans le quartier.

Je n’ai pas eu peur, à ce moment comme à chaque étape de la catastrophe. Je n’ai pas cessé de tâcher de me concentrer sur les problèmes auxquels nous étions confrontés : il fallait trouver un toit suffisamment robuste, les répliques étant incessantes, trouver de l’eau potable (les premiers jours), trouver de la nourriture (les premières semaines), trouver de l’eau chaude pour se laver (les premiers mois)… En parallèle, je devais faire ce que je pouvais pour la communauté française et pour le futur de mon travail à l’Alliance française.

Quel a été votre rôle justement pour la communauté française de Sendai ?
Le Directeur de l’Alliance française de Sendai est également îlotier, c’est-à-dire qu’il assure le rôle de relais entre l’Ambassade de France et la communauté française locale pour les questions de sécurité. Cependant, il a fallu dès le 11 mars adapter mes prérogatives au contexte exceptionnel auquel nous faisions face : j’ai dû alors me mettre à la recherche des Français dont nous étions sans nouvelles, faire le tour des centres de refuges afin d’y laisser mes coordonnées, distribuer de l’eau potable (surtout les premiers jours) et des vivres.

Je tenais les services de l’Ambassade informés de la situation de nos compatriotes restés sur place et relayaient leurs demandes, et aussi leurs inquiétudes quant à l’évolution de la situation à Fukushima. En parallèle, je devais remettre sur pied l’Alliance française, dont l’intérieur avait été durement touché par les secousses.

Que vous disaient les français sur place ? Avez-vous vécu une rencontre qui vous a marqué ?
Le choc du tremblement de terre a vite cédé la place à l’angoisse vis-à-vis de la situation à Fukushima, pour tout le monde, quelque soit la nationalité. Je pense que ce fut une situation encore plus difficile pour les couples binationaux, au sein desquels les partenaires français ont souvent été face à un dilemme cornélien : d’un côté ils avaient extrêmement peur que la crise à Fukushima empire et voulaient donc rentrer en France, ce que leur demandait à corps et à cris leur famille française ; de l’autre, se posait la question du conjoint japonais, qui ne voulait pas partir et laisser sa propre famille. Il faut ajouter à l’équation les questions de travail, de logement, les enfants, l’urgence face au danger réel et potentiel (les conséquences d’une éventuelle montée continue de la température des réacteurs)… Ce fut une période particulièrement dure pour ces couples.

J’ai été fortement marqué par mes conversations avec certains de ces Français, qui m’exposaient leur situation et me demandaient de l’aide. Ils souhaitaient que je leur dise ce que je ferais à leur place… J’étais célibataire sans enfant à l’époque et j’avais choisi d’avoir peu de contacts avec ma famille (et de ne pas écouter leurs demandes…) afin de pouvoir me concentrer sur mon travail pendant cette crise. Difficile pour moi de me mettre à leur place ! Mais je sais que pour ceux qui m’ont parlé, cela leur a fait du bien : j’avais une position neutre mais connaissais les données de leur problème. En aucun cas, je ne portais de jugement sur le choix qu’ils s’apprêtaient à faire, quelque qu’il soit.

Savez-vous combien de français sont partis… ou restés à Sendai ?
Juste après la catastrophe, il y a eu temporairement beaucoup de retours en France comme de départs vers d’autres régions du Japon. Les quatre cinquièmes de nos compatriotes se sont éloignés de la région du Tôhoku. Les ressortissants des autres nationalité en ont fait de même, mais beaucoup de Japonais ont également préféré partir vers Tôkyô, le Kansai, ou parfois plus loin.

Il y a eu des retours définitifs en France, comme des déménagements vers d’autres régions à l’ouest du Japon. Certains sont partis très rapidement après la catastrophe, d’autres ont mis plusieurs mois voire plusieurs années, en fonction du degré de préparatifs. Il fut pour ces Français très difficile de quitter une région qu’ils aiment, dans laquelle ils vivaient depuis longtemps.

Qui sont ceux qui sont restés dans la région ?
Les profils de ceux qui sont restés sont très variés. Bien entendu, il y a des couples binationaux pour lesquels un éloignement de la zone était difficilement envisageable pour toutes les raisons qui font qu’il n’est pas simple, quelque soit la nationalité, de quitter le lieu où l’on réside : l’emploi occupé, la scolarité des enfants, la famille et les amis sur place, le fait d’être propriétaire de son logement, etc.

En ce qui concerne les étudiants français, il me semble que tous sont partis juste après la catastrophe. Une grosse partie d’entre eux sont revenus (les chercheurs en particulier), mais quelques uns n’y ont pas été autorisé par leur université.

 

Aujourd’hui Damien Roger-Coquard a quitté le Japon pour des raisons professionnelles et espère de nouveau vivre au Japon et en particulier à Sendai : ”C’est même quelque chose que je souhaite vivement !” nous a-t-il confié.
Propos recueillis par Audrey Ronfaut

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A propos de l'auteur
Audrey Ronfaut est journaliste radio free-lance notamment passionnée par l'Asie et tout particulièrement par le Japon. Elle a travaillé pour plusieurs rédactions en France (Ex AFP audio,Toulouse FM, Groupe Sporever etc). En 2014, elle a effectué le reportage "Osaka Kitchen" sur la cuisine japonaise publié sur Asialyst. Elle se rend tous les ans sur l'archipel depuis 2013 et aussi en Asie du sud-est.
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