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Entretien

"My Buddha is Punk" : Birmanie alternative

jeune musicien punk birman
Extrait du documentaire "My Buddha is Punk" d'Andreas Hartmann, avec Kyaw Kyaw, jeune musicien punk birman ici à la Shedagon Pagoda à Rangoun. (Crédit : Andreas Hartmann)
Dans une Birmanie qui se libère lentement du joug militaire, Kyaw Kyaw, ses cheveux en pic teint en bleu ou en blond, portant des bracelets à clous et un cuir à badges « Ramones », développe le mouvement punk à Rangoun tout en incitant les jeunes de son pays à renouer avec la philosophie de paix du Bouddha. « Pense par toi-même ! » Telle est donc la leçon de bouddhisme de ce jeune punk birman dans un documentaire qui illustre à travers son personnage insolite un pays en proie à ses déchirements identitaires et ses premiers pas vers une démocratie frémissante. Entretien avec le réalisateur Andreas Hartmann.

Entretien

Andreas Hartmann est allé à la rencontre de ce personnage hors du commun dans un documentaire saisissant de fraîcheur, d’humour et de justesse. Ce jeune réalisateur allemand s’est très tôt passionné pour la jeunesse dans une Asie en transition. Après un premier film remarqué, Jours de Pluie traitant de la mousson au Vietnam à travers le regard d’un enfant, il s’est intéressé à la situation birmane et a suivi pendant plusieurs mois un collectif de punk-rock de Rangoun, Common Street.

A travers la caméra d’Andreas, on plonge dans le monde rock’n’roll et politique de Kyaw Kyaw dont la personnalité irradie le film. Le jeune homme est convaincu que la société birmane doit et peut changer selon les principes de base du bouddhisme et du punk, qu’il réunit dans une même philosophie : le « do it yourself » à l’aube de la transition démocratique que connaît le pays. Andreas le suit, lui et son groupe, alors qu’il essaie, par petites doses, de convaincre d’autres jeunes de réfléchir à la nouvelle voie qui s’offre au pays : la démocratie, le changement, mais avant tout la liberté et la richesse de vivre ensemble.

My Buddha Is Punk est un film indépendant réalisé et produit par l’auteur. Il a été présenté cet hiver au 56e festival international du film documentaire des Popoli à Florence et sera diffusé au festival international du film documentaire à Bruxelles en mars 2016, puis au 13e festival du film ethnographique de Göttingen en mai, avant d’être disponible par VOD.

Le trailer de « My Buddha is Punk » est disponible ici. Suivez le film sur sa page Facebook et retrouvez le réalisateur Andreas Hartmann sur son site.

Le réalisateur allemand Andreas Hartmann.
Le réalisateur allemand Andreas Hartmann. (Crédit : Andrea Martens)
Andreas, vous avez principalement travaillé sur des pays asiatiques où vous vous êtes intéressé à la jeunesse. Pourquoi ces choix ?
J’ai étudié le cinéma à l’Université du Film de Babelsberg Konrad Wolf. Comme elle est basée dans l’ancienne Allemagne de l’Est, la faculté a gardé des contacts solides avec l’Université du théâtre et du cinéma de Hanoi, au Vietnam. En 2008 je m’y suis rendu dans le cadre de mes études pour participer à un atelier sur le documentaire et c’est ainsi que j’ai tourné Jours de Pluie qui traite d’un enfant et de sa famille, cherchant refuge pendant la pluie écrasante de la mousson. L’expérience m’a tellement plu que j’ai souhaité poursuivre mon travail en Asie.

Je me suis intéressé à la jeunesse car à travers elle on perçoit bien les mutations sociales, les phénomènes de quête de soi. My Buddha is Punk reprend ces thématiques, où je suis les pérégrinations d’un jeune punk dans la Birmanie en transition. On retrouve cette recherche de soi, ces questionnements existentiels aussi dans mon projet actuel, au Japon, Free man qui traite d’une jeune Japonaise en rupture avec la société traditionnelle de consommation et du travail, et qui choisit une vie de vagabond.

Comment avez vous découvert la Birmanie et sa scène punk ?
J’ai suivi de près l’actualité du Sud-Est asiatique suite à mon séjour au Vietnam, et donc aussi celle de la Birmanie qui venait, en 2010, de libérer Aung San Suu Kyi, assignée à résidence pendant 15 ans. Mon intérêt pour ce pays s’est accru à mesure que la transition vers la démocratie devenait plus concrète. Après 50 ans de dictature, les choses bougeaient enfin, cependant les violations des droits de l’homme persistaient, avec une guerre civile et la persécution de minorités. Je me suis demandé comme les jeunes envisageaient le futur de leur pays quand je suis tombé sur un article à propos de la scène punk locale qui m’a intrigué.
Comment avez vous rencontré Kyaw Kyaw ?
J’ai commencé mes recherches sur Internet et c’est ainsi que je l’ai contacté. Il était intéressé par mon projet de film sur la scène punk birmane et m’a accueilli. Je suis donc parti à Rangoun avec une bourse artistique : sur place j’ai été vraiment impressionné par sa personnalité ! Il essayait de développer la scène punk autant qu’il le pouvait tout en l’alliant à la pensée philosophique bouddhiste. C’est ainsi que j’ai décidé d’orienter le film autour de lui plutôt que sur la scène punk en elle-même.
Kyaw Kyaw ici en répétition avec son groupe de punk-rock Rebel Riot
Extrait du documentaire "My Buddha is Punk" d'Andreas Hartmann, avec Kyaw Kyaw ici en répétition avec son groupe de punk-rock Rebel Riot. (Crédit : Andreas Hartmann)
Combien de temps avez-vous passé sur place et comment communiquiez-vous ?
J’ai passé environ trois mois sur place et j’ai travaillé avec Kyaw Kyaw et ses amis pendant près de deux mois. C’était finalement très court et j’ai eu de la chance qu’il se passe énormément de choses. Je parlais trop peu la langue locale pour l’utiliser dans le travail donc on échangeait surtout en anglais. En filmant, je me suis reposé sur la communication non verbale en tentant de comprendre ce qui se passait à travers la caméra. Cela m’a permis aussi de me détacher des scènes, de mes attentes. J’ai réalisé à quel point le langage est moins important dans certaines situations où une autre profondeur apparaît.
Dans le film vous paraissez invisible, tout comme la caméra. Comment avez-vous réussi à vous immiscer aussi bien dans leur intimité tout en restant aussi « éloigné » ?
Je pense que c’est lié à ma méthodologie. Comme je ne parle pas la même langue, on a trouvé une sorte de langage commun, celui de la caméra. C’est vraiment devenu un outil à part entière et parfois les protagonistes parlaient plus librement car j’étais « le gars qui ne comprenait pas de toute façon ». Ils n’ont pas oublié la présence de la caméra mais l’ont acceptée et ont joué aussi avec, l’ont pris comme une ouverture vers le reste du monde. Je pense que cela a influencé leur discussion, les aspects plus dramatiques ou narratifs du film. Ce travail était pour moi fascinant même s’il m’a demandé un énorme investissement en terme de traduction. Mais j’aime aussi cette phase du processus. J’ai eu de la chance de filmer dans un contexte de transition politique, les gens se sentaient plus libres de s’exprimer, comme le fait Kyaw Kyaw, pour qui partager ses opinions en public faisait partie intégrante du processus de liberté.
Que faisaient Kyaw Kyaw et son groupe la plupart du temps ? Lui-même était-il proche d’un parti ou mouvement politique ? En ouverture du film, vous utilisez les images d’une manifestation à laquelle il participe…
Kyaw Kyaw était complètement impliqué dans le développement du mouvement punk et de son groupe. Il apprécie Aung San Suu Kyi pour son courage et sa force ainsi que sa détermination à changer le pays mais il n’est ni un fan ni un partisan. Selon lui, ce n’est pas suffisant de se reposer sur elle, chacun doit s’impliquer dans le changement. Pour promouvoir cette idée, il réalise énormément d’actions différentes. Je me souviens ainsi de la visite de Barack Obama à Rangoun, la première fois qu’un président des Etats-Unis au pouvoir visitait la Birmanie. Tout le monde était dehors dans la rue, afin de suivre l’arrivée du président américain dans la ville. Il devait rencontrer Aung San Suu Kyi et discuter avec des personnalités à l’université de Rangoun. Mais Kyaw Kyaw et ses amis n’étaient pas vraiment intéressés : il étaient occupés à terminer leur fanzine punk pour sa sortie, le premier du genre en Birmanie. Pour eux cet événement « historique » l’était bien plus que la visite d’Obama. De plus, ils n’étaient pas vraiment convaincu de son apport ; ils voyaient cela comme un échange de bon procédés, afin que les Etats-Unis soutiennent la Birmanie et bloquent l’économie chinoise, sans vraiment s’intéresser au peuple birman. La presse indépendante à l’époque exprimait la même opinion, soutenant que les droits de l’homme étaient toujours bafoués et que les conflits entre musulmans et bouddhistes étaient à leur apogée à ce moment-là.

Kyaw Kyaw et ses amis participent cependant à des manifestations. J’ai utilisé des images d’archives, comme celles de la « Révolution safran », lorsque des milliers de personnes, menées par des moines bouddhistes, ont protesté contre le régime militaire en 2007. C’est ce qui a inspiré Kyaw Kyaw pour la création de son groupe Rebel Riot. Puis en 2012, j’ai repris les images tournées par les punks eux-mêmes, lorsqu’ils manifestaient en septembre, pour le jour international de la paix, contre la guerre civile en territoire Kachin. Aujourd’hui ils continuent leur activisme en vendant des habits et accessoires punk DIY sur la route de Sule Pagoda, un point de rencontre pour les punks et aspirants punks de Rangoun. Après mon départ, ils ont inventé une version birmane du Food Not Bombs (voir le site de ce mouvement américain, NDLR) : grâce au recueil de dons, ils distribuent des repas qu’ils ont cuisiné ou des habits aux sans-abris de Rangoun, qui ne cessent d’augmenter avec l’inflation des prix du loyer dans la capitale économique du pays.

Extrait du documentaire "My Buddha is Punk" d'Andreas Hartmann
Extrait du documentaire "My Buddha is Punk" d'Andreas Hartmann. (Crédit : Andreas Hartmann)
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la scène punk ?
Le collectif autour de Kyaw Kyaw, « Common Street » fédère des punks locaux, des punks de rue et des skins, soit environ 30 personnes qui se retrouvent régulièrement. Mais bien sûr, la scène est plus importante. Selon Kyaw Kyaw, elle a pris forme dans les années 1990, quand un matelot birman revint au pays avec des CD de groupes de hardcore et de punk comme les Black Flag et les Dead Kennedys. Ko Nyan Lin, un ami de Kyaw Kyaw, commença à étudier le mouvement, et le diffusa à cette époque. Au début des années 2000, c’était encore underground. Maintenant la scène est plus ouverte et le collectif « Common Street » se retrouve fréquemment, dans la maison de Kyaw Kyaw par exemple. Dans le film, on suit aussi le jeune homme dans ses voyages à travers la Birmanie pour développer le mouvement.

Ils donnent encore peu de concerts car il faut beaucoup d’autorisations et certains membres de groupes ne peuvent pas s’offrir d’instrument, ils doivent les emprunter ou les louer. Quand je filmais, le groupe de Kyaw Kyaw avait été invité pour jouer à festival des droits de l’homme à Mandalay, mais l’organisateur ne pouvait pas leur fournir d’instruments et leur a proposé de jouer a capela ! Aujourd’hui ils tournent un peu plus, notamment en Indonésie, où la scène est vraiment importante.

Comment expliquez vous l’apparent paradoxe d’être à la fois bouddhiste et punk ?
Kyaw Kyaw m’a expliqué qu’il n’était pas intéressé par le bouddhisme en tant que religion. Pour lui, le bouddhisme est une voie, une philosophie de vie, tout comme l’est le punk. Les deux sont intrinsèquement connectés dans sa vie privée. Il se rend deux fois par semaine à la pagode la plus importante et la plus sacrée de Birmanie, la pagode Shwedagon à Rangoun, afin de méditer. Cela l’aide à organiser son quotidien et il dit utiliser la méditation pour être vraiment libre.

Selon Kyaw Kyaw, il existe deux types de libération : la libération physique et la libération matérielle. Pour lui, seule la seconde est réelle, car il s’agit d’une libération mentale. Il m’a expliqué avoir atteint la première dans le sens où il fait à peu près ce qu’il veut de sa vie. Maintenant, il cherche à atteindre la seconde grâce à la méditation. Il n’accepte cependant pas le ritualisme et les règles propres aux religions. C’est pourquoi il cite régulièrement cette phrase du Bouddha : « Ne croit pas à ce que dit ton père, ni à ce que dit ta mère, ne croit pas à ce que dit ton enseignant. Je suis le Bouddha et ne croit pas non plus à ce que je te dis. Pense par toi-même ! »

Propos recueillis par Clea Chakraverty

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A propos de l'auteur
Clea Chakraverty est une journaliste franco-indienne qui a vécu en Inde de 2006 à 2013. Elle a travaillé pour de nombreux titres tels que La Vie, Les Echos et Le Monde diplomatique ainsi que sur plusieurs documentaires télévisuels. En 2013, elle reçoit la bourse journaliste de la Fondation Lagardère. Elle travaille désormais pour le site The Conversation.