Avenir incertain en pays Karen
Sur les 4 à 5 millions de personnes qui composent cette minorité ethnique tibéto-birmane, 10 % vivent en Thaïlande et 90 % en Birmanie.
De 1948 à 2012, l’armée indépendantiste Karen a mené une guérilla incessante à la junte militaire birmane qui abandonna le pouvoir en 2011. Pendant plusieurs années, les offensives de l’armée régulière pour reprendre le contrôle de l’Etat Karen à l’Est du pays, bastion des indépendantistes du même nom, ont entrainé le déplacement massif de populations à l’intérieur du pays et en Thaïlande.
Contexte
1824 : Première guerre anglo-birmane. Pendant toute la période coloniale les karens intervinrent aux côtés des troupes britanniques
1954 : Création de l’état karen et d’une armée nationale. Constitution du KNU (Union nationale karen).
1984 : Offensive massive de l’armée birmane.10 000 réfugiés s’installent définitivement en Thaïlande.
1984-1994 : Offensives annuelles de l’armée birmane qui prend le contrôle de nouveaux territoires, construisit des routes d’accès et établit de nouvelles bases.
Janvier 1995 : l’armée birmane, aidée par le DKBA (branche bouddhiste et sécessionniste du KNU) attaque et envahit Manerplaw, capitale historique du KNU.
1997 : L’armée birmane occupe les derniers territoires sous contrôle karen.
2012 : Un cessez le feu est signé entre le KNU et le gouvernement birman
2014 : Les gouvernements thaï et birman ratifient un accord mettant en place le retour des réfugiés karens en Birmanie à partir de 2015.
Enfermés dehors
Depuis la prise de pouvoir par l’armée en Thaïlande, l’encadrement conjoint est renforcé. Mais pour les réfugiés, rien de neuf à déclarer. So Klou Kwé est l’un est le responsable de la zone 7 du camp de Mae Ra Moe qui a vu le jour le 20 mars 1995. Le 27 janvier de la même année, Manerplaw – capitale, forteresse et symbole du mouvement indépendantiste karen – était rasé par l’armée birmane aux prix de combats particulièrement meurtriers.
Le nombre des réfugiés augmente alors considérablement. Ils sont de plus en plus nombreux à venir peupler ce lieu immense, le long de la rivière Yuam. L’électricité fonctionne très épisodiquement et les conditions de vie, en dépit de l’aide humanitaire, sont très difficiles.
Le fronton d’une des nombreuses écoles est marqué de ce sceau : « l’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde ». Dans la touffeur de cette fin d’après midi, la fraicheur toute relative de la salle des professeurs est un havre de paix. C’est ici qu’après la classe, Roller vient corriger ses copies. Cet enseignant trentenaire est arrivé au camp en 1998.
Quand l’armée déboule chez lui, arme au poing pour chasser sa famille et ses habitants, il a 14 ans. Le village n’est plus que cendres lorsque lui et sa famille s’enfuient à travers la jungle, vers la Thaïlande.
Theo, le principal du collège vient de faire son entrée en courant dans la pièce et s’excuse, en nage et le souffle court. A 26 ans, son histoire est, peu ou prou, la même que celle de son collègue. Après avoir été expulsé de son village, la jungle devient le seul refuge. Mais un an sous la tente dans des conditions de vie atroces n’offre qu’une issue : les camps de réfugiés.
En 1995, il assiste à la création du camp. Là, on leur trouve une maison et la vie reprend son cours. Immuable quotidien. Impalpable emprisonnement. Ici, on vit des subsides des organismes internationaux. De moins en moins d’ailleurs. En 1995, 16 kg de riz étaient distribués mensuellement à chaque personne résidant dans le camp. En 2014, ils n’en reçoivent plus que 10 kg. Et puisqu’il est interdit de travailler ou cultiver la terre, les réfugiés ne mangent que deux fois par jour.
La vie en camp
Avec elles, une jeune femme, de 23 ans, Delilah, fille de Lay Baw. Son père est mort en 1999 alors qu’il était porteur pour l’armée birmane et approvisionnait le front. Après une décennie de ce travail usant, il était devenu, à 41 ans, « trop âgé » pour ce genre d’activité. Transporter sur son dos des dizaines de kilos de matériel qui serviront à tuer ses frères karens ne se vit pas impunément. En lui logeant une balle dans la tête, l’armée a définitivement soldé les comptes que cet homme avait avec le poids des ans et de sa conscience.
Après onze ans passés dans le village familial, la veuve et la petite fille partent pour le camp de Mae Ra Moe.
« La vie ici est terrible, témoigne Delilah dans un anglais excellent. Bien sûr, on a de quoi manger, on peut jouer au foot, acheter des chips ou du Coca. Et puis les Nation Unies, l’Union européenne, l’Australie aident comme ils le peuvent en construisant une école centrale, un hôpital et un semblant de route en dur… »
Voilà pourquoi Delilah veut partir, le plus vite possible, pour les Etats-Unis ou le Canada. Elle met donc tous ses espoirs dans le recensement de l’armée qui viendra dans quelques jours. Mais là encore, rien n’est sûr. La procédure peut prendre des mois parfois, des années souvent. Ici, on prend son mal en patience, et le mal est grand. La patience ne s’apprend pas. Elle s’attend.
Le rêve américain
Mais pas Roller. Il y a deux semaines, tous les membres de sa famille ont reçu leur billet pour les Etats-Unis. Seul Roller est resté. Par choix. « On a encore besoin de moi ici ».
Si l’IOM (international organization for migration) prend en charge les frais du billet d’avion, montant que les migrants devront rembourser plus tard. Theo, lui, est attiré par l’Australie « pour me former, être un meilleur professeur et retourner dans mon village pour éduquer les enfants et les adolescents. »
Car tous, ou presque, souhaitent pouvoir rentrer chez eux : dans l’état Karen. Quand on les interroge sur les probabilités d’y arriver un jour, les sourires se voilent un peu et les regards s’assombrissent. « Si nous avons des amis, des gens que notre condition révolte, nous nous sentons comme des animaux. On nous nourrit, certes, mais il faut, comme un chien ou un chat, aller chercher sa ration. On se déplace, le camp est gigantesque, mais c’est une cage naturelle. Nous ne savons quasiment rien de ce qu’il se passe à l’extérieur du camp. »
Un hypothétique retour
Euphémisme et diplomatie ne peuvent en effet cacher une situation très préoccupante. « Avec les nouveaux accords entre les gouvernements, j’ai peur que les niveaux d’assistance dans les camps ne puissent pas être maintenus », ajoute Theo.
En réalité, il est à craindre que le soutien des ONG se concentre de plus en plus sur le Sud-Est de la Birmanie, pour reloger les réfugiés. Mais la possibilité de la réduction de l’aide humanitaire entraînerait des risques en matière de protection des réfugiés économiquement très vulnérables. En effet, comment reloger et fournir du travail à 150 000 personnes à l’horizon 2015, alors que rien ne semble avoir été vraiment engagé de l’autre côté de la frontière ?
« Avant le cessez le feu de 2012, 70 camps militaires maillaient le district de Kawkareik, crucial pour l’armée birmane. Aujourd’hui, il y en a 81… C’est quand même très inquiétant pour la paix, non ? L’argent qui afflue de l’étranger, sert-il la Birmanie ou des intérêts économiques colossaux ? »
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