Société
Reportages d’Asie par Enfants du Mékong

 

Réforme de l’éducation en Birmanie : l’épreuve du temps

Lors d’une formation au Pyinya Sanyae Institut of Education à Rangoun en novembre 2014. (Copyright : Antoine Besson)
Alors que toute la communauté internationale applaudit la démocratisation de la Birmanie et ses réformes structurelles depuis 2011 et que les grandes marques font leur entrée sur le territoire national birman, la formation, notamment professionnelle, devient un enjeu stratégique que le pays peine à développer. L’échec de l’université d’État et l’absence de main-d’œuvre qualifiée sont les conséquences directes d’une politique hypercentralisée, méfiante vis-à-vis du pouvoir contestataire des intellectuels et qui peine à se réformer.
A voir, le reportage d’Enfants du Mékong réalisé par Antoine Besson à Rangoun :
Les rues de Rangoun sont pleines d’un tumulte citadin. Klaxons, embouteillages, taxis amorphes… La capitale économique de la Birmanie ressemble de plus en plus à toutes les grandes villes d’Asie du Sud-Est, animées par une agitation vaine et bruyante. Pourtant ici, la chose est nouvelle et surprend encore certains habitants. Il y a encore quelques années, avant l’ouverture démocratique du pays en 2011, les embouteillages de fin de journée n’existaient presque pas à Rangoun.
Depuis quatre ans, le pays connaît des changements radicaux. Sur le plan politique et économique bien sûr, conséquences directes de cette toute nouvelle respectabilité démocratique que les militaires de la junte ont acquis en troquant définitivement leurs uniformes contre des costumes de bonne facture. Il faut cependant voir les choses au-delà du simple niveau gouvernemental. Pour des millions de Birmans, l’ouverture du pays est une bonne nouvelle. Il amorce une dynamique de changement et fait renaître l’espoir. Des espoirs simples : celui de pouvoir étudier, voter pour choisir sa propre destinée nationale ou encore avoir un métier qui permette de subvenir aux besoins essentiels de sa famille.

Le temps de la réforme

Loin de la vision occidentale qui voit dans le changement en Birmanie un état de fait acquis plutôt que le long processus qui s’annonce et peine encore à s’amorcer, de nombreux Birmans se sentent investis d’une mission pour leur pays. Ils veulent se faire entendre et prendre part au changement, en dictant notamment leur vision du changement nécessaire. C’est le cas de ces milliers d’étudiants qui ont entamé une marche pacifique en janvier 2015 pour réclamer une vraie réforme de l’éducation après le vote en septembre 2014 d’une loi insuffisante selon leur point de vue.
« Le problème essentiel en matière d’éducation en Birmanie est que la majorité des professeurs n’est pas qualifiée », constate le père Noël, responsable des questions liées à l’éducation dans le diocèse de Rangoun. Un constat que rejoint le recteur de l’université de Dagon, le principal centre universitaire de la capitale économique, malgré un discours très politique : « La nouvelle loi sur l’éducation garantit aux universités une plus grande autonomie. Notre objectif est d’utiliser cette nouvelle autonomie pour envoyer davantage de nos étudiants mais surtout de nos professeurs dans des universités étrangères pour qu’ils puissent se former et transmettre le savoir acquis à l’étranger dans nos universités. »

Penser plutôt que mémoriser

Dans le public comme dans les secteurs privés (sous contrôle étroit de l’État qui refuse de laisser le contrôle des écoles aux religieux), le constat est le même : ce sont les qualifications qui manquent cruellement à la Birmanie. « Aujourd’hui, explique le père Noël, c’est la mémorisation qui est privilégiée au détriment de la pensée critique. Nous tentons de créer une école qui soit centrée sur l’élève et non plus sur le professeur ; mais c’est une réforme qui se fera sur le long terme. Peut-être dans dix ans commencerons-nous à en voir les fruits. » En matière d’éducation, le temps est un allié qui éprouve la patience.
De retour dans les rues de Rangoun où les centres d’apprentissage de l’anglais et les formations accélérées en informatique prolifèrent. Sept jeunes sur dix quittent la campagne pour trouver du travail en ville. Parmi eux, il y aura de nombreux échecs. Quelques élus cependant auront la chance d’accéder aux formations professionnelles traditionnelles. Le tourisme aujourd’hui profite principalement de cette tendance. Les secteurs de l’hôtellerie ou de la cuisine sont en plein essor. Dans les domaines de la mécanique ou de l’électricité, certains ont aussi la chance de profiter de l’installation de nouvelles entreprises à la recherche de qualifications précises. « Le CVT assure les débouchés de ses élèves en se voulant une passerelle entre le monde des entreprises en recherche de professionnels qualifiés et les jeunes en recherche de formation », explique l’un des professeurs. Installé dans l’immeuble historique de la Croix Rouge à Rangoun, le centre dispense les formations directement liées à la demande des entreprises.

Former les formateurs

Dans un quartier un peu à l’écart du centre-ville, une école propose une formation plus originale dédiée aux futurs professeurs. L’objectif de Jacinta, directrice du Pyinya Sanyae Institut of Education, est de faire en sorte de transformer ses étudiants en « ruisseaux de sagesse » (Pyinya signifie ruisseau et Sanyae sagesse en birman), en sorte qu’ils puissent transmettre leur savoir y compris dans les campagnes très reculées du pays où les ethnies sont souvent livrées à elles-mêmes et ont un accès très limité à l’école.
« Nous avons créé cet institut en 2007 pour améliorer le niveau d’anglais de nos futurs professeurs et les former sur des compétences particulières de méthodologie, psychologie, explique Jacinta. Et surtout pour les mettre à jours sur les matières qu’ils devront enseigner et dont ils ne maîtrisent pas toujours les fondamentaux comme par exemple la géographie. »
Autre innovation de cette formation, elle est destinée essentiellement à des professeurs qui partiront enseigner dans des pensions de jeunes écoliers pour donner des cours complémentaires à l’école publique en privilégiant des méthodes basées sur la créativité et la pensée critique. « Ici, nous faisons nos propres recherches. Cela passe par les livres, Internet, la musique et le théâtre pour permettre à chaque individu de développer ses talents singuliers. C’est très différent de ce que nous avons connu avant », témoigne la jeune Theresa, originaire de l’État Chin, qui souhaite se dédier à l’éducation des enfants pauvres après sa formation.
Aujourd’hui, les jeunes Birmans symbolisent les enjeux et les attentes d’un pays qui pourrait bien être à l’aube d’une nouvelle ère. Ses transformations, notamment le développement des formations et la réforme du système éducatif, n’en sont cependant qu’à leurs prémisses.
Grandir nécessite temps et patience. Déjà certains désillusionnés se manifestent. « Nous avons été trahis par tout le monde. Nous ne pouvons plus compter que sur nous-mêmes », me confie le taxi en me ramenant à l’aéroport.
Par Antoine Besson

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A propos de l'auteur
Enfants du Mékong, à travers le parrainage scolaire et social d’enfants pauvres et souffrants, mise sur l’éducation comme levier pour aider au développement des pays d’Asie du Sud-Est. Depuis plus de 58 ans, l’œuvre met en lien des parrains français et des enfants vietnamiens, khmers, laotiens, thais, birmans, chinois du Yunnan ou philippins. ONG de terrain, son expertise la conduit à prendre régulièrement la parole dans les médias pour témoigner des réalités sociales de l’Asie du Sud-Est. Pour en savoir plus, consultez le site.
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