Politique
Entretien

Corée du Nord : "La bombe est perçue comme une question de survie pour le régime"

La présentatrice de la télévision nationale nord coréenne
La présentatrice de la télévision nationale nord coréenne annonce le lancement avec succès d'une fusée pour mettre en orbite Kwangmyong 4, un satellite d'observation de la Terre. Pour les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud, ce test sert plutôt le programme balistique intercontinental de la Corée du Nord (Crédit : NORTH KOREAN TV / AFP).
Le 6 janvier 2016, le régime nord-coréen annonçait avoir testé une bombe à hydrogène. Si les caractéristiques de la bombe restent à confirmer, la nature de l’engin ne fait aucun doute. Il s’agissait bien d’un essai nucléaire. La déclaration a entraîné une avalanche de critiques, Etats-Unis et Japon en tête, et le Conseil de Sécurité a été immédiatement saisi. Réuni en urgence celui-ci a « condamné fermement » la position de Pyongyang et annonce la préparation d’un nouveau bouquet de sanctions contre le régime de Kim Jong-un. Il s’agit du quatrième essai nucléaire réalisé par la République démocratique de Corée.
Mais qu’en est-il de ce pays qui revient sur le devant de la scène internationale entraînant un nouveau bras de fer qui semble appartenir au passé ? Son leader, Kim Jong-un, ainsi que tout l’apparat militaire, alimentent souvent les caricatures sur internet. Et pourtant, avec sa course à l’armement nucléaire, le régime parvient à conserver sa place dans le concert des nations. Pour tenter de comprendre, Asialyst s’est adressé à l’un des spécialiste de la Corée du Nord : Glyn Ford, ancien eurodéputé qui a fait de nombreux voyages au nord du 38ème parallèle.

(Cet entretien publié aujourd’hui 18 février a été réalisé avant la fermeture de la Sez de Kaesong le 11 février 2016 suite aux déclarations du porte parole du gouvernement sud-coréen qui entendait priver Pyongyang des « millions de dollars qu’il prélève sur les salaires de ses ouvriers » afin d’empêcher que les investissements faits par le sud ne soient utilisés par la Corée du nord pour financer son programme nucléaire – voir notre revue de presse du jour Ndrl.)

Glyn Ford.
Glyn Ford. (Crédit : D.R.).

Contexte

Membre du parlement européen de 1984 à 2009, Glyn Ford est le fondateur et le directeur exécutif de POLINT, une agence de conseil en affaires publiques. Pendant son mandat à Bruxelles, il a été membre de la délégation japonaise ainsi que de la délégation chargée de la péninsule coréenne. Auteur de « North Korea on the Brink: Struggle for Survival » (Pluto Press, 2008), Glyn Ford se rend en moyenne deux fois par an en Corée du Nord, son dernier voyage remonte à septembre dernier.

Asialyst : Pouvez-vous nous décrire la situation en Corée du Nord après l’essai nucléaire et le tir balistique réussi de ces dernières semaines ?
Glyn Ford : Du point de vue des dirigeants à Pyongyang, il s’agit ici d’un plan tout ce qu’il y a de plus rationnel. Les Nord-coréens savent qu’ils ne peuvent pas compter seulement sur les armes conventionnelles en cas de conflit. Pour garantir la survie du régime, ils entendent se protéger de ce qui s’est passé, par exemple, en Lybie et en Syrie.
Selon Pyongyang, le problème de ces pays est qu’il ne disposaient pas d’armes de destruction massive qui auraient empêché – je simplifie énormément bien sûr – une intervention des Américains. Le régime nord-coréen sait qu’il ne gagnera pas avec des armes conventionnelles : les USA, le Japon et la Corée du Sud ont un budget de la défense qui dépasse d’au moins 50 fois le leur. Comme jusqu’à présent, la Corée du Nord a perdu toutes ses batailles, la seule solution de leur point de vue je répète, est de poursuivre le programme nucléaire. En plus, il faut rappeler que pour la plupart des pays du club atomique, il a fallu entre 6 et 8 essais avant de développer la bombe.
« Aux yeux des dirigeants nord-coréens, les réformes économiques sont liées à l’avancée du programme nucléaire »
Le deuxième problème est d’ordre économique. Les autorités nord-coréennes entendent réformer l’économie, mais pour cela elles ont besoin d’une force ouvrière conséquente. Or, contrairement à la Chine, les ressources humaines sont limitées en Corée du Nord. Si les usines nord-coréennes ont besoin de bras, c’est dans l’Armée populaire de Corée et ses 500 000 soldats qu’elles doivent puiser. Cela dit, il n’est pas question pour Pyongyang d’affaiblir l’armée.
Aux yeux des dirigeants nord-coréens, les réformes économiques sont donc liées à l’avancée du programme nucléaire. Ils ont besoin de l’arme atomique (pour maintenir le régime, ndlr). Pour l’instant ce problème de manque de main d’oeuvre n’est pas une priorité, mais cela pourrait le devenir. Ce problème de la main d’œuvre reste donc « en puissance » puisqu’ils n’en ont pas actuellement besoin car l’économie ne se développe pas rapidement. Mais s’ils devaient lui donner une impulsion, comme ce fut le cas de la Chine il y a vingt ans, alors ils auront besoin de main d’œuvre. Mais cela est difficile à réaliser à cause des sanctions et du manque d’investissements
Asialyst : En parlant d’économie, dans vos articles vous avez cité des « zones économiques spéciales » (SeZ). Sont-elles encore actives ?
G. F. : Oui, une première, appelée Kaesong, se trouve à la frontière avec la Corée du Sud. Celle-ci est pratiquement une zone déserte uniquement peuplée d’usines. Le modèle est le suivant : des ouvriers nord-coréens « mariés » à des machines sud-coréennes. On y trouve des usines de textiles et des usines qui sous-traitent des pièces pour les voitures, des accessoires électroniques, etc… Il y a 87 usines qui emploient 53 000 personnes. L’objectif est d’employer 250 000 personnes dans une deuxième phase et 450 000 dans une troisième phase.
Il existe également une autre zone économique spéciale qui s’appelle RASON (Rajin-sonbong) et qui se trouve vers la frontière sino-russe. Il s’agit d’une zone qui fait la surface de Singapour, dont l’accès est protégé par des barbelés. Elle est composée majoritairement d’investissements chinois.
Asialyst : Quelles sont les ressources dont dispose le régime ?
G.F. : Toute réforme économique demande des capitaux et des infrastructures. Or, la Corée du Nord n’est pas auto suffisante en matières premières, et dans le contexte des sanctions internationales, personne ne veut lui avancer les fonds nécessaires aux investissements. C’est une impasse Pour se permettre d’entreprendre des réformes économiques, les maîtres de Pyongyang pensent devoir au préalable se munir de l’arme nucléaire, de manière à dissuader toute intervention étrangère. Mais en agissant ainsi, ils bloquent les réformes économiques car les sanctions internationales s’alourdissent. Ils ne savent plus quoi faire. Ils savent qu’ils ont besoin de réformer l’économie du pays mais, ils ne souhaitent pas se retrouver exposé. Regardez les Libyens. Ils ont renoncé à leurs ambitions nucléaires et des années plus tard le régime de Kadhafi a été renversé par les Européens et les Américains. C’est pareil pour l’Irak et pour la Syrie, du moins c’est ainsi que l’interprète le régime nord-coréen.
Asialyst : Quel avenir pour la Corée du Nord ? Comment le pays peut-il continuer à vivre de la même façon qu’il l’a fait dans le passé ?
G.F. : La Corée du Nord aimerait être dans la situation du Vietnam ou de la Chine par exemple. Le régime est focalisé sur sa survie. Si nous regardons une liste des pays communistes ou des anciens pays communistes dans le monde, ceux dont le régime a survécu avec succès, nous y trouvons la Chine et le Vietnam. La Corée du Nord tend vers ces modèles : l’ouverture économique s’accompagne d’un verrouillage sur le plan politique. Selon moi, la Corée du Nord veut vraiment ressembler au Vietnam, mais la situation actuelle rend cela impossible. Le Vietnam bénéficie d’investisseurs étrangers alors que personne ne va investir en Corée du Nord.
Asialyst : Avez–vous remarqué une évolution dans la manière de gouverner entre Kim Jong Il et son fils, Kim Jong Un ? On dit que Kim junior a mis en avant le Parti, alors que son Père avait pour doctrine « l’armée d’abord ». Le premier Congrès du Parti des travailleurs en 36 ans aura lieu en mai 2016…
G.F. : Non, il n’y a pas eu de grand changement. Je pense que Kim Jong Il allait dans cette direction même si maintenant il est devenu évident que Kim Jong Un est, si l’on peut dire, plus « modernisateur ». N’oublions pas qu’il a été formé en Suisse, il a été plus confronté au monde « extérieur » que son père.
Asialyst : Il faut dire que le pays affiche encore des grosses différences entre sa réalité rurale et citadine…
G.F. : En gros, le pays se compose de trois-quatre parties. Pyongyang est un ilot : c’est ici que les personnes « qui comptent » vivent. À Pyongyang, tout est accessible. Par exemple, vous pouvez aller dans un parc aquatique, au cinéma, à des concerts, déjeuner dans des pizzerias ou dormir dans une station de ski. D’ailleurs, la nature de cette station de ski (fallait-il la considérer ou pas comme un « produit de luxe » et donc sujet à l’embargo en cours) a donné lieu à des polémiques (au niveau international, ndlr).
Mais tout cela peut changer. Les sanctions vers le régime vont être rediscutées aux Nations Unis début février. Suite aux tests nucléaires, le conseil des Nations Unies compte adopter de nouvelles résolutions.
Propos recueillis par Veronica Maiella

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A propos de l'auteur
Veronica Maiella est journaliste. D’abord spécialisée dans les sujets culture et voyage, elle travaille pour le groupe Condé Nast italien (Vanity Fair, Style) ainsi que pour le groupe RCS (Corriere della Sera). Elle porte un intérêt tout particulier à l’Asie orientale. Elle a effectué de nombreux séjours en Asie du Sud-Est (Thaïlande, Laos, Birmanie, Cambodge et Malaisie).