Culture
Entretien

Spéciale Vesoul : un festival pour tous les cinémas d’Asie

Mère et fille dans le film "Being good" du réalisateur japonais O Mipo
Mère et fille dans le film Being Good du réalisateur japonais O Mipo, prix de la critique et multirécompensé au 22e Festival international des cinémas d'Asie de Vesoul, du 3 au 10 février 2016. (Crédit : DR)
La 22eme édition du festival international des cinémas d’Asie (FICA) de Vesoul a eu lieu du 3 au 10 février dernier. Asialyst revient durant toute la semaine sur le doyen des festivals de cinéma asiatique européens et l’un des quatre principaux festivals soutenus par le CNC (centre national du cinéma). Le Festival de Vesoul a attiré plus de 30 000 spectateurs de tous âges dans une ville dont l’agglomération en compte 32 000.
Le cru 2016 était composé de plus de 80 films – fictions et documentaires – venus de la Grande Asie géographique qui va de la Turquie au Japon.
Ses fondateurs, Martine et Jean- Marc Therouanne, toujours aux manettes, présentent avec Bastian Meiresonne, un de leurs proches collaborateurs, la 22eme édition de ce festival qu’ils ont délibérément choisi d’installer à Vesoul dont Martine est originaire.
Martine et Jean-Marc Therouanne, les fondateurs du Festival international des cinémas d'Asie de Vesoul.
Martine et Jean-Marc Therouanne, les fondateurs du Festival international des cinémas d'Asie de Vesoul. (Crédit : DR)
Le réalisateur français Bastian Meiresonne
Le réalisateur français Bastian Meiresonne, proche collaborateur du Festival international des cinémas d'Asie de Vesoul. (Crédit : DR)
Pouvez-vous présenter cette nouvelle édition ? Qu’est ce qui change et qu’est-ce qui reste semblable ?
Martine Therouanne (MT) : Il y a toujours les sections compétitives des longs métrages de fiction – 9 films sélectionnés sur 750 visionnés – et cinéma documentaire (voir plus bas le Palmarès). Cette année, nous avons une section de 16 films sur la Corée sous le thème « littérature et cinéma » et une section sur les grands maîtres du cinéma thaïlandais. Nous avons aussi rendu hommage à un grand réalisateur israélien Eran Riklis et avons consacré une section à l’interpénétration entre Orient et Occident, un thème éternel mais qui s’impose naturellement devant l’évolution du monde. On y présente des films réalisés par des Occidentaux sur l’Asie comme Dogora, un poème filmique de Patrice Leconte sur le Cambodge, à partir d’une musique d’Etienne Perruchon; ou des films de réalisateurs asiatiques qui ont tourné en Occident, ou bien avec des acteurs occidentaux comme Vengeance de Johnnie To qui met en scène Johnny Halliday.
Sur la Corée, pourquoi avoir choisi le thème « littérature et cinéma » ?
Bastian Meiresonne (BM) : Nous avions déjà fait un focus sur la Corée du Sud en 2011. Pour l’année de la Corée en France nous avons choisi un focus sur l’adaptation littéraire qui est un véritable sous-genre dans le cinéma, en balayant le plus large possible de 1949 à nos jours. La littérature coréenne est extrêmement riche, diversifiée, suivie. Mais en France, on la connaît encore mal malgré de nombreuses traductions. Je tiens à souligner que c’est avant tout pour des raisons commerciales que dans tous les pays asiatiques alors que le cinéma est considéré avant tout comme un divertissement fait pour gagner de l’argent, on a recours à des adaptations littéraires. Au Japon, 99% de ce qui est produit sont des adaptations. Nous avons cherché à répondre à tous les publics pour écarter les reproches de montrer des films un peu « plombant », qui éloignaient les jeunes. Par exemple, nous avons intégré un film d’horreur tout public issu du folklore coréen et My sassy girl, l’adaptation d’un roman publié d’abord sur un blog et qui a plu à des millions de jeunes Coréens. Ce film existe en DVD en France.
Et la Thaïlande ?
BM : Il s’agit d’un défrichage pour satisfaire les plus grands fans de cinéma asiatique. La sélection dont j’avais la charge repose sur une étude de terrain approfondie depuis de nombreuses années. Aucun des titres n’a été distribué en France à l’exception des Larmes du tigre noir. Certains n’ont jamais été rediffusés depuis 40 ans et j’ai même retrouvé une copie disparue depuis vingt ans. Pour cela, j’ai un peu joué l’Indiana Jones de la bobine perdue allant jusqu’à traiter avec la mafia thaïlandaise. Certaines copies très dégradées ont été restaurées grâce au soutien des Thaïs.
Au-delà de cette édition, quels sont les objectifs de votre festival et comment ont-ils évolué ?
MT : Vesoul s’intéresse à la fois aux films les plus récents qui, pour entrer dans la compétition, doivent être en première française et au patrimoine. Nous sommes des défricheurs, pas forcément de jeunes pousses comme dans la compétition, mais de pans entier de cinéma auxquels personne ne s’est vraiment intéressé.
Comment préparez-vous vos festivals ?
MT : Pour les séries thématiques, Jean-Marc est une encyclopédie vivante. Non seulement, il connaît les films qu’il souhaiterait montrer mais il sait où les trouver. Nous nous déplaçons beaucoup dans les festivals, y compris en Asie pour visionner les films que nous essayons de voir en salle avec le public.
Y a-t-il de plus en plus de festivals de cinéma en Asie ?
MT : Malheureusement, les Asiatiques regardent plutôt des films américains. C’est déjà très bien quand ils vont au cinéma comme en Corée où les salles sont remplies. Mais c’est un cas unique. Quant aux festivals, tout est fragile. Certains naissent d’autres disparaissent.
Comment voyez-vous l’avenir de Vesoul ?
Jean-Marc Therouanne (JMT) : La 23e édition aura lieu du 7 au 14 février 2017. On réfléchit sur plusieurs thématiques : la ruralité, le temps, le fait d’être minoritaire. Ce n’est pas encore décidé. On aimerait aller aussi vers des cinématographies très riches à redécouvrir. Je pense à la Géorgie. Comme nous couvrons toute l’Asie géographique et non pas politique, les pays du Caucase en font partie. Nous aimerions aussi rendre hommage à un très grand acteur japonais Asano Tadanobu qui a tourné avec le plus grands réalisateurs nippons comme Kore-eda, mais aussi avec des réalisateurs thaïlandais comme Pen-ek Ratanaruang, taïwanais comme Hou Hsiao-hsien, voire américains comme Martin Scorsese. Ce serait l’occasion de mettre en lumière cette internationalisation de la carrière d’un acteur japonais, un des plus grands actuellement.

Quand on regarde le programme du festival, on voit beaucoup de diversité et en même temps on voit un cinéma assez lourd avec beaucoup d’incommunication. Ce sont des histoires assez dures d’enfants battus, de gens qui vont mourir, sur un rythme lent, la mise en évidence de difficultés relationnelles même si, a contrario dans Being good, l’instituteur propose aux enfants de faire à leur famille un gros câlin pour trouver une solution à un manque de communication.

Vous qui êtes un connaisseur du cinéma asiatique pouvez-vous expliquer, nuancer ce constat?
JMT : Il faut nuancer. Le cinéma qui est montré dans les festivals est avant tout du cinéma d’auteur qui exprime son regard sur le monde, ses convictions. A force de rencontrer les peuples asiatiques, si j’observe en effet que souvent dans leur éducation il ne faut pas montrer ses sentiments, je suis surpris aussi de leur chaleur et de leur expansivité quand, d’un seul coup, cette barrière éducative tombe. Je me souviendrai toujours de la rétrospective de Kiju Yoshida qui incarne une figure du samouraï dans le cinéma japonais. Nous lui avions consacré une rétrospective en 2001, ce qui l’a aidé à trouver les fonds pour son film Femmes en miroir. Quand finalement le film a été présenté à Cannes, et qu’il nous y a vus, sa figure impénétrable a volé en éclat et il nous a pris dans ses bras avec une émotion incroyable.

Une des particularités de votre festival justement, est que les réalisateurs et acteurs asiatiques se déplacent pour ce festival même s’il est assez loin des centres habituels de la France.

Comment réussissez-vous à établir ce carnet d’adresse ?
JMT : J’ai 22 ans de travail derrière mois. Je me déplace beaucoup en Asie et en France. J’ai été parisien pendant une quinzaine d’années avant de tomber amoureux d’une femme vésulienne exceptionnelle. J’ai toujours pensé que comme la Terre était ronde, le centre du monde était partout. On peut faire tout partout à condition de le vouloir au-delà de la normale évidemment.
Avez-vous vu augmenter la place du cinéma asiatique en France depuis 22 ans ?
JMT : Non, il représente toujours à peu près 2% du box office. Il faut comprendre que le cinéma asiatique qu’on montre en Europe ne peut être que du cinéma d’auteur parce que le cinéma commercial est du cinéma formaté pour séduire les masses.
Vous pensez que ce qui amuse les Chinois par exemple ne passe pas bien en Europe ?
JMT : L’humour est ce qu’il y a de plus spécifique dans une culture. Si on voit plus de drames, c’est qu’il est plus facile de faire pleurer que rire.
Vous présentez tous les genres dans votre festival : du court métrage, des documentaires, une symphonie poétique, du polar, de l’animation…
JMT : Il faut à chaque fois élargir notre base. On a commencé avec un public d’enseignants et de professions médicales. Mais au fil du temps en élargissant les genres, on a agrandi notre public à toutes les classes sociales et les classes d’âge. Le jury jeune que nous avions conçu comme une école du regard comprend aujourd’hui 53 jeunes qui jugent de la compétition documentaire. Là encore, c’est le résultat d’un travail de 22 ans, le temps d’une génération et on peut dire que ce jury jeune est une génération cinéma d’Asie. Dans le festival, il y a un volet pédagogique, même si on le fait sans le dire pour ne pas raser.
Propos recueillis par Anne Garrigue
Scène du film "Tharlo" de Pema Tseden
Scène du film Tharlo de Pema Tseden (Chine), Cyclo d'or au 22e Festival international des cinémas d'Asie de Vesoul, du 3 au 10 février 2016. (Crédit : DR)

Le palmarès du festival international du cinéma asiatique de Vesoul

CYCLO D’OR D’HONNEUR :
MM. IM Sang-soo (Corée du Sud) et Eran Riklis (Israël) pour l’ensemble de leurs œuvres

CYCLO D’OR :
Tharlo de Pema Tseden (Chine) pour le portrait d’une vie triviale, solitaire, sans rien et pourtant, d’une certaine façon, une belle vie.

GRAND PRIX DU JURY INTERNATIONAL :
Wednesday, May 9 de Vahid Jalilvand (Iran) pour le portrait étonnant d’un individu défiant les normes sociales issues des croyances traditionnelles et familiales.

PRIX DU JURY INTERNATIONAL :
Under construction de Rubaiyat Hossain (Bangladesh).

PRIX DU JURY NETPAC (NETWORK FOR THE PROMOTION OF ASIAN CINEMA) :
ex-aequo
Invisible de Lawrence Fajardo (Philippines) pour sa belle structure narrative, culminant dans une tragédie finale qui imprime le message du film avec une force extraordinaire.

Wednesday, May 9 de Vahid Jalilvand (Iran) pour sa parfaite écriture et exécution technique. Le film incite au débat, soulève des questions et donne de l’espoir aux spectateurs, comme il en place dans le nouveau cinéma iranien.

PRIX DE LA CRITIQUE :
Being good d’O Mipo (Japon) pour son regard poignant et d’une grande acuité sur la société contemporaine vue à travers un jeune enseignant.

MENTION SPECIALE PRIX DE LA CRITIQUE :
Under construction de Rubaiyat Hossain (Bangladesh) pour une représentation riche et émouvante du rôle de la femme dans une capitale en pleine mutation.

Walnut Tree de Yerlan Nurmukhambetov (Kazakhstan) pour un portrait vivant et drôle d’une communauté rurale.

PRIX EMILE GUIMET :
Under construction de Rubaiyat Hossain (Bangladesh). Un film téméraire au cœur d’une société qui ne favorise pas les femmes et qui évoque aussi les questions politiques et sociales.

PRIX INALCO (INSTITUT DES LANGUES ET CIVILISATINS ORIENTALES) :
Tharlo de Pema Tseden (Chine), pour son originalité, ses qualités cinématographiques, son traitement délicat de la question et de la définition de l’identité à travers son personnage principal.

COUP DE COEUR INALCO:
Being good d’O Mipo (Japon), pour son esprit de générosité et ses valeurs de transmission aux générations futures.

PRIX DU PUBLIC DU FILM DE FICTION :
Being good d’O Mipo (Japon).

PRIX DU JURY LYCEENS :
Being good d’O Mipo (Japon).

PRIX DU PUBLIC DU FILM DOCUMENTAIRE :
De Hiroshima à Fukushima de Marc Petitjean (Japon / France).

PRIX DU JURY JEUNES :
Tashi & the Monk d’Andrew Hinton & Johnny Burke (Inde).

Reprise des films primés à l’auditorium du Musée des Arts Asiatiques Guimet de Paris le 1er avril 2016 et à l’auditorium de l’Inalco (Octobre 2016).

Le 23ème FICA – Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul aura lieu du 07 février au 14 février 2017.

Renseignements :
FICA – Festival international des Cinémas d’Asie, 25, rue du docteur Doillon 70 000 VESOUL France
Tel. : + 33 (0)3 84 76 55 82- Fax : + 33 (0)3 84 96 01 43
e-mail: [email protected] – site web : cinemas-asie.com – contact presse : 06 84 84 87 46

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A propos de l'auteur
Ecrivain-journaliste résidant à Paris depuis 2014, Anne Garrigue a vécu et travaillé près de vingt ans en Asie de l’Est et du Sud-Est (Japon, Corée du Sud, Chine et Singapour). Elle a publié une dizaine d’ouvrages dont Japonaises, la révolution douce (Philippe Picquier), Japon, la fin d’une économie (Gallimard, Folio) , L’Asie en nous (Philippe Picquier), Chine, au pays des marchands lettrés (Philippe Picquier), 50 ans, 50 entrepreneurs français en Chine (Pearson) , Les nouveaux éclaireurs de la Chine : hybridité culturelle et globalisation ( Manitoba/Les Belles Lettres). Elle a dirigé les magazines « Corée-affaires », puis « Connexions », publiés par les Chambres de commerce française en Corée et en Chine.