Société
Témoin - Pérégrinations chez les Tang

 

La médecine chinoise vue de l'intérieur (½) : tradition et innovation

Un médecin traditionnel chinois prépare un traitement à base de plantes dans un hôpital de Baotou, la capitale de la province de Mongolie Intèrieure.
Un médecin traditionnel chinois prépare un traitement à base de plantes dans un hôpital de Baotou, la capitale de la province de Mongolie Intèrieure. (Crédit : STR / AFP).

J’ai eu le plaisir de rencontrer dernièrement Max, un Français qui termine ses études en médecine chinoise. Après m’avoir donné les premières clefs de compréhension de cette médecine plusieurs fois millénaire, il a bien voulu m’accorder un peu plus de temps pour approfondir certains aspects. Entretien.
Philippe de Gonzague (PG) : Avant de commencer l’étude de la médecine chinoise, comment percevais-tu celle-ci ? Et maintenant, comment la définirais-tu avec le recul ?
Max (M) : Premièrement, je ne savais pas que la médecine traditionnelle chinoise existait encore et qu’il était toujours possible de l’apprendre. Pour moi, elle avait un côté très ésotérique et était reliée à des pratiques ancestrales oubliées. Quand j’ai su qu’on pouvait encore l’apprendre j’ai été très curieux et après la première conférence que j’ai suivi je suis tout de suite tombé sous le charme et j’ai su qu’elle pourrait répondre à mes questions ou confirmer mes propres intuitions.

Avec du recul, le côté ésotérique s’est effacé pour laisser la place à un système complexe et global permettant de comprendre les mécanismes de notre corps ainsi que l’arrivée et le développement de la maladie. Et le tout en prenant en compte notre environnement.
En médecine chinoise il faut toujours garder à l’esprit les « 3 causes », soit “San Yin : Yin Ren, Yin Di, Yin Shi” (三因 : 因人 因地 因时). C’est pour cela que le traitement variera en fonction de la personne, du lieu et de la saison.

La médecine chinoise est pratiquée depuis environ 3000 ans, puisqu’elle a été décrite et codifiée dans le Huangdi Neijing (黄帝内经) souvent décrit comme le texte fondateur de cette médecine, entre 200 avant J.C. et 200 après J.C.

La force de cette médecine réside donc dans son incroyable continuité avec l’enregistrement méticuleux des pratiques et les commentaires des textes classiques fondateurs ; et cela depuis bientôt 2000 ans. On possède donc aujourd’hui une imposante bibliographie avec les œuvres et recueils des différents médecins qui ont contribué à la croissance et au développement de cette médecine.

On l’aperçoit, c’est donc une médecine très pragmatique où la théorie doit toujours être vérifiée par l’application clinique. Il y a eu de nombreux courants de pensée – dont certains présentaient des théories séduisantes – mais qui ont été entièrement abandonnés au fil du temps, l’effet thérapeutique n’ayant pu être constaté.

PG : On parle souvent de la « médecine chinoise » en opposition avec la médecine « moderne » occidentale, mais selon toi, y a-t-il une « médecine traditionnelle occidentale » ? Et si oui, quels en seraient les principaux éléments ?
M : Pour être honnête, cette question évoque en moi 2 choses.

La première est en lien direct avec ce qui se pratique encore de nos jours et que l’on appelle “les médecines douces” – la médecine chinoise n’est pas vraiment une médecine « douce », ceux qui ont déjà eu l’occasion de faire un massage de pieds ou une séance de massage tuina [推拿] peuvent témoigner – tel que les herboristes, les magnétiseurs…
Je pense que nos ancêtres, habitants à des milliers de kilomètres les uns des autres, avaient finalement découvert des choses assez similaires sur notre corps, son fonctionnement et sur la façon dont on peut se soigner. Ainsi, et nous en parlions la dernière fois, la pratique des ventouses était encore d’actualité à l’époque de nos parents.

La deuxième fait référence à Hippocrate qui est aujourd’hui encore considéré comme le père de la médecine moderne. On trouve ainsi des choses très intéressantes et même surprenantes en lisant sa Théorie des humeurs qui montre que ces théories étaient très proches de celles des indiens ou des chinois.

PG : Comment en es-tu venu à la médecine chinoise au regard de ton background antérieur (l’architecture)?
M : Je m’intéressais depuis quelques temps à la réflexologie plantaire, et en lisant quelques ouvrages j’ai trouvé des références à la médecine chinoise. Au fil de mes lectures je me suis de plus en plus intéressé au massage chinois et au qi gong (气功).

Finalement, un jour, en faisant des recherches pour trouver un club de qi gong près de chez moi j’ai vu que certaines associations ou écoles privées proposaient un enseignement en médecine chinoise. J’ai alors participé à une conférence organisée par l’une d’entre elles et je suis tout de suite tombé sous le charme. J’ai su qu’elle pourrait répondre à mes questions ou confirmer mes propres intuitions.

PG : Comment cette médecine chinoise est-elle enseignée aux étrangers, et quelles sont les différences les plus flagrantes par rapport aux « chinois apprenant la médecine chinoise » ?
M : Il existe en Chine plusieurs façon d’apprendre la médecine chinoise.

On fait tout d’abord la distinction entre les enseignements de courte durée et les cursus universitaires débouchant sur un diplôme. Dans les cursus universitaires, on a la possibilité de suivre les enseignements en anglais ou en chinois.

Personnellement, j’ai opté pour le cursus universitaire en chinois car je voulais baigner dans la langue et plus tard pouvoir lire les textes classiques par moi-même. Dans ces conditions, il n’y a pas vraiment de différences d’enseignement avec les étudiants chinois si ce n’est que les professeurs sont un peu moins exigeants avec nous. En effet, ils ne nous font pas réciter des parties du livre en début de cours et on a parfois quelques indications sur les questions.

PG : Quelle est l’importance et l’influence des différentes écoles de médecine chinoise ? Quelles sont les éventuelles particularités de celle que tu étudies actuellement ?
M : Certaines écoles sont reconnues pour avoir un très bon niveau dans certains domaines : Canton pour la gynécologie, Nanjing (Nankin) pour l’acupuncture, Beijing (Pékin) ou Chengdu pour les plantes…

Il existe également un classement des écoles en fonction de la qualité des enseignants et des conditions offertes aux étudiants pour leurs études.

Pour ma part, j’ai étudié à Wuhan (武汉) dans la province du Hubei (湖北) dans une école classée parmi les 10 ou 12 meilleures. Les cours dispensés étaient de qualité variables allant de très bon à très mauvais. Mais en comparant avec des amis suivant le même cursus dans d’autres universités j’ai constaté que c’était la même chose pour eux.

Pour autant, à Wuhan, j’ai apprécié le fait d’avoir beaucoup de liberté et de soutien de la part du bureau d’administration des étudiants étrangers. Fort de ce soutien, j’ai eu la chance de pouvoir représenter mon école dans une compétition nationale d’acupuncture et de massage tuina ; chose qui aurait sûrement été impossible dans une autre école.

Finalement, l’une des chose les plus importante reste le travail personnel qui ne manque pas dans cette discipline mais également les rencontres et relations que l’on va pouvoir tisser avec les professeurs et les médecins.

Suite et fin de notre entretien le mois prochain.

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A propos de l'auteur
Diplômé d'un master en droit social à Paris II, Philippe de Gonzague a travaillé comme juriste en droit du travail pendant 4 ans avant de décider de partir pour Xi'an afin d'y apprendre le chinois à temps plein. Premier voyage en Chine en 2010 et premier coup de foudre pour l'Empire du Milieu ; depuis 2012 Xi'an est devenu sa "base" pour analyser les us et coutumes tant quotidiens qu'ancestraux d'une Chine encore bien mystérieuse pour beaucoup.
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