Economie
Expert – Le Poids de l’Asie

 

Asie du Sud-Est et ralentissement chinois : le pire est-il derrière nous ?

Ouvriers dans une usine sidérurgique de Chongqing en Chine.
Ouvriers dans une usine sidérurgique de Chongqing en Chine. (Crédit :Stringer / Imaginechina / AFP)
Selon le Bureau National des Statistiques de Chine, la croissance du pays a atteint 6,9 % en 2015, un taux qui même élevé, est le plus bas depuis 1990. Ce ralentissement, peut-être plus sévère que ce qu’admettent les statistiques, est la conséquence du coup de frein à l’investissement, à commencer par l’immobilier, que ne compense pas l’essor de la consommation.

Dans les années 1980, lorsque les Etats-Unis éternuaient, l’Asie du Sud-Est craignait d’attraper la grippe. Aujourd’hui, la bonne conjoncture américaine ne dissipe pas les incertitudes chinoises : les pays du Sud-Est asiatique vivent à l’heure de la Chine. Un point de moins à la croissance chinoise signifie 0,6 point de moins pour la région, et deux fois plus pour Singapour qui est le plus exposé.

Le commerce, principale courroie de transmission

Le commerce bilatéral constitue la principale courroie de transmission entre les conjonctures. La Chine est le premier débouché des exportations de la plupart des Etats de la région et également leur premier fournisseur. Rapporté au PIB de ces pays, le poids des exportations vers la Chine est de 9 % pour Brunei, 4 % pour l’Indonésie, le pays le moins ouvert, 14 % pour la Malaisie et 39 % dans le cas du Vietnam.
L'évolution des importations chinoises en Asie du Sud-Est rapportées au PIB de chaque pays.
L'évolution des importations chinoises en Asie du Sud-Est rapportées au PIB de chaque pays.
Les exportations de l’Asie du Sud-Est vers la Chine ont progressé rapidement et sans à-coup entre 2001 et 2007 et, mesurées en dollars courants, elles ont été multipliées par 10. Au premier trimestre 2009, le moteur chinois a calé et ses achats ont brutalement chuté. Cette crise a toutefois eu la forme d’un « V » avec une remontée plus rapide. L’Asie du Sud-Est a profité de la relance chinoise et de l’ouverture des vannes de crédit qui, en augmentant l’endettement de tous les agents – Etat, provinces, entreprises et ménages – a financé la montée de l’investissement.
Les arbres ne montent pas au ciel ! Les importations chinoises depuis l’Asie du Sud-Est se sont stabilisées à partir de 2011. Vues de Chine, elles ont atteint un plateau et après une légère embellie, elles ont chuté brutalement en 2015. Les données du dernier trimestre ne signalent pas encore de stabilisation, et les turbulences du mois de janvier sont inquiétantes.
L'évolution des importations chinoises depuis l'Asie du Sud-Est.
L'évolution des importations chinoises depuis l'Asie du Sud-Est.
L’impact du retournement conjoncturel chinois a été sévère pour les exportateurs de ressources naturelles même si les baisses des cours du caoutchouc, de l’huile de palme, du charbon ou de l’étain ont été moins fortes que celle du baril de pétrole. L’impact du ralentissement a été amplifié par les anticipations qui freinent les projets d’investissement dans ces activités. Les plus touchés sont la Birmanie qui exporte des pierres précieuses et du bois, le Laos qui exporte du bois et l’Indonésie dont un tiers des exportations vers la Chine sont composées de charbon, de nickel, de chrome, d’étain, de caoutchouc et d’huile de palme. Les économies de plusieurs provinces (Aceh, Riau, East Kalimantan) se sont contractées au second trimestre 2015.

Les ressources naturelles pèsent moins dans les autres pays. Ainsi pour le Cambodge l’habillement représente-t-il un tiers de ses ventes en Chine, soit plus que le bois et le riz. Alors qu’en 2000, le Vietnam exportait des matières premières à son grand voisin, aujourd’hui, grâce à Intel et Samsung, il lui vend des puces et des téléphones ; et ses exportations progressent. Pour ce pays comme pour la Malaisie ou la Thaïlande, l’évolution des exportations vers la Chine dépend davantage de la conjoncture mondiale que chinoise.

La courroie financière

Les statistiques commerciales permettent de mesurer l’impact du ralentissement chinois sur les économies d’Asie du Sud-Est. Elles montrent qu’on n’a pas toujours atteint le fond : ainsi les exportations thaïlandaises vers la Chine ont-elles chuté de 10 % en décembre.

L’autre courroie de transmission, plus difficile à cerner alors qu’elle est susceptible d’avoir autant sinon plus de conséquences, relève des finances. A savoir, les investissements des entreprises et des particuliers, les prêts des banques ou les investissements boursiers.

Les entreprises d’Asie du Sud-Est ont davantage investi en Chine que les Chinois dans la région. Les entreprises des Chinois de la diaspora ont été les premiers à s’implanter dans les zones économiques spéciales créées en Chine à la fin des années 1970. Elles ont ensuite investi dans le reste du pays et les ménages fortunés ont placé leur épargne dans l’immobilier chinois. Ces investissements qui ont considérablement augmenté après la crise asiatique de 1997 et l’adhésion de la Chine à l’OMC, transitent par Hong Kong ou Singapour. Le fond souverain de la cité-Etat est lui-même très impliqué en Chine. Selon les sources chinoises, Singapour est le premier investisseur étranger dans le pays.

Début août, le changement de la définition de la parité du yuan par la People’s Bank of China (PBOC) a créé la panique. Faute d’une bonne communication (voir notre chronique sur le sujet), sa conséquence mécanique, une baisse de 3 % du yuan, a été interprétée comme la volonté de Pékin d’engager une stratégie de dévaluation compétitive. La PBOC aurait cédé face aux pressions des exportateurs qui se plaignaient de l’appréciation du yuan. Il s’en est suivi un ralentissement des entrées et une accélération des sorties de capitaux. Anticipant une baisse prolongée de la monnaie chinoise, les sociétés endettées en dollars ont remboursé par anticipation leurs dettes ; l’essor spectaculaire des exportations chinoises vers Hong Kong (+63 % en décembre) ne traduit pas un boom hongkongais, mais la surfacturation par les entreprises chinoises et des fuites de capitaux. Par ailleurs, certains fonds spéculatifs prennent des positions en pariant sur la baisse du yuan.

Ces turbulences ont des conséquences à la fois sur l’évolution des parités des monnaies d’Asie du Sud-Est qui ont diminué vis-à-vis du dollar – ce qui améliore la compétitivité des exportations – et sur la cotation des entreprises de la région les plus exposées au risque chinois.

L'évolution des monnaies des pays du Sud-Est asiatique suivant les parités avec le dollars.
L'évolution des monnaies des pays du Sud-Est asiatique suivant les parités avec le dollars.

Incertitude chinoise

A Davos, Fang Xinghai, vice-président de la Commission de Régulation des marchés a admis que la Chine avait mal communiqué. Fang a tout de même attribué les turbulences à la décision du Fed de hausser les taux, tout en rappelant que la Chine n’avait pas l’intention de dévaluer. Ces sorties révèlent néanmoins une rupture de confiance. Ce qui s’est traduit par une défiance des opérateurs, car les autorités chinoises n’ont pas clairement décidé le régime de change. Les conséquences d’une libéralisation sur les entrées et les sorties de capitaux sont trop incertaines ? On ancre le yuan sur un panier de monnaies dont la composition serait connu ? L’incertitude peut gagner les ménages qui ont une épargne colossale et peu de possibilités pour l’investir. L’immobilier a chuté, la bourse s’est dégonflée et l’évolution du yuan reste incertaine ! Si 5 % des ménages achetaient, comme la loi les y autorise, 50 000 dollars, les réserves fonderaient comme neige au soleil. Un scénario improbable.

Les autorités chinois ont ainsi commencé à tenir compte du conseil du gouverneur de la Banque du Japon qui, rappelant l’expérience nippone, leur a suggéré de renforcer le contrôle des sorties de capitaux. Aujourd’hui, des mesures sont prises pour freiner les sorties. Si elles ne suffisent pas à freiner l’hémorragie, elles peuvent contraindre la Chine à dévaluer. Ce qui entraînerait avec elle les monnaies d’Asie du Sud-Est.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).
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