Environnement
LE REGARD D’ASIA CENTRE

 

La Corée du Sud face au défi du changement climatique

Une jeune femme se tient devant la skyline de Séoul au crépuscule. (Crédit : ED JONES / AFP).
« La France aura besoin de la Corée ». C’est avec ces quelques mots que le président François Hollande, lors de son voyage dans le pays les 3 et 4 novembre derniers, à insister sur le rôle majeur que peut jouer la Corée du Sud afin de trouver un nouvel accord international sur le climat au cours de la 21ème session de la Conférence des Parties (COP21).
A la fois gros pollueur et modèle d’activisme international dans les négociations climatiques, Séoul a mis en place au 1er Janvier 2015, un marché carbone, le Korean Emissions Trading Scheme (KETS), le troisième en Asie. Dans son article pour la revue Korea Analysis, Wilfried Mourier de l’Université de Grenoble revient justement en détail sur la mise en place de ce marché carbone qui révèle les dilemmes auxquels le pays fait face.
La Corée du Sud est aujourd’hui dans une position paradoxale. S’étant clairement positionnée comme un pays leader en termes de croissance verte faible en carbone suite à l’arrivée au pouvoir du président Lee Myung-bak en 2008, le pays demeure le 7ème émetteur mondial de CO2, et le deuxième en Asie en termes d’émissions de CO2 par habitant, derrière le Sultanat de Brunei, mais devant la Chine et le Japon. Ces émissions de carbone par habitant ont même fortement augmenté depuis 2008, passant de 10,4 tonnes en 2008 à 11,8 tonnes en 2011. Une tendance qui s’explique notamment par le vaste programme de relance via l’industrie suite à la crise financière et économique mondiale, et l’utilisation maximale des usines électriques à charbon suite à l’accident de Fukushima.
Il n’en demeure pas moins que la Corée du Sud apparaît comme un pays modèle dans son implication internationale dans la lutte contre le réchauffement climatique non seulement à travers son rôle dans la création de l’Institut pour une croissance verte globale (Global Green Growth Institute) et du Fond vert pour le climat (Green Climate Fund) ; mais aussi par son intention de jouer un rôle d’intermédiaire entre les pays développés et les pays en développement au cours des négociations de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Séoul s’est également distingué dans l’instauration d’un marché carbone.
Alors que le pays avait adopté dès avril 2010 les décrets d’application de la loi-cadre sur la transition vers une économie faible en carbone, et qu’un système de plafonnement et d’échange (cap and trade) des émissions de gaz à effet de serre a été adopté par l’Assemblée nationale en mai 2012, l’instauration d’un véritable marché carbone a été maintes fois repoussée. Ce retard était d’autant plus frappant qu’un système de tarification des émissions de gaz à effet de serre s’est progressivement imposé comme l’instrument phare de toute politique nationale de lutte contre le réchauffement climatique.
Alors que l’essor économique du pays au cours du « miracle de la rivière Han » avait reposé sur l’industrialisation rapide de la Corée et sur la promotion des exportations, un groupe de plus de 500 industriels s’est opposé au projet gouvernemental en mettant en avant les risques encourus pour les exportations coréennes en raison d’une baisse de compétitivité et du coût économique de cette « décarbonation ». De plus, si le président Lee Myung-bak avait fait campagne sur les atouts économiques d’une économie faible en carbone, l’arrivée au pouvoir de la présidente Park Geun-hye en février 2013, avec son slogan d’économie créative, faisait craindre la relégation des ambitions de croissance verte du pays.
Après une négociation sur le fonctionnement du futur marché carbone entre gouvernement, industriels, organisations non gouvernementales, experts et autres parties prenantes, une base juridique, fruit de nombreux compromis, a été présentée en décembre 2013 et est entré en vigueur au 1er janvier 2015. Il couvre environ 500 entreprises, auxquelles s’ajoutent les cinq compagnies aériennes nationales et plus de 1.600 installations ; il représente 66% des émissions de gaz à effet de serre du pays et inclut les six gaz à effet de serre inscrits dans le Protocole de Kyoto : le C02, le N2O, le CH4, les PFC, le HFC et le SF6.
Parmi les compromis, on peut noter le mode d’allocation des quotas d’émissions. Alors que les industriels prônaient une allocation gratuite, les ONG souhaitaient qu’elles fassent l’objet d’une répartition payante. L’arbitrage a été rendu en faveur des industriels et 100 % des quotas seront alloués gratuitement dans la première phase du projet. Si la théorie plaide en faveur d’une mise aux enchères des quotas pour plus d’efficience, leur distribution gratuite permet cependant d’éviter le blocage des négociations et réduit le coût d’adaptation pour les industriels. De plus, afin d’éviter une perte de compétitivité des industries sud-coréennes, le gouvernement a décidé d’offrir des avantages fiscaux, de créer un fonds de soutien pour les entreprises, et de mettre en place un mécanisme de compensation afin d’éviter l’envolée des prix des quotas. Le pragmatisme l’a donc emporté.
Alors que les différents systèmes d’échange de quotas d’émission semblent fusionner progressivement, à l’instar des systèmes de la Norvège, de l’Islande et du Liechtenstein avec le système communautaire européen (SCEQE), et avec les systèmes québécois et californien, de nouvelle fusions et interconnexions sont à attendre. Elles limitent les fuites de carbone et les problèmes de compétitivité puisque les entreprises des pays partenaires sont soumises au même prix du carbone. Se pose toutefois la question de la sélection du partenaire adéquat pour la Corée du Sud. Si la Chine met en place son propre marché carbone, le risque est pour le système sud-coréen de se faire absorber sans pouvoir influencer l’évolution des prix de la tonne de carbone. De la même façon, une fusion avec le système japonais créerait un déséquilibre en défaveur du marché nippon.
Par Antoine Bondaz
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