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Expert - Le Poids de l’Asie

 

Chine : enfant unique, épargne et sex-ratio

Un jeune Chinois entouré de ses parents lors d’un marathon à Shanghai, le 25 octobre 2015. (Crédit : Zhuang yi / Imaginechina/AFP)
Le recensement de la population chinoise en 2010 n’avait pas manqué de surprendre. Lors de son dépouillement, la surprise était venue de la modification de la pyramide des âges : non pas de son sommet car l’espérance de vie augmente lentement, mais de sa base qui se rétrécit plus vite que prévu. Cette modification annonce une forte contraction des entrées sur le marché du travail. L’abandon de la politique de l’enfant unique inversera-t-elle cette tendance ? Quelles pourraient être les conséquences de cette mesure sur le déséquilibre des sexes et l’épargne des ménages ?

La chute de la fécondité

Pro-nataliste dans les années 1950 (selon Mao Zedong « une nouvelle tête, c’est aussi deux bras pour travailler à l’avenir de la Chine »), la politique de la population chinoise a évolué à la fin des années 1960. Alors qu’à la conférence sur la population de Bucarest (1974), le délégué chinois louait les mérites d’une grande population pour le développement, son gouvernement mettait en oeuvre une politique de planning familial qui a provoqué une chute très rapide et sans précédent des naissances avant l’adoption de la politique de l’enfant unique en 1979.
Comme l’écrit Mei Fong dans un livre à paraître (One Child: The Past and Future of China’s Most Radical Experiment), l’un des héritages de la politique de l’enfant unique a été moins la baisse de la natalité que d’amener les couples à réfléchir rationnellement à la parenté. Car paradoxalement depuis, l’indice synthétique de fécondité diminue plus lentement que dans les pays asiatiques qui n’ont pas engagé de politique aussi drastique.
Rappelons toutefois que cet indice évalue la fécondité d’un groupe fictif de femmes ayant à chaque âge le taux de fécondité observé pour l’année considérée. Il peut se révéler plus ou moins élevé que le taux de descendance finale, le nombre moyen d’enfants auxquels une femme donne naissance au cours de sa vie. Véritable mesure de la fécondité, ce taux n’est connu que plus tard et ses variations sont moins marquées et moins rapides que celle de l’indicateur conjoncturel. Ainsi, pour les femmes nées dans les années 1950 et vivant dans les zones rurales, la descendance finale est supérieure d’1 enfant à l’indice conjoncturel de fécondité.
Depuis 2000, l’évolution de la fécondité avait fait l’objet d’un débat. Si tous estimaient les naissances plus nombreuses que celles observées par le recensement, ils différaient sur le réajustement. Contrairement aux démographes, l’administration chinoise faisait l’hypothèse que l’indice était resté à 1,8, mais le dépouillement du recensement de 2010 lui a donné tort. La conséquence est une réduction plus rapide du nombre des moins de 20 ans, il était de 420 millions en 2000 et de 316 millions en 2015. Selon les hypothèses sur la fécondité à venir, leur nombre sera entre 168 et 334 millions en 2050.

La fin de la politique de l’enfant unique

Jusqu’en 2013, seules les minorités ethniques, les familles dont les deux parents étaient enfant unique et les agriculteurs ayant eu une fille échappaient à la politique de l’enfant unique. Son utilité était donc de plus en plus débattue. Parmi les partisans du statu quo, les 500 000 fonctionnaires de la National Health and Family Planning Commission (NHFPC) souhaitaient conserver leur pouvoir et les ressources procurées par les amendes très lourdes – entre une et trois années de revenus – imposées à ceux qui violaient la loi.
En novembre 2013, surmontant cette opposition, le plénum du Parti communiste chinois a autorisé les ménages urbains où l’un des deux parents est enfant unique à avoir deux enfants. Cette naissance devait avoir l’aval des fonctionnaires du NHFPC. On évaluait alors à dix millions le nombre de ménages concernés et, selon l’administration, cette mesure devait entraîner entre 1 et 3 millions de naissances. Ces prévisions ne se sont pas réalisées et seuls 800 000 couples ont fait une démarche pour un second enfant.
Cela pourrait s’expliquer par les modalités de mise en œuvre de la réforme. Appliquée dans toutes les provinces à l’exception du Xinjiang, elle ne s’est pas accompagnée d’un relâchement de la politique de planning familial qui donne lieu à des avortements forcés et des stérilisations imposées. Elle a surtout été appliquée dans les villes où la fécondité est proche des autres métropoles asiatiques (0,7 enfant par femme à Shanghai) et où, pour des raisons financières, les ménages ne souhaitent pas avoir plus d’un enfant (à Pékin, seulement 6 % des couples concernés ont fait une demande en 2014).
L’abandon de la politique de l’enfant unique, et la possibilité pour les couples d’avoir un second enfant – un troisième reste hors de question – n’aura pas d’impact sur le nombre d’actifs avant 2035. En outre, cet impact sera sans doute faible car la fécondité chinoise n’est pas très différente de celle des pays d’Asie de l’Est qui ont abandonné leurs politiques de limitation des naissances. Par contre, elle peut avoir des conséquences sur le déséquilibre des genres et l’évolution de l’épargne.

L’abandon de la politique de l’enfant unique et le déséquilibre des sexes

La Chine est avec l’Inde, l’un des rares pays où les hommes sont majoritaires dans la population. En 2015, pour 100 femmes, on recense 107 hommes en Chine, 92 en France, 96 au Japon. Cette exception s’explique par la préférence donnée au fils qui perpétue la lignée familiale et s’occupe de ses parents lorsqu’ils sont âgés. Elle a été exacerbée par la politique de l’enfant unique : la généralisation des avortements sélectifs s’est opérée au détriment des filles qui, comme le décrit Isabelle Attané (Au pays des enfants rares. La Chine vers une catastrophe démographique, Fayard 2011), sont victimes de négligences de traitement dans leur petite enfance : elles sont indésirables car elles privent les parents de la possibilité d’avoir un fils.
La politique de l’enfant unique a ainsi creusé l’écart entre les genres à la naissance. En 1970 on recensait 105 garçons pour 100 filles âgées entre 0 et 4 ans, 108 en 1990 et 116 en 2010, et ce ratio atteindrait 125 pour 100 dans les provinces les plus rurales. A l’horizon 2050, on recensera 30 millions de « branches nues » (guanggun), des hommes qui n’auront pas réussi à se marier. L’abandon de la politique de l’enfant unique pourrait réduire l’écart entre les genres à la naissance.

Quel sera l’impact sur l’épargne des ménages ?

Shang-Jin Wei de l’université de Columbia et Xiaobo Zhang de l’International Food Policy Research Institute ont montré que le déséquilibre des genres à la naissance avait amené les parents chinois à augmenter leur épargne pour mieux préparer leurs rejetons à un marché matrimonial appelé à devenir plus concurrentiel. Au-delà de cette incitation, de nombreuses recherches ont conclu que la politique de l’enfant unique expliquerait le taux d’épargne très élevé des ménages chinois.
Franco Modigliani, qui a obtenu le prix Nobel pour ses travaux sur l’épargne, a consacré son dernier article à résoudre le « puzzle de l’épargne chinoise ». La Chine est en effet caractérisée par un taux d’épargne très élevé qui est le fait de l’Etat (un budget excédentaire), des entreprises (qui font des profits) et des ménages. Selon Modigliani, l’une des principales explications à la hausse du taux d’épargne des ménages chinois est le rapport entre la population employée et le nombre de jeunes. Dans la mesure où, tradition confucéenne oblige, les enfants s’occupent de leurs parents âgés, avoir des enfants peut être considéré comme un substitut à l’épargne. Dès lors, la politique de l’enfant unique a amené les parents à épargner davantage : l’épargne est un substitut aux enfants. Selon cette approche, l’abandon de la politique de l’enfant unique diminuera le taux d’épargne des Chinois. Un résultat confirmé par Taha Choukhmane, Nicolas Coeurdacier et Keyu Jinont, à partir de l’analyse des ménages ayant eu des jumeaux.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).
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