Cambodge : "Le Ministère de la vérité"
« A bord d’un camion, un officier désarmé sourit, interpelle les passants : le drapeau blanc, cela signifie le cessez-le-feu, dit-il. »
En fait, il n’existe pas. L’article, qui décrit non seulement les réactions dans la capitale du Cambodge, mais aussi à Washington et ailleurs, a été rédigé à Paris. Les sources : des dépêches d’agences (Kyodo, AP) et l’imagination du journaliste sur place… dans la ville lumière.
Le quotidien français soutient les Khmers rouges (ainsi baptisés par le prince Norodom Sihanouk), comme le Parti Communiste Français soutient les Vietnamiens du Nord, ceux du Vietcong, et le Pathet Lao. Le PCF n’est bien sûr pas seul ; une bonne partie de la gauche européenne, américaine et asiatique soutient ces « libérateurs ».
L’évacuation des villes ? L’Humanité se basant sur des agences étrangères, surtout la russe Tass et la yougoslave Tanjung, confirme puis dément ces évacuations massives, censées mettre les populations urbaines à l’abri d’hypothétiques bombardements américains.
A partir de 1976, le journal du PCF dénonce « la campagne d’intoxication » de la presse capitaliste, qui commence à faire échos aux déclarations des milliers de réfugiés qui affluent à la frontière thaïlandaise ; et de citer quelques dizaines de Cambodgiens, étudiants à Paris. Ces jeunes idéalistes ont décidé de rentrer au pays, qu’ils ont quitté depuis des années. Beaucoup seront emprisonnés – et parfois exécutés – dès leur arrivée à l’aéroport de Pochentong.
Fier de son soutien au Kampuchea Démocratique, le journal demande – en vain – des visas pour le nouveau « Cambodge révolutionnaire ». L’un de ses journalistes, Jean-Emile Vidal, spécialiste de l’Asie, auteur d’un petit ouvrage à la gloire de la Corée du Nord, finit tout de même par écrire, le 10 juin 1976, qu’il « est dommage (de ne pas recevoir de visa) et de rester impuissant à combattre les propagandes hostiles » de la presse capitaliste. George Marchais, le secrétaire général du PCF, s’en prend lui à « la campagne anticommuniste déchaînée » à propos du Cambodge, et qui vise « en réalité le Parti communiste français lui-même ». Enfin, André Wursmer, le célèbre billettiste du journal, va jusqu’a comparer les Khmers rouges du Cambodge aux « Khmers rouges de Rol-Tanguy » qui avec les colonnes de Leclerc ont libéré Paris.
Le PCF continue à chanter les louanges de l’union sacrée entre les partis des trois pays de la péninsule indochinoise. Assistant au IVème congres du PC vietnamien en décembre 1976, l’envoyé spécial du journal, Gaston Plissonnier, est ainsi le seul à « ne pas noter l’absence des représentants cambodgiens. »
Mais il devient de plus en plus difficile d’ignorer les tensions croissantes entre le Vietnam et les Khmers rouges, et pire encore, de ne pas faire au moins allusion à ces « terribles massacres » commis par Pol Pot et ses camarades, dont parlent avec insistances les réfugiés.
Alors, il est temps pour L’Humanité de faire volte-face. Mais comment ? Très simple : en donnant la parole à « Claude R. », un lecteur de Vitry. Ainsi, le 5 septembre 1977, Jean-Emile Vidal répond aux inquiétudes de ce mystérieux Claude R. qui s’inquiète en ces termes : « Que se passe-t-il réellement au Cambodge ? » Et Vidal de constater que « la coupure est pratiquement totale entre Phnom Penh et le monde extérieur. » Mais, ainsi que le note Jean-Noël Darde, dans son livre Le Ministère de la vérité, toujours rien sur le conflit ouvert entre Hanoi et le Kampuchea Démocratique.
Le livre de Jean-Noël Darde sur ces évènements et leur traitement dans le journal l’Humanité reste un modèle ; et sa lecture est encore aujourd’hui très pertinente.
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