Culture
Témoin - Pérégrinations chez les Tang

Chine : la fête de la Lune ou l'emballage au service de la tradition ?

L’actrice chinoise Fan Bingbing en costume traditionnel fait la promotion de gâteaux de lune glacés fabriqués par Häagen-Dazs pour la fête de la mi-automne, à Pékin le 21 août 2012. (Crédit : Zheng fude / Imaginechina / AFP)
L’actrice chinoise Fan Bingbing en costume traditionnel fait la promotion de gâteaux de lune glacés fabriqués par Häagen-Dazs pour la fête de la mi-automne, à Pékin le 21 août 2012. (Crédit : Zheng fude / Imaginechina / AFP)
Après avoir évoqué les célébrations de la « Toussaint chinoise » (Qingmingjie, 清明节), le calendrier lunaire me donne l’occasion de parler d’une autre fête traditionnelle très importante : la « Fête de la mi-automne » (Zhongqiujie, 中秋节), qui est encore très populairement appelée « Fête de la Lune ». Fixée le 15e jour du 8e mois lunaire, cette fête tombe cette année le 26 septembre, avec un congé officiel bonus le 27 septembre… soit un dimanche !
Si au quotidien il n’est pas toujours évident de cerner les ressorts traditionnels de telle ou telle festivité, c’est encore en discutant avec les Chinois qu’on en apprend le plus. « La fête de la mi-automne […] a lieu le jour où la lune est la plus ronde. Elle symbolise l’harmonie familiale, les retrouvailles en famille, c’est pour cela qu’il faut manger des gâteaux de la lune ronds et des grenades. D’abord, il faut consacrer et offrir des sacrifices à la divinité de la Lune et seulement ensuite on peut en manger », m’expliquait avec ferveur un de mes contacts musiciens (et fan de Guns N’ Roses… ça ne s’invente pas).
Sans tomber dans l’analyse à tiroirs de chaque fête traditionnelle chinoise, il est intéressant de constater une nouvelle fois que deux fils rouges demeurent : la nourriture et la famille. Un constat d’autant plus vrai pour le nouvel an chinois (Chunjie, 春节 ou la Fête du Printemps), mais revenons à la « mi-automne ». La nourriture, donc, ce sont ici les fameux gâteaux de lune, sortes de palets épais et fourrés avec différentes garnitures… des plus simples au plus bizarres.
"La surprise est dans la première bouchée" (Crédit : Philippe de Gonzague)
"La surprise est dans la première bouchée" (Crédit : Philippe de Gonzague)
En terme de consistance, il me faut reconnaître avec honnêteté que ces gâteaux sont de véritables étouffe-chrétien aux garnitures parfois hasardeuses. Du haricot rouge en passant par de la pâte de concombre de mer, de poudre de viande séchée ou encore d’ailerons de requin, il y en a pour tous les goûts… Et les grands marques ne se gênent pas pour proposer plusieurs assortiments, dont certains peuvent coûter jusqu’à 4 300 yuans (près de 600 euros) pour 10 gâteaux (bouchées) glacées par Häagen Dazs.
Mais là où les magasins font fort, c’est bien dans l’emballage des célèbres gâteaux de lune. Ironie de l’histoire, ces derniers deviennent secondaires et n’existent en réalité qu’au travers de leur apparat commercial. Soit des boîtes somptueuses, habillées d’une imagerie volontairement pompeuse comme les personnages mythiques du célèbre roman publié sous la dynastie Ming, le Voyage vers l’Ouest (Xiyouji, 西游记), ou encore la pivoine, fleur symbolisant prospérité et noblesse, l’une des fleurs « totem » de la Chine.
Boîtes à gâteaux de lune avec l’imagerie et les personnages du grand roman chinois classique, le Voyage vers l’Ouest. (Crédit : Philippe de Gonzague)
Boîtes à gâteaux de lune avec l’imagerie et les personnages du grand roman chinois classique, le Voyage vers l’Ouest. (Crédit : Philippe de Gonzague)
Rien de nouveau sous le soleil, me direz-vous, et j’en conviens. Par contre, ce qui m’ébahit toujours autant, c’est bien ce décorum et ce gloubi boulga de symboles mis bout à bout, qui réenchantent complètement les imageries traditionnelles de la Chine pourtant très longtemps combattues durant la Révolution Culturelle. Mais si cet emballage a clairement un sens « commercial », il n’aurait aucune raison d’être s’il n’était pas fondé sur le rituel de remise des cadeaux et sur le concept de « face ». Comme dans certains pays asiatiques, lorsqu’on reçoit un cadeau en Chine, il est de tradition de le mettre de côté (avec le sourire) et de ne l’ouvrir qu’une fois la personne partie. Pourquoi ? Afin d’éviter de laisser paraître une éventuelle déception ou une gêne aux yeux de l’offrant, lui faisant perdre irrémédiablement la face devant son hôte.
L’impression immédiate est dont capitale et finalement, peu importe le contenu, car le visiteur n’aura pas le loisir de constater la réaction de son hôte lors de l’ouverture du cadeau. Voilà pourquoi les emballages sont particulièrement chargés, bigarrés ou encore baroques. Certaines boîtes ne valent le coups d’être achetées que pour elles-mêmes (pour peu que l’on goûte au style).
Boîtes à gâteaux de lune. (Crédit : Philippe de Gonzague)
Boîtes à gâteaux de lune. (Crédit : Philippe de Gonzague)
Et les gâteaux en question, alors ? De mon point de vue, pas de quoi grimper aux rideaux et je suis loin d’être le seul à le penser puisque de nombreux Chinois m’ont confié ne pas aimer ces pâtisseries. « Juste un ou deux morceaux me suffisent », m’avouait récemment un professeur. « Ils ne sont pas bons… sauf ceux qui sont chers », précisait un ami. Mais alors pourquoi autant de ferveur pour ces gâteaux ? Là encore, la symbolique est de mise puisque leur forme ronde représente une famille unie et surtout réunie. « La fête de mi-automne, c’est le cœur de la famille », renchérit le professeur. Au final, ce n’est pas tant la saveur de cette gourmandise que la symbolique de l’offrir et ainsi souhaiter à son hôte ou ses parents ses meilleurs vœux de bonheur pour la famille.
La famille, éternel fil rouge de chaque festivité traditionnelle. L’histoire chinoise regorge en effet de symboles pour mettre en lumière l’importance de l’entrelacs des relations familiales : nourriture, divinités, onomatopées, ou homophonies. « Quel est ton ressenti sur la fête de la mi-automne, les gâteaux de lune ou encore la culture sous-jacente à cette fête ? », demandai-je encore à un ami. « Just with family », me répondit-il tout simplement. Ah sacro-sainte famille !

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A propos de l'auteur
Diplômé d'un master en droit social à Paris II, Philippe de Gonzague a travaillé comme juriste en droit du travail pendant 4 ans avant de décider de partir pour Xi'an afin d'y apprendre le chinois à temps plein. Premier voyage en Chine en 2010 et premier coup de foudre pour l'Empire du Milieu ; depuis 2012 Xi'an est devenu sa "base" pour analyser les us et coutumes tant quotidiens qu'ancestraux d'une Chine encore bien mystérieuse pour beaucoup.
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