Société
Témoin - Pérégrinations chez les Tang

 

Chine : un long dimanche de funérailles

Une tombe du cimetière Xian
A mi-chemin entre le caveau et la stèle individuelle, des branches d'encens consumées et éteintes par la pluie sont plantées dans un petit bol, des cigarettes jonchent aussi le sol, des bouteilles d'alcool blanc vides et des feuilles jaunes symbolisant la fausse monnaie sont posées sur le rebord de la stèle. Crédit : DR.
Derrière un titre passablement macabre se cache en réalité ma participation (quasi-fortuite, reconnaissons-le) aux festivités de Qing Ming Jie (清明节) ou l’équivalent de la Toussaint chrétienne. Fête non dénuée d’importance au regard des traditions chinoises, elle s’inscrit dans la droite ligne du culte des ancêtres et par extension des morts. Dans le calendrier, Qing Ming prend souvent place entre le 4 et le 5 avril soit presque 2 mois après la fête du printemps (nouvel an chinois).
Confluence de deux fêtes anciennes, Shang Si (上巳) sous la dynastie Zhou (IXe siècle avant J.C.) et Han Shi (寒食) sous la dynastie Han (fin IIIe av. J.C.), la fête de Qing Ming permet aux familles de rendre visite à leurs ancêtres défunts et de procéder au nettoyage des pierres tombales, ainsi qu’à un repas « en famille ».
Cette fête est-elle toujours vivante ? Comment est-elle vécue ? C’est ce que je m’en vais constater en ce dimanche 5 avril 2015. Après tout, lors d’un dimanche pluvieux et embrumé, quoi de plus naturel que d’aller visiter un cimetière ? Ce dernier est situé à l’extérieur de la ville. Sorti du métro, les taxis illégaux se jettent sur moi comme la vérole sur le bas-clergé et me proposent la course pour rejoindre le cimetière, à 30 Yuan (4,5 €). Je préfère attendre le bus n°232 pour 1 Yuan. Un micro bus arrive très vite à la station et je joue des coudes autant que les chinois pour y entrer. Un bus de 20 personnes qui peut en contenir le double (en poussant bien), c’est aussi ça la Chine ! Et nous voici donc parti en direction du cimetière de Han Ling Mu (汉陵墓).
L'entrée du cimetierre Xian
Porte d’entrée du cimetière en ce dimanche pluvieux et embrumé. Crédit : DR.
L’allée menant à la grande porte principale est bordée de vendeurs en tout genre : fleurs naturelles et artificielles, fausse monnaie à brûler, encens et même légumes locaux. Nous sommes à l’Est de la ville de Xi’an, pas plus de 10 km, et pourtant j’ai l’impression (agréable) de débarquer dans un petit village éloigné des turpitudes urbaines. J’ai ainsi encore une fois, cette impression qu’une partie du temps s’est arrêté aux portes de la cité.
L’entrée passée, sous les regards éberlués des gardes, je m’avance devant un large autel surélevé au dessus duquel trône un gigantesque bouddha bedonnant en pierre. C’est la place dédiée à l’explosion des pétards. En effet, le rite traditionnel veut que chacun fasse éclater des pétards devant les tombes, mais pour raison de sécurité incendie, désormais tous sont priés de procéder dans un endroit dédié, l’autel en question. Cela ne m’empêchera pas plus tard d’entendre l’écho de certains pétards au niveau des tombes, et ce, malgré les remontrances des gardiens.
Les tombes en question se trouvent en réalité à flanc de colline, alignées en rangs et séparées par un grand escalier pentu qui donne ainsi accès à chaque travée. Je m’aperçois ainsi que l’architecture funéraire n’est pas si différente de la nôtre en France.
Par hasard, je croise une famille de Xi’an qui vient se recueillir sur la tombe du grand père maternel. Ne me sentant pas à ma place, je m’excuse et leur indique mon intention de partir, ce que ces derniers refusent en me proposant d’observer le rituel d’hommage au défunt. Un sentiment double m’agite devant cette proposition : la joie de toucher des yeux un rituel familial, vieux de plusieurs milliers d’années ; mais aussi une gène, la honte d’éprouver de la « joie » face à un tel événement peu synonyme de bonheur… et pourtant!
Tout d’abord la surface de la pierre tombale est nettoyée à l’aide d’un linge, pendant que le petit fils et le beau père vont préparer un petit feu dans un seau métallique afin d’y déposer les offrandes. Des fruits, des biscuits, une fiole d’alcool blanc, du chocolat et des fleurs sont ensuite déposées sur la tombe pendant que les autres membres de la famille préparent la « monnaie » à brûler.
La famille prépare la cérémonie
Légende : Préparatifs en famille. Crédit : DR.
« Mais pourquoi brûler de l’argent factice? » demandais-je naïvement au père de la famille.
« Tu vois, les personnes décédées vivent dans un monde parallèle au notre appelé Yin Jie (阴界). Nous, nous vivons dans le Yang Jie (阳界) et tout comme nous, ils ont besoin d’argent pour « vivre » dans leur monde. C’est également pour cette raison que nous brûlons de la nourriture et de l’alcool, afin qu’ils puissent « vivre » comme nous. »
Et soudainement, je comprends cette sorte de pragmatisme qui semble irriguer une partie de la pensée chinoise : après tout, bien que les défunts demeurent dans un autre monde, pourquoi n’auraient-ils pas les mêmes besoins que les vivants ?
Toute la famille procède ensuite aux sacrifices et autres libations dans une sorte de douce allégresse. Ici, point de gémissements ou de larmes : rendre hommage aux ancêtres est avant tout un moment heureux mais toujours sérieux. Je reste en retrait en fumant ma première cigarette matinale que le père m’avait tendu quelques secondes auparavant « Regardez, il fume! » s’était alors exclamée la famille entière au travers de larges sourires surpris. « Je sais aussi boire ! » lançais-je avec un ton bravache, ce qui lança le père dans un discours comparatif entre l’alcool en France et l’alcool en Chine, un grand classique.
Fruits et grignotes prestement engloutis, la mère de famille prépare un sac en tissu qu’elle étale à terre. Pendant ce temps, sa fille se saisit des fleurs pour en étaler les pétales sur toute la surface de la tombe. Chaque membre de la famille procédera ensuite à 3 prosternations à genoux sur le sac, en direction de la stèle.
« Normalement, il faut procéder à 5 prosternations mais notre façon de faire n’est pas standard » me dit le patriarche. « Est ce que les jeunes dans la société actuelle chinoise se sentent toujours autant concernés par ces pratiques anciennes? » demandais-je. « Comme partout, certains continuent à procéder ainsi et d’autres non » me répondit le père de famille en me faisant ainsi comprendre qu’il ne fallait pas en tirer un constat global.
« Mais ce qui est sûr c’est que tous les jeunes chinois connaissent le sens profond et l’importance de rendre hommage aux ancêtres » conclut-il.
La cérémonie se terminera quelques instants plus tard en saluant une dernière fois le défunt. La famille me proposa de participer activement à cet « au revoir » en me prosternant debout avec eux et par trois fois, face à la tombe. « Est ce que l’on te ramène quelque part ? » me demande la petite fille. Je décline poliment, prétextant continuer mon exploration des rites funéraires en ce jour de Qing Ming Jie. Je ne m’attarde pourtant pas plus de 10 minutes , ayant le sentiment d’avoir vécu un moment unique et familial que je ne voudrais pas ternir en m’immisçant (même malgré moi) dans une autre série de rituels. Le terme de « Bonheur » (福 Fu) a beau être gravé aux coins de chaque tombe, je ne me sens pas à ma place à déambuler entre les stèles sous les regards semi-hallucinés des gardiens. Il est temps que je rentre.
Sur le chemin du retour, à quelques pas de chez moi, je croise de nombreux cercles non fermés, tracés grossièrement à la craie à même le sol et dans lesquels de faux billets de banque flambent encore.
Un cercle non fermé est tracé au sol
De nombreux cercles non fermés sont tracés à même le sol. Crédit : DR.
Une autre façon, moins cérémonieuse, d’honorer ses ancêtres. Mon colocataire m’explique que le cercle doit rester ouvert afin que l’esprit concerné y pénètre et puisse récolter l’argent que l’on brûle pour lui. « Mais comment être sur que c’est bien l’esprit en question qui est entré dans le cercle et pas un esprit chapardeur? » « Chaque esprit sait quel cercle a été tracé pour lui ». CQFD!

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A propos de l'auteur
Diplômé d'un master en droit social à Paris II, Philippe de Gonzague a travaillé comme juriste en droit du travail pendant 4 ans avant de décider de partir pour Xi'an afin d'y apprendre le chinois à temps plein. Premier voyage en Chine en 2010 et premier coup de foudre pour l'Empire du Milieu ; depuis 2012 Xi'an est devenu sa "base" pour analyser les us et coutumes tant quotidiens qu'ancestraux d'une Chine encore bien mystérieuse pour beaucoup.
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