Société
Le regard d’Eglises d’Asie

Inde : les hindous sous la barre des 80% de la population

Un “homme saint” hindou lors du Khumbh Mela à la veille du premier bain sacré à Trimbakeshwar près de Nashik en Inde, le 28 août 2015. (Crédit : PUNIT PARANJPE / AFP)
Un “homme saint” hindou lors du Khumbh Mela à la veille du premier bain sacré à Trimbakeshwar près de Nashik en Inde, le 28 août 2015. (Crédit : PUNIT PARANJPE / AFP)
Diminution de la proportion des hindous, stabilisation de la part des chrétiens et augmentation de la proportion des musulmans dans la société indienne, telles sont les caractéristiques du nouveau visage religieux de l’Inde, d’après les résultats du dernier recensement. Le 25 août dernier, le gouvernement fédéral, dirigé par le BJP, le parti nationaliste hindou, a publié les résultats concernant l’appartenance religieuse de la population indienne tels qu’ils ressortent du recensement effectué en 2010-2011.
Conformément aux recommandations de l’ONU, l’Inde mène, comme la plupart des pays dans le monde, un recensement de sa population sur un rythme décennal. Tous les dix ans, des dizaines de milliers d’agents recenseurs parcourent donc le pays en tous sens, Etat après Etat, afin d’obtenir une image aussi précise que possible du deuxième pays le plus peuplé du monde. C’est ainsi qu’à la fin 2011, la population de ce grand pays était très exactement et officiellement de 1 210 854 977 habitants.
Si les données contenues dans ce recensement sont une mine d’informations sur le pays, elles sont aussi de la dynamite politique. Notamment sur les sujets sensibles et en particulier sur la question de la ventilation par appartenance religieuse de la population indienne. S’il a fallu attendre quatre ans pour que ces chiffres soient rendus publics, ce n’est pas tant parce que l’administration indienne est notoirement lente, mais plutôt parce que ces informations ont été jugées trop sensibles par la précédente majorité au pouvoir, dominée par le Parti du Congrès, pour être publiées l’an dernier, qui était une année électorale.
Parmi les autres minorités religieuses, on compte 20,8 millions de sikhs, 8,4 millions de bouddhistes et 4,4 millions de jaïns.
C’est donc le BJP, le Parti du peuple indien, de Narendra Modi, au pouvoir à New Delhi depuis mai 2014, qui a choisi de le faire. Et, pour un œil non averti, les choses n’ont pas beaucoup changé entre 2001, date du précédent recensement, et 2011 : les hindous représentent toujours quatre Indiens sur cinq et la principale minorité religieuse, à savoir les musulmans, forment toujours environ 14 % de la population ; quant aux chrétiens, deuxième minorité religieuse par importance numérique, ils se limitent toujours à 2,3 % du 1,2 milliard d’Indiens.
Et pourtant, derrière cette apparente stabilité des chiffres, les réactions ont été alarmistes du côté des responsables politiques hindous. Pourquoi ? Qu’en est-il exactement ? Comment expliquer ces virulentes réactions ?
Entre 2001 et 2011, la population indienne a crû de 17,7 %, passant d’un peu plus d’un milliard d’habitants à 1,2 milliard de personnes. Sur cette période, les 966 millions d’hindous recensés en 2011 ont connu une croissance légèrement inférieure (16,8 %) tandis que la communauté musulmane augmentait de 24,6 %, à 172 millions d’individus. C’est ce différentiel de croissance qui fait que la part des hindous a légèrement décliné, passant, entre 2001 et 2011, de 80,5 % à 79,8 % (79,79 % très exactement) de la population. Pour la première fois depuis l’indépendance (et la partition subséquente du pays d’avec le Pakistan, à dominante musulmane), la part des hindous dans la population passe ainsi sous la barre des 80 %.
Pour Yogi Adityanath, élu BJP au Parlement fédéral à New Delhi, il n’en faut pas plus pour voir dans cette évolution « une tendance dangereuse ». Commentant le fait que les musulmans voient leur part dans la population augmenter de 0,8 % (14,2 % en 2011 contre 13,4 % en 2001), Surendra Jain, du Vishwa Hindu Parishad (le Conseil mondial hindou, l’une des principales composantes de l’extrême-droite hindoue), affirme que « les musulmans visent à faire de l’Inde une nation musulmane ».
Selon les analystes proches du BJP, les résultats du recensement 2011 sont la preuve que la majorité hindoue est en voie d’érosion. « Le fait que la population hindoue passe sous la barre des 80 % est un signal d’alarme. Vous êtes libres de l’ignorer mais cela ne changera pas cette réalité : nous aurons été prévenus », met en garde Rakesh Sinha, directeur honoraire de l’India Policy Foundation, à New Delhi.
Que disent les démographes des chiffres qui viennent d’être publiés ? Pour eux, la tendance est claire et le recensement 2011 ne fait que la confirmer : le taux de croissance de la population musulmane dans l’Union indienne décélère et se rapproche peu à peu de la moyenne nationale. Entre 1981 et 1991, la croissance de la composante musulmane de la population indienne était de 32,8 % ; entre 1991 et 2001, elle était de 29,6 % ; entre 2001 et 2011, elle n’était plus que de 24,6 %. « Si la courbe se poursuit, le taux de croissance des musulmans sera à peu près similaire à celui des hindous lors du prochain recensement », estime le démographe Abusaleh Shariff, de l’US-India Policy Institute à Washington. Au Financial Times, Amir Ullah Khan, analyste à la Fondation Bill et Melinda Gates, précise que cette convergence des taux de croissance se constate déjà dans le sud du pays, au Kerala, au Tamil Nadu et au Karnataka, trois Etats où un fort taux de scolarisation et d’alphabétisation se traduit par une réduction du nombre d’enfants par famille.
Pourquoi tant d’alarmisme de la part des hindouistes ? Les analystes y voient une part de calcul. Un calcul électoraliste à court terme : en novembre prochain, les électeurs sont appelés aux urnes au Bihar, Etat où vit une importante communauté musulmane, et Narendra Modi y a tout intérêt à jouer sur la peur d’une montée de l’islam pour mobiliser l’électorat hindou autour de son parti, le BJP. A plus long terme et plus fondamentalement, le fond de commerce du BJP est d’affirmer qu’au nom de l’hindutva, l’hindouité, l’Inde est une nation hindoue et que celle-ci fait face à une double menace : une submersion démographique par les musulmans – ces derniers étant toujours soupçonnés d’être des traîtres au service du Pakistan voisin -, et une conversion massive des hindous au christianisme, les adeptes de cette dernière religion étant eux aussi censés être au service d’une puissance étrangère, à savoir le Vatican et l’Occident chrétien.
Selon Joyn Dayal, porte-parole du Forum uni des chrétiens, « le BJP a construit son projet politique autour de l’islamophobie ». C’est ce qui explique les appels récurrents de personnalités hindouistes pour encourager les hindoues à avoir plus d’enfants ou pour dénoncer un soi-disant « Love Jihad », une supposée conspiration qui verrait les musulmans séduire les hindoues pour mieux les convertir à l’islam par le biais du mariage.
Pour une vue détaillée des appartenances religieuses de la population indienne du recensement de 1951 à celui de 2011, voir les excellents graphiques publiés dans l’article ci-joint du Wall Street Journal : « Census of Religion: Three Charts That Show the Changing Face of Faith in India » (26 août 2015).
Pour ce militant de la société civile et défenseur des chrétiens face aux différentes « lois anti-conversion », votées ces dernières années dans les Etats contrôlés par le BJP, les résultats du recensement 2011 « démontrent pourtant bien l’imposture et la vacuité de la propagande des extrémistes hindous ». Mais rien n’y fait. Concernant la proportion des chrétiens qui depuis trente ans est stabilisée au niveau de 2,3 % (2,34% en 2001 et 2,29 % en 2011, soit 27,8 millions de personnes), les analystes de la mouvance hindouiste mettent en avant qu’étant donné la faiblesse relative du taux de fécondité des chrétiennes par rapport aux hindoues ou aux musulmanes en Inde, la part des chrétiens dans le pays devrait diminuer. Si celle-ci reste stable, c’est donc que les conversions « de masse » auxquelles se livrent les chrétiens existent bel et bien et présentent donc un danger pour le caractère hindou de l’Inde. CQFD.

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