Modi : faire briller l'Inde
L’Inde et le Népal jouissent d’une histoire et d’une culture communes qui ont justifié cette réponse sans délai. Les deux langues, dérivées du sanskrit, utilisent les mêmes caractères ; les deux peuples, tous deux majoritairement hindous, ont été colonisés par les Britanniques… De ce fait, le Népal a souvent été considéré comme un « État vassal » de l’Inde, qui fournit à ce pays enclavé de l’électricité et des denrées alimentaires. Mais cet État himalayen est également essentiel dans la géostratégie contemporaine, car il sert de tampon entre l’Inde et la Chine, et les deux pays rivaux se disputent les faveurs des dirigeants de Katmandou. Pékin, de tradition peu philanthrope dans l’humanitaire, a ainsi envoyé 3,3 millions de dollars d’aide au Népal dans les premiers jours, soit autant que toute l’Union européenne.
Contexte
Comment comprendre la politique étrangère de l’Inde, que tous annoncent comme un acteur international majeur ? En 2013, avant Modi, donc, Foreign Policy expliquait la difficulté des Indiens à concevoir leur place dans le monde. D’abord, la diplomatie est souvent fragmentée : les responsables des États de la fédération indienne mènent leur propre stratégie à l’international, ce qui affaiblit la politique du gouvernement central. Ensuite, les décideurs en matière de diplomatie sont isolés des Think tanks, qui jouent ailleurs un rôle crucial dans la construction d’une vision diplomatique. Enfin, selon l’enquête de Foreign Policy, les élites locales ont peur que l’émergence internationale de l’Inde ne soit qu’une pure construction occidentale, sans lien avec la croissance économique et la place du pays sur la scène mondiale. Voilà sans doute pourquoi l’activisme de Modi est en soi un changement de paradigme.
Modi, un jour sur huit en visite à l’étranger
La priorité donnée à ces déplacements marque également un changement à 180 degrés : l’ancien ministre en chef de l’État industriel du Gujarat promeut à l’étranger une virulente diplomatie économique, vendue sous le slogan « Make in India ». Son principe est de faciliter les investissements étrangers dans une industrie indienne moribonde. La relance de cette économie, dont la croissance a chuté à 4,5% en 2014 après une décennie d’euphorie, fut l’une des demandes lancées par l’électorat indien. Et cet élu de la circonscription de Varanasi (ex-Bénarès) a l’intention de chercher à l’étranger les moyens de cette révolution industrielle.
Du gourou marketing aux limites du « Make in India »
Cette nouvelle diplomatie économique a été appliquée lors du passage de Modi à Paris, où il a annoncé que New Delhi allait acheter 36 avions de chasse Rafale, annulant d’un seul coup de crayon un précédent méga-contrat portant sur 126 appareils. Ce dernier était en négociation depuis plus de dix ans et prévoyait notamment de construire 108 chasseurs en Inde, pour transférer cette haute technologie aux entreprises locales. Cette décision surprenante sur les Rafales a montré les limites de son projet phare de « Make in India », car l’industrie d’armement locale s’est révélée incapable de créer un réseau de sous-traitants pour fabriquer cet équipement de pointe. Mais le nouvel accord de « gouvernement-à-gouvernement » porte plus que jamais la marque d’un Narendra Modi pragmatique et dirigiste, qui veut éliminer les intermédiaires et tout décider.
Politiciens américains impressionnés
« Il a fait un remarquable effort pour rétablir l’Inde sur la carte du monde, reconnaît Sameer Patil, ancien directeur adjoint du Conseil national de sécurité et chercheur au sein du Think tank Gateway House de Bombay. Mais s’il ne poursuit pas dans cette voie en renforçant le marché indien, cela ne servira à rien. » Un marché qui est réputé pour être l’un des plus compliqués à pénétrer : l’Inde se trouve à la 142e place sur 189 pays dans le classement de la Banque mondiale sur la facilité de faire des affaires.
Éviter l’encerclement chinois
Afin d’éviter cet encerclement, Narendra Modi a su se montrer opportuniste. A la faveur d’un changement de gouvernement à Colombo en janvier dernier, il a ainsi renoué les liens diplomatiques avec le Sri Lanka, où la Chine était en train de construire un port en eaux profondes à même d’accueillir des navires militaires. C’est également dans cette perspective que le Premier ministre s’est rendu dans des îles de l’Océan indien qui pouvaient paraître diplomatiquement insignifiantes pour un dirigeant fraîchement élu. Entre le 10 et le 13 mars 2015, Narendra Modi s’est déplacé aux Seychelles et à l’Île Maurice, où aucun leader indien n’avait mis les pieds depuis 1981 et 1983. Dans le premier archipel, il a lancé un projet de surveillance radar des côtes, tandis que dans le second, il a signé un accord pour « renforcer les capacités de l’armée mauricienne ».
Ces différends géostratégiques entre New Delhi et Pékin n’ont cependant pas empêché Narendra Modi et Xi Jinping de se rencontrer deux fois en un an lors de visites d’État réciproques.
Relations toujours froides avec le Pakistan
Tous les regards se tournent maintenant vers le sommet régional des chefs de gouvernement d’Asie du Sud (SAARC), prévu à Islamabad en 2016. Les diplomates pakistanais assurent que Narendra Modi viendra au Pakistan – ce qu’aucun Premier ministre indien n’a fait depuis 1999. Pour mettre fin à cette longue absence, il faudra aux deux frères ennemis annoncer d’importants progrès dans la relation bilatérale à leurs peuples respectifs. Sinon, ce sommet restera comme une nouvelle occasion manquée dans ce conflit sourd, qui dure depuis la création des deux Etats, en 1947.
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