Inde : Narendra Modi pris au piège des conversions forcées à l’hindouisme
Ces habitants se réjouissent lorsque, en décembre dernier donc, un homme qui prétend travailler pour l’administration locale promet de leur fournir des cartes de rationnement et des attestations de leur indigence (Below Poverty Line cards). Ces sésames, compliqués à obtenir de la kafkaïenne administration indienne, permettent d’obtenir de précieuses aides publiques. Deux jours plus tard, l’homme revient – accompagné d’un prêtre hindou et d’une dizaine d’individus. Ils dressent une tente, allument un « feu sacré » et aspergent les musulmans d’eau du Gange. Impromptue, cette « conversion » à l’hindouisme se fait implicitement sous la menace. « Nous ne pouvions protester, car ces hommes ne viennent jamais les poches vides », relate Munira, la femme du responsable de la décharge, en faisant allusion à la présence d’armes. Puis, sous leurs yeux médusés, les hindouistes s’emparent de leurs Corans dans leurs maisons, et les confisquent. Pour finir, ils aposent une marque orange sur leurs fronts et concluent sententieusement : « Vous êtes hindous ! »
« Les gens nous ont accusé de l’avoir fait pour de l’argent… mais personne ne change de religion pour une carte de rationnement ! »
« Nous leur avons dit que leurs ancêtres étaient hindous et qu’ils pouvaient revenir à la maison »
Bien que la police régionale eût, peu après ces faits, inculpé un des organisateurs de cette conversion pour « promotion de la haine religieuse », Ajou Chouhan reconnaît sans complexe avoir bel et bien participé au coupable cérémonial. « Ces musulmans ont toujours célèbré la fête hindoue de Navratri, se défend-il, donc nous leur avons dit que leurs ancêtres étaient hindous et qu’ils pouvaient « revenir à la maison ». Et ils ont accepté. »
Les militants religieux comme lui considèrent que tous les musulmans ou chrétiens indiens sont en quelque sorte des hindous qui s’ignorent. Leur argument est simple : ces Indiens non-hindous ont été « convertis » à l’Islam au cours des siècles précédents, sous l’empire Moghol (1526-1857), ou bien par des missionnaires chrétiens durant l’ère coloniale. Il suffit donc juste, argumentent-ils, de les « purifier », pour qu’ils reviennent à leur religion d’origine. « Ceci est un processus de nationalisation », plaide encore Chouhan. Car tant qu’ils demeurent musulmans, leur foi restera tournée vers Mahomet et le Pakistan honni.
« Pour être un vrai patriote, un Indien se doit d’être hindou, et rien d’autre. »
Contexte
Une loi « anti-conversion ». C’est ce que voudrait nationaliser les dirigeants du BJP, le parti extrémiste hindou du Premier ministre Narendra Modi. Si elle était adoptée, elle interdirait toute conversion effectuée sans signalement préalable aux autorités. L’objectif du BJP est double : éviter toute « protestation » après une conversion à l’hindouïsme, et surtout lutter contre le prosélytisme des autres religions, l’islam et le christianisme en tête. Selon des avocats opposés à cette loi, elle menace les libertés religieuses : dans les faits, craignent-ils, les autorités, cédant aux groupes radicaux hindous, fermeront les yeux sur les conversions forcées à l’hindouïsme et interdiront les conversions aux autres religions. Cinq Etats indiens possèdent une loi apparentée, plus ou moins contraignante. Camouflet pour le BJP, le ministère indien de la Justice vient de déclarer une telle loi hors de la juridiction fédérale, dans la mesure où elle relève de la seule prérogative des Etats.
Le Premier ministre ne condamne pas
Certains membres les plus extrêmes du BJP ont clairement apporté leur soutien à ces conversions forcées, et le Premier ministre Narendra Modi s’est, semble-t-il à dessein, gardé de condamner ces agissements. Lui-même a longtemps fait partie d’une formation paramilitaire extrémiste hindoue, la Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS). Cette « organisation nationale des volontaires » forte de plus de cinq millions de membres, a déjà été proscrite momentanément à trois reprises – la première fois en 1948, après l’assassinat par l’un de ses ex-militants du Mahatma Gandhi, puis en 1975 et enfin en 1992.
Le parti du BJP constitue le bras politique de ce mouvement hindouïste. Le déploiement des militants du RSS dans les campagnes, où il dispose de nombreuses écoles, a été essentiel dans la surprenante victoire du BJP, à la majorité absolue, lors des législatives de 2014. Le gouvernement se retrouve donc sous influence directe de ces idéologues du hindu rajtra – la transformation de l’Inde séculaire en république hindoue.
“Voleurs” à “attrapper”, folles rumeurs et “love jihad”
« Nous allons attraper les voleurs et récupérer nos précieux biens ».
Pour encourager la fusion entre les notions de citoyenneté et de religion, la ministre des affaires étrangères vient quant à elle de proposer de faire de l’un des ouvrages sacrés de l’hindouisme, le Gita (composé entre le Vème et le Ier siècle avant J.C), le « livre national indien ».
La stigmatisation des croyants d’autres obédiences prospère elle aussi, via la diffusion de folles rumeurs. En septembre, avant un scrutin local tenu dans l’Uttar Pradesh, des membres du BJP ont ainsi accusé les musulmans – qui représentent 12% de la population du pays – d’avoir lancé une opération « love jihad » ayant pour objectif d’encourager les pratiquants de l’Islam à épouser des femmes hindoues en vue de les convertir. L’intégrisme hindou déploie aussi sa haine à l’encontre des chrétiens. A New Delhi, une église catholique a été incendiée début décembre, et cinq autres vandalisées depuis lors. A ce jour, la police n’a procédé à aucune arrestation.
« En prenant pour cible les autres religions, les radicaux hindoux obligent la population à affirmer son identité hindoue
analyse Suhas Palshikar, professeur de science politiques à l’université de Pune. Cela réveille sa fierté religieuse et la mobilise autour de ce parti. Cette stratégie de division des communautés a beaucoup profité au BJP ».
Inquiétudes des élites et première défaite électorale pour Modi
La population éduquée de New Delhi s’inquiète réellement, et se mobilise contre le risque de voir une vague incontrôlée d’intolérance balayer le pays. Le 10 février dernier, elle a durement sanctionné le BJP, qui a perdu sa première élection, huit mois après avoir rafflé le Parlement national et trois régionaux. Résultat : pas moins de 67 sièges sur 70 de l’Assemblée de Delhi remportés par le Parti de l’Homme Ordinaire (Aam Admi Party, AAP), un mouvement de gauche créé en novembre 2012 par des militants anti-corruption.
La « magie Modi », alimentée par la promesse d’une relance économique libérale décomplexée, ne prend plus, diagnostiquent des commentateurs. Dans la foule des conducteurs de moto-taxis ou de jeunes actifs de classe moyenne qui fêtent la victoire du parti AAP d’Arvind Kejriwal, beaucoup n’ont pas honte de dire qu’ils ont voté pour Narendra Modi en mai dernier et qu’ils ne regrettent pas leur acte. Mais par contre, ils refusent de voir se creuser des divisions religieuses dans la capitale.
Cet échec du BJP est un avertissement lancé jusqu’au plus haut de l’Etat indien, à cet homme de 64 ans aux élégants costumes traditionnels et au collier de barbe blanc, décrit comme le politique indien le plus doué de sa génération. Le 17 février, devant une assemblée de représentants catholiques, Narendra Modi prend acte. Il lance, exceptionnellement en anglais, un message qui stupéfait son auditoire :
« Mon gouvernement ne permettra à aucun groupe religieux de propager de la haine contre un autre. Il offrira le même respect à toutes les religions. »
Sébastien Farcis à New Delhi
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