Culture
Témoin – Pékin contemporain

 

La leçon d’art de William Kentridge à UCCA

Détail de l’œuvre de William Kentridge présentée lors d’une rétrospective au Mexique au Museo Universitario de Arte Contemporáneo en el Centro Cultural Universitario
Détail de l’œuvre de William Kentridge présentée lors d’une rétrospective au Mexique au Museo Universitario de Arte Contemporáneo en el Centro Cultural Universitario. (Crédit : Francisco Garcia/NOTIMEX/AFP)

Pendant cet été riche en événements et dominé par le retour sur la scène pékinoise de l’artiste contestataire Ai Weiwei avec sa sextuple exposition, la fondation Ullens Center for Contemporary Art (UCCA) a elle choisi de jouer une carte différente en nous faisant cadeau de l’une de ses plus belles expositions de ces derniers années.
L’artiste sud-africain William Kentridge a ainsi été invité à développer un parcours complexe et articulé dans les énormes espaces de la fondation pour faire découvrir aux Pékinois toute la beauté raffinée, l’intelligence méticuleuse et la dimension en même temps profondément politique, engagée et poétique de son oeuvre.
L’exposition intitulée : « Notes Towards a Model Opera » est constituée, entre autres, d’une installation vidéo et d’une performance (dirigée par l’artiste lui-même), conçues autour d’une recherche multidisciplinaire sur l’histoire de l’Opéra, en tant que forme artistique à travers le monde. Cette recherche a été commencée par Kentridge il y a plusieurs années et elle culmine avec l’étude de l’opéra chinois classique.
C’est ce chemin qui se déroule devant nos yeux, avec une grande sensibilité et une utilisation savante de l’espace surtout en termes de mesure et de justesse dans le choix des pièces et des divers médiums utilisés. Ce voyage dans un univers riche, varié et rigoureusement cohérent nous donne le temps d’apprivoiser toute l’oeuvre de Kentridge.
Ainsi de ses premières animations en stop motion issues de dessins au fusain sur les thématiques de l’apartheid et des migrations de masse, on passe aux tapisseries présentant des silhouettes de migrantes sur-imprimées sur des cartes de différents pays africains, exempts de graves événements comme les guerres civiles et la violence ; puis l’on arrive à des sculptures, presque bidimensionnelles, inspirées des marionnettes du théâtre d’ombre chinois et de la gravure classique.
Se succèdent encore de nouveaux dessins, de nombreux objets, et des études de performance et autres projets de films et d’opéra. En effet, Kentridge a été appelé récemment pour diriger des opéras dans plusieurs villes du monde, dont New York ou pour réaliser la mise en scène du célèbre opéra de Chostakovitch, Le Nez. Lors de la mise en place de cette dernière, l’artiste a été capable de surprendre le public avec ses idées de scénographie simples mais élégantes et ses choix artistiques capables de réconcilier de manière organique le caractère traditionnel de cette forme artistique et les exigences créatives de la recherche d’avant-garde.
Et c’est ce sentiment qui nous accompagne jusqu’à la sortie : celui d’avoir reçu une leçon magistrale mais pas prétentieuse sur la pratique artistique et sur ce que signifie la « culture vivante ». Dans un monde de l’art dominé par la « personne » des artistes, plutôt que par leurs œuvres, cette leçon est celle qui place le contenu face à la surface, le raffinement face à la vulgarité, l’intelligence face au show-off.
Le monde en blanc et noir de Kentridge, avec ses théâtres d’ombres enrichis de toutes les tonalités de gris, se décline ainsi de façon répétitive mais jamais banale ou ennuyeuse dans l’éphémère de la performance, dans les archives de photos, dans les cartographies et les livres dessinées. C’est une narration qui nous confronte de manière métaphorique et physique avec les contradictions irrésolues et violentes d’un continent, l’Afrique, dont cet artiste est devenu l’une des voix les plus importantes.
Dans les contours nets et tranchants comme des rasoirs de ses sculptures et de ses images, on ressent la tension entre sa condition privilégiée d’artiste, blanc, appartenant à une culture dominante et colonisatrice dans un continent ravagée par la violence et l’injustice, et sa volonté de tout réinterpréter à travers le message universel, unificateur et tolérant de l’art.
Et c’est toute sa vie que nous découvrons ici en même temps que son oeuvre. Kentridge a ainsi commencé par témoigner des cicatrices et des blessures de son pays, l’Afrique du Sud, pour ensuite se concentrer sur les conditions des migrants et des exilés. Il nous définit ainsi tous comme des victimes potentielles de nos propres préjudices. Sa recherche sur l’opéra chinois et sur cette forme artistique en générale représente bien cette volonté de pousser encore plus loin cette tentative d’exploration des différences et similitudes des expériences culturelles pour en défendre la richesse et la complexité.

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A propos de l'auteur
Alessandro Rolandi est un artiste italien qui vit et travaille à Pékin depuis 2003. Son travail navigue entre l’art, la connaissance, le contexte social et le langage. Il utilise le dessin, la sculpture, l’installation, la performance, la photographie, les objets trouvés, les interventions, la vidéo et l’écriture textuelle. Il observe, emprunte, transforme et documente la réalité pour pour défier notre structure socio-politique, pointer ses effets sur notre vie quotidienne et sur nos schémas de pensée. alessandrorolandi.org
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