Culture
Pékin contemporain

 

Ai Weiwei, le retour

Une photographie de l'oeuvre "Trace" d'Ai Weiwei.
Un visiteur devant l'installation "Trace" de l’artiste chinois Ai Weiwei, lors de l’avant-dernière exposition de l’artiste sur l’île d’Alcatraz aux États-Unis, entre septembre 2014 et avril 2015. La liberté d’expression et les droits de l’homme étaient le coeur de ce vaste projet. (Crédit : JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
Pékin Juin 2015. Zhou Yongkang est condamné à la prison à vie et Ai Weiwei a finalement une expo en Chine, dans la capitale, après des années de tensions avec le gouvernement chinois, et plusieurs expositions dans les musées les plus prestigieux du monde, préparées via Skype à cause de son interdiction de voyager.

Est-ce que l’on peut encore rajouter quelque chose sur une expo d’Ai Weiwei ? Surtout dans ce cas précis puisqu’elle occupe 4 galeries différentes, parmi les meilleures de la capitale.

Peut-être que l’on ne peut qu’essayer de changer la perspective de départ.

Ai Wewei « est » son exposition à Pékin.

Ai Weiwei « est » une structure ancestrale de la dynastie Ming du VIème siècle avant J.C. dédiée au culte du prince Wang Hua, dans la région natale de son père, Ai Qing, la province de l’Anhui. C’est cette structure qui a été démontée en 1 500 pièces qui ont été rassemblées pour moitié à la Galleria Continua et pour moitié au Tang Contemporary Art Center. Certains de ses éléments sont peints avec des couleurs pop à l’acrylique, et ses piliers colossaux transpercent les murs et les bureaux des deux espaces en les hybridant avec un symbolisme fort d’intrusion et séparation.

Ai Weiwei « est » dans les caméras qui observent et enregistrent en temps réel les visiteurs de l’exposition.

Ai Weiwei « est » ces centaines des morceaux de céramique disposés sur le sol dans plusieurs installations minimalistes « aux caractéristiques chinoises ».

Ai Weiwei « est » ces « fils d’herbe » en bronze à Magician Space, la 3ème galerie, toujours dans le quartier 798.

Ai Weiwei « est » le film qui explicite comment l’expo à été conçue et préparée.

Ai Weiwei « est » un énorme tronc d’arbre-racine dans la cour de Chambers Fine Arts, la 4ème galerie, cette fois-ci dans le quartier voisin de Caochangdi.

Ai Weiwei « est » les millions de posts en ligne dans les différents réseaux sociaux.

Ai Weiwei « est » les milliers de photos où il apparaît seul et solennel avec sa barbe de vieux sage confucéen – quand il veux être sérieux – et dans les selfies, un peu moqueur, avec des groupies, quand il se sent taoïste.

Ai Weiwei « est » ses chaussures traditionnelles chinoises et ses sneakers Nike.

Ai Weiwei « est » la négociation pendant des mois avec le gouvernement pour que cette quadruple exposition de Pékin soit finalement autorisée.

Ai Weiwei « est » ses 4 ou 5 amis qui l’entourent tout le temps un peu comme le clan de Tony Soprano.

Ai Weiwei « est » dans les yeux de son fils lorsqu’il reçoit pour lui la distinction d’Ambassadeur de la conscience décernée par l’ONG Amnesty International à Berlin cette année.

Ai Weiwei « est » son passeport. Celui qui est pour le moment sous clé dans quelque tiroir de Zhongnanhai (c’est-à-dire la résidence des hauts dirigeants du Parti communiste chinois et de l’Etat chinois).

Ai Weiwei « est » un article qui explique comme il a négocié un compromis pour avoir une expo à Pékin.

Ai Weiwei « est » un autre article qui le cite comme l’un des « top trois » dans la classification des artistes dissidents.

Ai Weiwei « est » Angela Merkel qui l’appelle au téléphone ; il « est » Hillary Clinton qui le rappelle après et il « est » François Hollande qui ne sait pas s’il doit l’appeler ou pas, mais qui aimerait bien.

Ai Weiwei « est » sa série de portraits de combattants pour la liberté et la démocratie en Lego, exposée à Alcatraz ; mais il « est » aussi sa série de bronzes, copies des têtes du zodiac chinois détruites par l’armée des Légations pendant le sac du Vieux Palais d’été (octobre 1860), et qui rappellent à l’Occident que la Chine n’a pas oublié.

Ai Weiwei « est » son engagement politique qui lui a coûté 80 jours de prison secrète. L’Occident est depuis en extase ; et la Chine hésite encore un peu mais elle va peut-être y arriver.

Ai Weiwei « est » ses tweets désacralisants, subversifs et compulsifs.

Ai Weiwei « est » les centaines de Chinois qui lui ont prêté de l’argent pour payer l’amende sur les impôts imposée par le gouvernement.

Ai Wewei « est » le timing de ses actions, ni visionnaire-incompris, ni nostalgique dans sa tour d’ivoire. Il est ce présent brutal ou toute crise – comme dans le mot chinois weiji – est une « occasion dangereuse » qui existe juste un instant et qu’il faut immédiatement partager grâce à la viralité de la communication.

Bien que né dans les rangs les plus élevés dans la société, Ai Wewei a – comme tout Chinois de sa génération – vu la vie de sa famille et des autres se dérouler entre le chaos et le vide, entre le pouvoir et la précarité, entre l’absurdité de l’idéologie et l’horreur de la violence.

Pour moi, Ai Wewei « est » ce monsieur, qui détruit des vases de la dynastie Han pour ensuite sauver de vieux temples : ce qui est beaucoup plus intéressant que tous les stéréotypes qu’on désire lui apposer. Et j’espère donc que les galeries, aussi dominantes et sévères vis-à-vis de la plupart des artistes soient-elles, seront toujours prêtes à détruire leur murs pour recevoir ses oeuvres.

Je crois que lorsqu’il en aura marre de jouer et d’être « tout le monde », il usera d’un dernier sortilège et deviendra un de ces gros chats blancs aux yeux bleus qui se baladent la nuit sur les toits de Pékin.

Lao Ai Bucuo ! Chapeau !

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Alessandro Rolandi est un artiste italien qui vit et travaille à Pékin depuis 2003. Son travail navigue entre l’art, la connaissance, le contexte social et le langage. Il utilise le dessin, la sculpture, l’installation, la performance, la photographie, les objets trouvés, les interventions, la vidéo et l’écriture textuelle. Il observe, emprunte, transforme et documente la réalité pour pour défier notre structure socio-politique, pointer ses effets sur notre vie quotidienne et sur nos schémas de pensée. alessandrorolandi.org
[asl-front-abonnez-vous]