Politique
Expert - l’Asie en Russie

 

Russie-Chine, l’amour ?

Le président chinois Xi Jinping et son homologue russe Vladimir Putin lors d’une rencontre à Ufa en Russie
Le président chinois Xi Jinping et son homologue russe Vladimir Putin lors d’une rencontre à Ufa en Russie (Crédit : Li Xueren / Nurphoto)
Les policiers de la région de Khabarovsk apprennent à lire les idéogrammes pour débusquer les fausses signatures et on propose des cours de chinois gratuits aux enfants de maternelle et de primaire à Vladivostok. Pour autant, malgré ces signes de rapprochement, qu’en est-il réellement des relations entre le pays le plus peuplé et le pays le plus vaste du monde ?

Une alliance géopolitique et militaire

4 000 km de frontière commune n’ont sans doute jamais permis à la Chine et à la Russie d’avoir des relations simples. Les deux pays ont engagé ce qu’ils appellent un « partenariat stratégique » dans plusieurs domaines depuis les années 1990, et les différends frontaliers ont été réglés en 2008. L’importance de ce partenariat est régulièrement réaffirmée par les deux pays, mais cette alliance est avant tout géopolitique et militaire.
Car la mémoire historique retient aussi des moments de crise, comme les « traités inégaux » du XIXe siècle, les crises russo-chinoises des années 1930 et 1960, ou la rivalité pour le leadership communiste. La colonisation des territoires de l’Est sibérien et de l’Extrême-Orient russe s’est faite d’ailleurs en partie au détriment de la Chine, et ces territoires ne sont véritablement peuplés de Russes que depuis le XIXe siècle. Côté russe, depuis la fin de l’URSS et le déclin de la Russie asiatique (exode de population, désindustrialisation…), le « péril jaune » est un thème qui apparaît dans les médias régionaux, sur l’Internet russe ou chez certains politiques. D’ailleurs, et cela malgré l’héritage centre-asiatique de l’URSS et l’immensité de son territoire asiatique aujourd’hui, la Russie cherche depuis les années 1990 à être considérée comme faisant partie de l’espace culturel, politique et économique européen comme l’a rappelé le président Vladimir Poutine à l’occasion d’une conférence de presse à Shanghai.
Certains intellectuels, parmi les opposants à l’Occident et notamment les néo-eurasistes, réclament une réorientation de la politique russe vers l’Est. Mais l’orientation asiatique de la politique extérieure de la Russie semble répondre davantage au désir de diversifier les alliances au niveau international (en prenant en compte la puissance nouvelle des pays d’Asie-Pacifique dans l’économie mondiale), qu’à une réelle volonté de rééquilibrer le pays entre ses composantes européenne et asiatique.
Pour creuser le sujet des néo-eurasistes russes, on se reportera en priorité vers les excellents travaux de l’historienne Marlène Laruelle.
C’est d’ailleurs comme ceci qu’il faut comprendre l’intérêt pour la Chine qu’a montré Vladimir Poutine dès son arrivée au pouvoir en 2000. A l’époque, il se félicitait même de la russophilie de ses interlocuteurs chinois lors d’une visite officielle à Pékin.

Un partenariat économique déséquilibré

La réalité des relations entre les deux pays dément pourtant l’idée d’un partenariat économique équilibré tel qu’il est présenté dans les discours positifs des dirigeants des deux pays. Les relations économiques de la Chine avec les États-Unis sont bien plus importantes que celles avec la Russie, à l’inverse d’ailleurs de leurs relations politiques. La structure des échanges économiques entre les deux pays est ainsi très déséquilibrée. Certes, la Chine, devenue un des principaux acheteurs d’équipements militaires au monde, se fournit principalement en Russie, un des premiers vendeurs d’armes mondiaux. Et la croissance économique chinoise a aussi pour conséquence l’augmentation des besoins énergétiques, un domaine où la Russie domine. Mais justement, la Russie craint de n’être pour la Chine qu’un fournisseur d’énergie ou de matières premières comme le bois, alors que son industrie, particulièrement dans la partie asiatique, bat de l’aile. La Chine de son côté exporte énormément de produits manufacturés (surtout des produits de consommation courante) chez son grand voisin.

Quelles évolutions ?

Mais la signature en mai 2014 d’un accord gazier très important marque peut-être un changement à venir dans les relations entre les deux pays. L’accord était attendu par la Russie depuis plusieurs années, et lui permet de diversifier ses débouchés sur trente ans. Un nouvel accord a depuis été conclu sur le gazoduc Altaï. Ce projet ferait de la Chine le premier client de la Russie pour le gaz devant l’Allemagne d’ici quelques années. Soit dit en passant, la Chine serait fournie d’ailleurs aussi bien en gaz de Sibérie occidentale que de Sibérie orientale, comme elle le souhaitait.
Cependant, si le volume d’échanges ne cesse d’augmenter, il reste toujours assez inégal (matières premières contre produits transformés). Un accord a été conclu pour simplifier les procédures de douane à la frontière à partir du 1er mai 2015, ce qui dénote un pas supplémentaire franchi de part et d’autre mais la Russie cherche aussi à être moins dépendante de la Chine pour le développement de ses territoires asiatiques et cherche d’autres partenaires en Asie pour consolider le développement économique de ces régions.
La Chine reste malgré tout un partenaire de la plus haute importance, comme le montre l’invitation des dirigeants chinois aux célébrations du 70e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, un épisode sur lequel le service de communication présidentiel russe a beaucoup insisté, en raison aussi du boycott des pays occidentaux. Et de nombreux Russes, qu’il s’agisse d’hommes politiques, de responsables économiques ou de citoyens ordinaires, parlent souvent de manière positive de la Chine, et de la façon dont le pays a su devenir une puissance économique sans se transformer en état politiquement libéral et démocratique.
L’ancien grand frère soviétique semble par certains côtés s’être transformé en petit frère qui pense avoir désormais tout à apprendre de son nouveau modèle. Pour le meilleur comme pour le pire.

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A propos de l'auteur
Céline Peynichou est diplômée de l'université Paris IV-Sorbonne en langue et civilisation russe et en histoire, et titulaire d'un DESS en relations internationales de l'INALCO. Elle a travaillé plusieurs années en Russie et enseigne aujourd'hui en lycée professionnel. Elle donne aussi des cours d'histoire-géographie en russe en section européenne en lycée général.
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