Pakistan : comment être chrétien à Peshawar ?

Contexte
Cette vague de violence n’est qu’un retour du même. Il y a quatre ans à la même période, le 2 mars 2011, le ministre chrétien des Minorités, Shahbaz Bhatti, était assassiné pour sa position défavorable à la loi anti-blasphème. Deux mois plus tôt, le 4 janvier 2011, le gouverneur de la province du Pendjab, Salman Taseer, était tué par son garde du corps pour les mêmes raisons. L’affaire Asia Bibi, cette jeune paysanne chrétienne, mère de cinq enfants, condamnée à la pendaison pour blasphème, a déclenché une grave crise politique au Pakistan. Le gouvernement promettait des amendements à la loi pour calmer les esprits échauffés par son sort, mais les partis politiques religieux ont eu gain de cause.
Alors que l’histoire se répète tristement, nous avons décidé de republier ce reportage rarissime de Sylvie Lasserre (1), notre correspondante à Islamabad. Fin 2012, elle fut l’une des seuls journalistes occidentaux à pouvoir se glisser au coeur de la communauté des chrétiens de Peshawar, méprisés, oubliés, considérés comme « les plus pauvres d’entre les pauvres ».
Ici, tout le monde l’appelle « doctor Sarah ». Sarah Safdar, la soixantaine élégante, souriante et courtoise, dirige le département de sociologie de l’Université de Peshawar. Un double mérite car elle est femme et chrétienne. Mais selon elle, les chrétiens ne sont victimes d’aucune discrimination : « Au Pakistan, c’est comme partout dans le monde, vous trouvez différents groupes sociaux économiques. Même chez les musulmans, vous avez une élite, des riches et des pauvres. » Et comme pour mieux enfoncer le clou, elle ajoute en baissant la voix : « Me croiriez-vous si je vous disais qu’ici, dans la province de Khyber Pakhtunkwa, il y a beaucoup de tolérance envers les chrétiens ? Beaucoup ! A Peshawar nous avons même une église et une mosquée mitoyennes, séparées par un simple mur ! N’est-ce pas le symbole de la tolérance ? » Est-elle réellement convaincue ou bien tente-t-elle de me convaincre ?
« Dans cette province, il n’y a aucune discrimination contre les chrétiens. Je n’en ai pas trouvé ! Vraiment, je n’en ai pas trouvé ! »
Tout semble donc idéal pour les chrétiens de Peshawar… Et elle me recommande de rencontrer Humphrey Peters, l’évêque de la province de Khyber Pakhtunkwa. « Vous le trouverez à la cathédrale St John. Vous devriez aussi vous rendre à l’hôpital de la Mission, c’est un excellent hôpital ! »
« Ici, ce n’est pas comme dans le Pendjab où des églises ont été brûlées. »
« La peur est toujours là ! Tout peut arriver à tout moment. »
Dans la madrasa voisine
« Nous n’avons que des jobs de balayeurs ! »
Des gamins me courent derrière, pour me montrer leur quartier : « Chicken ! » Soudain, alors qu’Imran s’éclipse pour traiter avec les agents de la sécurité, un jeune homme s’approche de moi. Très vite, comme pour ne pas perdre une seconde, il murmure :
« C’est très difficile pour nous ici ! Nous sommes complètement opprimés. Ils nous rabaissent. Nous n’avons que des jobs de balayeurs. S’il y a une bagarre, c’est toujours le chrétien qui a tort. S’ils blasphèment, ils ne sont pas inquiétés. Mais nous nous le sommes. »
Impossible amendement de la loi anti-blasphème
« Nous n’avons jamais refusé de membres non musulmans. »
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