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Le gouvernement contre les ONG

Photo d'un policier pakistanais devant le portail cadenassé des bureaux de l’ONG “Save the Children”
Un policier pakistanais devant le portail cadenassé des bureaux de l’ONG “Save the Children” à Islamabad le 15 juin 2015. (Crédit : AAMIR QURESHI / AFP)
Le ministère pakistanais de l’Intérieur a ordonné le 11 juin dernier l’interdiction de l’ONG internationale « Save the Children » . Dans le même temps, ses bureaux à Islamabad ont été placés sous scellés et il lui a été demandé de rapatrier ses responsables étrangers ; même si ceux-ci avaient déjà quitté le pays depuis que l’organisation avait été accusée par le gouvernement d’avoir apporté son soutien à Shakil Afridi. Ce médecin avait en effet été inculpé d’espionnage et emprisonné pour avoir mené une fausse campagne de vaccination destinée à aider la CIA à dépister Oussama Ben Laden.

C’est en réalité tout un chapitre du rapport de la commission mise en place par le gouvernement pakistanais pour enquêter sur le raid américain sur la cache de l’homme le plus recherché de la planète à Abbottābād, qui a été consacré aux liens entre le Docteur Shakil Afridi et l’ONG. Les seules preuves d’espionnage relevées furent les quelques rencontres entre ce médecin et des responsables de Save the Children, au sujet de ses projets de santé publique dans la zone tribale de Khyber où il exerçait à cette époque.

L’ONG Save the Children travaille au Pakistan depuis plus de 35 ans et emploie pas moins de 1 200 personnes. Elle s’était notamment distinguée dans des opérations de secours suite aux terribles inondations de 2010 où elle avait prodigué de l’aide à plus de 2 millions de personnes ayant fui la vallée du Swat après sa conquête par les Talibans en 2009. Bien avant son interdiction, l’organisation avait d’ailleurs été priée de mettre fin à ses activités dans la province du Khyber-Pakhtunkhwa et au Baloutchistan. Et, selon son porte-parole, le gouvernement pakistanais bloquait déjà depuis quelque temps ses approvisionnements de matériel humanitaire en provenance de l’étranger.

Une autre ONG, Oxfam International , est également interdite d’activités dans la province du Khyber-Pakhtunkhwa. Et la liste s’allonge. Ainsi, le comité international de la Croix Rouge a également dû abandonner ses projets au Baloutchistan suite à l’assassinat – non élucidé jusqu’ici – du responsable britannique de son programme de santé publique à Quetta en 2012.
Le point commun entre toutes ces organisations, c’est qu’elles se sont rendues indispensables dans les zones dites « sensibles » ; celles où les infrastructures de santé sont des plus rudimentaires, celles où la détresse humaine est la plus prononcée et les abus des droits de l’homme les plus flagrants : à savoir le Baloutchistan, le Khyber Pakhtunkhwa et le Gilgit-Baltistan.

Le jour suivant l’interdiction de l’ONG Save the Children, le ministre pakistanais de l’Intérieur Chaudhri Nisar Ali Khan s’est lancé, lors une conférence de presse spécialement convoquée pour l’occasion, dans une attaque violente contre les ONG qui travailleraient selon lui contre les intérêts nationaux ; l’Inde, Israël ou les USA étant à la baguette. « Les informations en provenance de l’étranger suggèrent que quelques ONG internationales fonctionnant au Pakistan travaillent contre les intérêts nationaux » , a t-il martelé à la tribune. Dans le même temps, il a également évoqué les rapports des services de renseignements de l’Etat mettant en cause les activités compromettantes de Save the Children.

La situation semble donc irrémédiablement tendue, et cela malgré la suspension provisoire de la mesure frappant l’ONG Save the Children, suite à une mise en garde américaine. L’épée de Damoclès de l’interdiction reste suspendue au-dessus de sa tête et celle d’une vingtaine d’autres ONG et organismes humanitaires. Parmi eux, Catholic Relief Services , Oxfam, International Alert , Norwegian Refugee Council , Danish Refugee Council , Johanniter International Assistance ou encore Mercy Corps .

Doit-on conclure que les jours des ONG au Pakistan sont comptés ? Oui, selon le gouvernement qui a annoncé qu’il donnait six mois à toutes les ONG internationales pour se conformer à la future loi-cadre bientôt mise en place et destinée à réglementer leur fonctionnement. Selon la presse, cette loi va astreindre les ONG à n’opérer que dans les zones qui leur seront allouées. De même, elles verront leur financement international plafonné alors même qu’un droit d’audit sur leurs activités sera accordé au gouvernement.

Pour comprendre l’élaboration de cette future loi-cadre, il faut rappeler que le gouvernement pakistanais n’a jamais autorisé les ONG internationales à mener des opérations de secours après le séisme dans la région d’Awaran au Baloutchistan en septembre 2013. Faute d’autorisation, ces organisations sont bien entendu également été bannies des camps de réfugiés déplacés par les opérations militaires au Waziristân. Là, seule Jamaat ud Dawa, la façade éducative et caritative de Lashkar-e-Tayyaba (soit « l’armée des pieux », organisation militant avec violence pour un rattachement du Pakistan à l’Etat du Cachemire voisin), a un droit d’accès.

Cette attaque en règle contre les ONG coïncide avec les accusations proférées contre l’Inde par les plus hautes instances de l’Etat pakistanais. L’Etat indien est en effet accusé de financer les séparatistes baloutches et le MQM, le parti des Mohajirs de Karachi. De façon inédite, l’armée, qui laisse normalement le gouvernement se prononcer sur les affaires touchant les relations bilatérales, s’est déclarée « très préoccupée par les activités subversives des services de renseignement indien – RAW – au Pakistan ».

Incriminer la main étrangère pour expliquer les problèmes internes, n’est pas nouveau au Pakistan. Mais, devant la crise existentielle sans précèdent que traverse le pays aujourd’hui, le recours à la théorie du complot étranger devient très commode. De plus, la mainmise sur les ONG s’explique par la volonté de l’Etat pakistanais d’empêcher à tout prix la transmission aux médias internationaux de témoignages directs sur les violations généralisées des droits de l’homme dans les régions où le travail des ONG internationales est le plus apprécié par les populations en détresse. Enfin, le gouvernement de Nawaz Sharif, de toute évidence sous l’impulsion de l’establishment sécuritaire et de l’armée, tente d’enrayer le mécontentement public et de le rediriger vers l’anti-indianisme et la paranoïa anti-occidentale.

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A propos de l'auteur
Hidayat Hussain est diplomé en sociologie de l'université de Paris VIII (faculté de Vincennes de l'époque). Il a enseigné le français à Karachi et a été responsable d'etudes au Service Economique francais de Karachi. Il est l'auteur d'une anthologie de la poesie pakistanaise en francais "Ce soir oppressant n'en finit pas de finir".Il est actuellement coordinateur du Centre des Sciences Sociales de Karachi (CSSK).
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