Politique
Le Pakistan au fil de l’actualité

Pourquoi le Pakistan refuse de s’engager au Yémen

Photo du premier ministre Pakistanais
Le Premier ministre pakistanais Nawaz Sharif lors de la session de clôture du 18ème somme et de la SAARC (Crédit : AFP PHOTO/POOL/NIRANJAN
Les liens étroits qui unissent le Pakistan et l’Arabie Saoudite depuis des décennies, sont bien connus. Leurs rapports s’étaient certes un peu refroidis du temps où le Peoples Party d’Asif Zardari, veuf de Benazir Bhutto, dirigeait le gouvernement. Mais ils se sont renforcés depuis le retour au pouvoir de Nawaz Sharif en 2013. Deux fois Premier ministre dans les années 1990, Sharif avait passé une grande partie de ses neuf années d’exil en Arabie Saoudite, après avoir été évincé par le coup d’Etat du General Musharraf en 1999. Depuis lors, Nawaz Sharif bénéficie d’une grande faveur de la part des autorités saoudiennes. Dès sa dernière victoire aux élections, les Saoudiens ont annoncé un don d’1,5 milliard de dollars au Pakistan pour renflouer ses réserves de change grevées par ses importations pétrolières.

Le gouvernement Zardari, sans doute en raison de l’appartenance chiite de la famille Bhutto, avait essuyé un refus saoudien systématique pour toute aide de ce genre. Certainement, le souci primordial de l’Arabie Saoudite était de s’assurer, avant tout engagement financier, de la capacité du gouvernement pakistanais de s’aligner sans état d’âme sur ses positions diplomatiques et politiques.

Le dilemne de Nawaz Sharif

Devant l’aggravation de la crise au Yémen et face aux demandes saoudiennes pressantes de s’engager formellement dans la coalition, Nawaz Sharif était devant un dilemme. S’il prenait parti pour un allié précieux, il risquait de s’aliéner une opinion publique réticente à se mêler d’un conflit à hauts risques. La coalition menée par Ryad pour aider militairement le gouvernement yéménite sunnite contre les rebelles chiites houthis, peut en effet basculer dans un affrontement direct entre une Arabie Saoudite sunnite et un Iran chiite.

La situation actuelle a en fait mis le gouvernement d’Islamabad au pied du mur : d’un coté, il ne pouvait pas opposer une fin de non-recevoir catégorique aux saoudiens, et de l’autre, il devait tenir compte d’une opinion publique guère convaincue de l’opportunité d’un engagement militaire dans le conflit yéménite.

Aucun des principaux partis de l’opposition représentés au Parlement – le Peoples Party, le MQM (parti des Mohajirs, majoritaire à Karachi) et l’ANP (Parti Nationaliste Pachtoune) – ne s’est prononcé pour un engagement militaire de la part du Pakistan ; même le PTI d’Imran Khan s’est abstenu de le prôner.

Dans cette situation, la résolution unanime du parlement pakistanais de ne pas prendre parti dans ce conflit tout en se déclarant solidaire de l’Arabie Saoudite pour la défense de son intégrité territoriale, a momentanément arrangé les choses pour un gouvernement incapable de dire non aux Saoudiens. Il va sans dire qu’une telle résolution n’aurait pas été possible sans le concours du parti gouvernemental et de l’armée, qui fortement embourbée dans les zones tribales contre les Talibans, rechigne à engager ses troupes dans le conflit yéménite. A noter que même le Jamaat Islami, qui est toujours très sensible au point de vue de l’armée, a voté pour la résolution.

La promesse aux Saoudiens

Restait à satisfaire l’Arabie Saoudite. Le premier ministre Nawaz Sharif et le chef d’état-major de l’armée ont du s’y employer en se rendant à Riyad pour promettre un soutien ferme dans le cas où le conflit mettrait en danger la sécurité du territoire saoudien.

Le délicat équilibre qu’essaie de maintenir le Pakistan risque de s’avérer intenable en cas d’aggravation du conflit. Si Islamabad finit par céder aux pressions saoudiennes, les fractures sectaires de la société pakistanaise pourraient s’accentuer. Comme le laisse présager la bataille entre pro- et anti-saoudiens hors du Parlement. Déjà la Jamaat ul Dawa, façade politique de l’infâme Lashkar-e-Tayyaba, a organisé des manifestations de solidarité avec l’Arabie Saoudite, alors que le principal groupement chiite, Majlis-Wahdat-e-Muslimeen, est monté au créneau pour dénoncer les « machinations » saoudiennes contre la République islamique d’Iran.

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A propos de l'auteur
Hidayat Hussain est diplomé en sociologie de l'université de Paris VIII (faculté de Vincennes de l'époque). Il a enseigné le français à Karachi et a été responsable d'etudes au Service Economique francais de Karachi. Il est l'auteur d'une anthologie de la poesie pakistanaise en francais "Ce soir oppressant n'en finit pas de finir".Il est actuellement coordinateur du Centre des Sciences Sociales de Karachi (CSSK).