Société

Le Kirghizistan, havre de l’islamisme fondamental en Asie centrale

Photo de musulmans rassemblés pour la prière
Des milliers de musulmans rassemblés pour la prière de l’Eid al-Adha à Bichkek le 4 Octobre 2014. (Crédit : AFP / Nezir Aliyev / Anadolu Agency)
Avec le groupe Etat Islamique qui recrute toujours plus de combattants pour la Syrie, les dirigeants des pays d’Asie centrale craignent le retour du djihadisme chez eux. Cependant, il est une petite république qui ne combat pas l’islamisme fondamental : le Kirghizistan. Il s’y développe rapidement, notamment sous l’action prosélyte de la Tablighi Jemaat (la communauté des Tabligh), un mouvement religieux fondamentaliste que le Kirghizistan est la seule république centrasiatique à n’avoir pas interdit. Alors que de nombreux mouvements islamistes extrémistes ont été bannis de la région il y a plusieurs années, le Tabligh est en plein essor dans cette petite république montagneuse. Et il ne cesse de recruter de nouveaux adeptes. Bien qu’apolitique et pacifique, ce mouvement facilite, involontairement, le recrutement d’éléments radicaux par des groupes plus extrémistes. Sylvie Lasserre, basée à Islamabad, est partie sur les routes kirghizes. Reportage.

Un village ensoleillé sur un plateau des Tien Shan, par un bel après-midi d’automne. C’est le jour du mariage de Nurlan, un jeune homme de 29 ans. Sur un air de variété russe, les convives dansent joyeusement devant la yourte autour de laquelle flottent des ballons de baudruche de toutes les couleurs. La mariée, Janyl, 24 ans, a adopté une robe blanche courte. La vodka coule à flots. Comme tous ses amis ici, Nurlan se revendique athée. Deux proches pourtant se font remarquer par leur absence : Cholpon, 29 ans, la sœur aînée de la mariée, et Aibek, 29 ans, le cousin germain d’Aki. « Aibek est comme mon frère ! lance Nurlan. Nous avons grandi ensemble. Nous avons même travaillé comme agents de sécurité au bazar Dordoy à Bichkek, mais maintenant il est devenu très musulman… Fanatique ! »

Photo d'un mariage au Kirghizistan
Un mariage où brillent par leur absence la soeur aînée de la marié et le cousion du marié, tous deux radicalisés. (Copyright : Sylvie Lasserre)

Aibek, qui s’appelle maintenant Umar, est parti l’an dernier quatre mois à Dacca au Bangladesh avec la Tablighi Jemaat, une communauté islamique née en Inde à la fin des années 20 et devenue aujourd’hui le premier mouvement musulman au monde avec plus de 70 millions d’adeptes. Son objectif : répandre l’islam fondamental dans le monde de manière pacifique.

A son retour du Bangladesh, ses proches ne reconnaissaient plus Aibek : il ne faisait plus la bise à ses cousines et avait totalement changé d’apparence : « Maintenant il porte un turban et les cheveux longs ‘comme le prophète Jésus’ et s’habille en shalwar kameez, la tenue traditionnelle des Pakistanais, raconte Nurlan. Et alors qu’il était grand et costaud, il est devenu maigre ! Un jour je me suis moqué de lui, il s’est vexé et est parti dormir à la mosquée, se souvient Nurlan en riant. Puis vers minuit je suis venu m’excuser et je l’ai ramené à la maison ». Sais-tu comment ton cousin a financé son voyage au Bangladesh ? Nurlan l’ignore : « C’est assez mystérieux. Il n’a rien voulu me dire. Même pas à ses parents. » Puis-je le rencontrer ? « Il ne sera pas d’accord car il ne doit pas parler à d’autres femmes ». Même si j’enfile une burqa ? « Oui mais tu ne peux pas masquer ta voix ! Il dit que les femmes doivent cacher leur voix ! »

Si Nurlan n’est pas présent au mariage de son cousin, c’est, on l’aura compris, pour éviter de croiser des femmes et se trouver dans des lieux où circule l’alcool. Pour lui, les deux seules fêtes autorisées sont désormais l’Aïd et Kurban Aïd.

Contexte

Ils sont de plus en plus nombreux à partir se battre en Syrie. La plupart venus du Tadjikistan, du Kazakhstan et du Kirghizistan. Alors que le spectre de Daech s’étend au Moyen-Orient, en Asie centrale et jusqu’en Afghanistan et au Pakistan, les dirigeants des républiques d’Asie centrale s’inquiètent de la montée de l’extrémisme religieux et en particulier de l’Etat Islamique, craignant le retour des djihadistes sur leur territoire. La Russie, qui accueille plus de deux millions de travailleurs d’Asie centrale, est également concernée : Vladimir Poutine vient d’appeler à des actions coordonnées entre son pays, le Tadjikistan, le Kazakhstan et le Kirghizistan pour lutter contre les djihadistes. Selon un rapport récent d’International Crisis Group, de 2000 à 4000 Centrasiatiques ont rejoint la Syrie ces trois dernières années : Tadjiks, Kazakhs, Ouzbeks, Turkmènes, Kirghiz…

Le Tabligh répand une foi musulmane rigoriste à vitesse grand V

Fortement prosélyte, fondamentaliste et pacifique, la Tablighi Jemaat est souvent comparée aux témoins de Jéhovah ou encore à l’ordre des Jésuites. L’adhésion au Tabligh consiste en une série de journées d’apprentissage entièrement dévolues à la religion et aux méthodes de recrutement : d’abord trois jours, puis quinze, ensuite quarante jours et enfin quatre mois, ces derniers passés au Pakistan, en Inde ou au Bangladesh, quel que soit le pays d’origine des recrues. Toujours loin des proches, par groupes de cinq sur les routes, faisant du porte à porte, priant et dormant la nuit dans les mosquées rencontrées en chemin, les Tablighi répandent la foi musulmane rigoriste à vitesse grand V, et en particulier au Kirghizistan.

Bien qu’interdite dans l’ensemble des pays d’Asie centrale qui la considèrent comme une organisation extrémiste – elle est bannie depuis toujours au Turkménistan et en Ouzbékistan, depuis 2001 au Tadjikistan et 2013 au Kazakhstan -, la Tablighi Jemaat reste autorisée au Kirghizistan et s’y développe rapidement depuis une dizaine d’années. Nurlan peut en témoigner :

« Sans arrêt ils sonnent à ma porte ! En ce moment ils ne passent pas car nous fêtons le mariage, mais dès que ce sera fini, ils reviendront ».

Au Kirghizistan, l’autorisation du mouvement fait pourtant débat : certains considèrent qu’il est une bonne chose car il répond aux problèmes sociaux comme l’alcoolisme qui fait des ravages dans le pays, tandis que d’autres le considèrent comme une organisation extrémiste.

De l’avis des experts, le mouvement n’a aucun lien avec le terrorisme. Olivier Roy, chercheur à l’Institut Universitaire Européen de Florence en Italie et spécialiste de l’islam politique, est formel : « Le Tabligh, en tant qu’organisation, reste à l’écart de la politique et n’a jamais encouragé ni soutenu le terrorisme. » Ce que confirme Bayram Balci, chercheur au CERI-Sciences Po à Paris : « Ils sont contre toute forme de politisation de l’islam et refusent toute violence. Pour eux, le djihad c’est le porte à porte ». Néanmoins, pour le chercheur du Ceri, « les gens font souvent le lien entre Tabligh et salafisme ou wahhabisme ou djihadisme parce qu’en Inde comme au Pakistan, il y a beaucoup de madrasas proches de la Tablighi Jamaat, et que, parmi les recrues, certains trouvent l’éducation insuffisamment militante à leur goût et se tournent vers des formes d’islam beaucoup plus radicales. Mais la Tablighi Jamaat n’est pas responsable de leur radicalisation car même si elle professe un islam fondamental et prosélyte, elle s’oppose clairement à toute violence ».

80 % des islamistes radicaux en France ont eu un contact avec le Tabligh

Pourtant, en Occident, les cas de musulmans passés par le Tabligh avant de se radicaliser ne sont pas rares. Selon Stratfor, une société privée américaine qui œuvre dans le domaine du renseignement, 80% des islamistes radicaux en France ont eu un contact plus ou moins formel avec le Tabligh. C’est le cas en particulier d’Hervé Djamel Loiseau, d’abord parti à Lahore chez les Tablighi avant d’être recruté par un groupe plus violent et conduit vers les camps militaires des zones tribales (où finalement il sera retrouvé mort de froid dans les montagnes de Tora Bora). C’est encore le cas des terroristes français Moussaoui, Beghal et Reid, passés par le mouvement des Tablighi avant de se radicaliser.

En Espagne, les 14 suspects arrêtés à Barcelone en janvier 2008 alors qu’ils préparaient des attaques terroristes visant la ville étaient membres du Tabligh. John Walker Lindh, terroriste américain : passé également par le Tabligh au Pakistan. De même, Mohammed Siddique Khan et Shahzad Tanweer, dirigeants de la cellule responsable des attentats de Londres de juillet 2005, avaient fait un crochet par le Tabligh avant de le délaisser pour un groupe plus radical, jugeant le mouvement trop apolitique. Les nouvelles recrues du Tabligh sont en effet activement courtisées par des groupes islamistes radicaux, que ce soit en Europe ou au Pakistan, et les mosquées du mouvement servent de lieux privilégiés pour les rabatteurs qui cherchent à recruter djihadistes et terroristes. Enfin, lors du récent coup de filet de la police italienne contre un réseau terroriste le 24 avril dernier, l’imam à la tête du centre Tabligh Eddawa de Bergame a été arrêté, car soupçonné de détourner les fonds des fidèles pour l’entreprise terroriste.

L’Asie centrale, réserve de combattants pour l’Etat islamique

Avec la menace grandissante du groupe Etat Islamique (EI) et le retrait des troupes américaines d’Afghanistan, les dirigeants des pays d’Asie centrale sont de plus en plus inquiets. Les dernières estimations, publiées en janvier dernier dans un rapport de l’International Crisis Group, indiquent qu’entre 2 000 et 4 000 personnes ont rejoint la Syrie ces trois dernières années. Toujours selon ce rapport, les chiffres ont été sous-estimés et aujourd’hui l’on estime que plus de 2 500 Ouzbeks, d’Ouzbékistan et du Kirghizistan (région d’Osh), seraient en Syrie, dont un millier d’hommes et de femmes originaires de la vallée de Ferghana (Kirghiz et Ouzbeks).

Au Tadjikistan, on estime le nombre de jeunes partis combattre avec l’EI à environ 300, dont 50 auraient déjà été tués. Dans ce même pays, une cinquantaine d’islamistes âgés de 20 à 30 ans et recrutés pour la guerre en Syrie ont été arrêtés. Ouzbeks ethniques originaires du nord du Tadjikistan pour la plupart, ils sont membres du Jamaat Ansarullah, branche du Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO) au Tadjikistan, et de l’organisation islamiste ouïghoure Mouvement islamique du Turkestan oriental.

Quatre cents Turkmènes seraient partis combattre sous la bannière de l’EI et environ 300 Kazakhstanais, dont 39 ont pu être identifiés, parmi lesquels 5 femmes et 11 enfants. S’agit-il des onze enfants qui ont fait l’objet d’une vidéo de propagande de l’EI parue en novembre 2014 ? L’un des enfants, environ dix ans, était filmé en janvier en train d’exécuter deux « espions » du Kazakhstan.

Enfin, près de 500 Kirghiz combattraient en Syrie le régime de Bashar al-Assad, dont plus d’une centaine dans les rangs de l’EI, la majorité étant originaires de la région d’Osh, au sud du Kirghizistan, traditionnellement plus religieuse. En effet, Osh, Jalal-Abad et les environs de Nookat, Aravan, Uzgen et Kara Suu, des villes du sud du pays, sont considérées ici comme le foyer de l’islamisme radical.

Les femmes kirghizes, recrues de choix pour les groupes islamistes clandestins

Alors qu’il y a encore quelques mois on ne trouvait aucun Kirghiz sous la bannière noire de l’EI, leur nombre est en constante augmentation. Il est très facile pour eux de se rendre en Syrie via la Turquie. L’aller-retour Bichkek-Istanbul coûte moins de 300 euros. Huit Kirghiz originaires de la région de Batken dans le sud, ont été tués en combattant aux côtés de Daesh. Trente-quatre autres combattants identifiés seraient originaires de cette même région méridionale. Trois Kirghiz se trouveraient dans les prisons syriennes, risquant la peine de mort. Selon la police du district de Kara Suu, 48 individus partis combattre en Syrie ont pu être identifiés : ils ont entre 16 et 30 ans et auraient été recrutés par des « imams téléphone » et sur Internet. Les services de la sécurité nationale du Kirghizistan, qui craignent pour la sûreté du pays, avancent que pour chaque citoyen parti en Syrie, les recruteurs reçoivent 500 dollars. Déjà, une vingtaine de Kirghiz rentrés du pays de Bachar sont en prison.

Au Kirghizistan, le Hizb ut-Tahrir, groupe islamiste devenu hors la loi dans le pays en 2006 après qu’il eut déclaré le djihad contre la police kirghize, poursuit son action clandestinement. Son objectif est d’établir, « par des moyens pacifiques », un califat en Asie centrale. En particulier, le mouvement s’intéresse aux femmes, qu’il recrute activement. Des cibles privilégiées qui attirent moins l’attention lorsqu’elles recrutent et sont moins volontiers interrogées. Leur nombre est en constante hausse : selon les autorités kirghizes, elles seraient désormais 7.4 %. Mais selon un rapport de l’International Crisis Group de 2009, Hizb ut-Tahrir comprendrait environ 8000 membres au Kirghizistan, dont 800 à 2000 femmes.

Photo d'une route au Kirghizistan
Radicalisation de la société en marche au Kirghizistan. (Copyright : Sylvie Lasserre)

Nombreux aussi sont les migrants d’Asie centrale recrutés en Russie où ils travaillent, faute d’emploi dans leur pays. Coupés de leurs familles, ces immigrés (un million de Kirghiz et plus d’un million de Tadjiks) sont des proies faciles. Ainsi par exemple le cousin d’Asel, une jeune femme kirghize de Bichkek, revenu islamisé et barbu après un séjour dans le nord de la Russie. De tels exemples sont légion. Certaines mosquées en Russie sont en effet devenues des centres de radicalisation et de recrutement pour le djihad syrien. Ce que surveille de près Vladimir Poutine, car la Fédération russe n’est pas épargnée avec plus de 1000 combattants en Syrie.

« Notre but : appeler les gens à l’Islam et les mettre sur la bonne voie »

Retour dans les Monts Célestes. Lorsque je le croise sur le bord du chemin, Atabek, 27 ans, le sourire radieux, me hèle et me salue. Il porte une petite barbe et une calotte de prière. Ayant appris que je vis au Pakistan, il me lance qu’il doit s’y rendre bientôt pour quatre mois. Il part faire sa davat et veut savoir « comment c’est, là-bas ». S’entame alors une discussion sur le bord de la piste. Régulièrement passent des chevaux, au pas ou au galop. Des poules picorent en bordure du chemin.
photo d'Atabek
Atabek, père de famille et davatchi, partira l’an prochain au Pakistan faire ses quatre mois de davat. (Copyright : Sylvie Lasserre)

Atabek vit à Bichkek où il est chauffeur de bus mais est revenu au village pour le mariage de son frère. Lui-même est marié, père d’une petite fille. Je suis étonnée car Atabek me regarde dans les yeux alors que je suis une femme. Sans doute n’a-t-il pas encore atteint le « niveau » d’Aibek, car cela se passe ainsi dans la communauté : l’apprentissage se déroule progressivement, en plusieurs stades, le dernier degré étant atteint après les quatre mois de davat effectués à l’étranger.

Atabek fait partie d’un groupe de huit davatchis, nom donné en kirghize à ceux qui font la davat. Il a déjà effectué trois jours de stage dans la banlieue de Bichkek, puis quarante jours à Tokmok, à une soixantaine de kilomètres de la capitale.

« Le but c’est d’apprendre à lire le Coran, à prier et à appeler les gens à croire en Dieu. »

Où iras-tu au Pakistan ? « Je ne sais pas. On ne nous le dit pas à l’avance. Inshallah, je pars l’année prochaine. » Je lui propose de m’informer lorsqu’il sera là-bas mais… « Chez nous, on ne doit pas donner d’adresse ni de nouvelles pendant les quatre mois au Pakistan », me répond-il. Pourquoi ? « C’est comme ça, les règles sont très strictes. D’ailleurs, si jamais nous nous rencontrions au Pakistan, nous ne devrions pas nous parler. Pendant quatre mois nous marchons. Nous changeons sans arrêt de mosquée. » Que se passe-t-il ensuite lorsque tu reviens au Kirghizistan après les quatre mois ? « Nous devons partager ce que nous avons appris avec les mullah et les imams du Kirghizistan. Notre but c’est d’appeler les gens à l’Islam, de les mettre sur la bonne voie. Pour qu’ils deviennent bons. »

Apprentissage 24 heures sur 24 pour 2 à 3 heures de sommeil

La suite de l’entretien prend un tour plus radical lorsque je l’interroge sur le fait qu’il me parle alors qu’Aibek, par exemple, évite désormais les femmes. « Oui c’est dans le Coran, mais je n’ai pas encore atteint ce niveau. Il faut croire en l’islam car ici et maintenant, ce n’est pas la vraie vie. La vraie vie c’est après. » Puis Atabek entreprend de me raconter l’histoire d’une jeune femme russe devenue musulmane quatre mois plus tôt : « Elle se promenait avec son chien à Bichkek quand soudain elle a entendu une voix : ‘La Ilaha Illallah Muhammad Ur Rasul Allah’… Elle regarda autour d’elle, cherchant d’où venait la voix, mais il n’y avait personne. Puis à nouveau elle entendit les voix et se rend compte que c’étaient les pierres qui parlaient ! Alors, elle s’est adressée à la mosquée pour savoir ce que cela voulait dire et là, des personnes lui ont traduit : ‘Il n’y a de dieu qu’Allah. Mohamad est son seul prophète.’ Après cela, elle a décidé de devenir musulmane », achève Atabek en concluant :

« Je souhaite l’islam pour tout le monde ! »

Qui t’a raconté ça ? « C’est pendant la davat, avec la Jamaat (communauté). On nous raconte ces histoires. Nous ne dormons que deux à trois heures, le reste du temps nous apprenons sans cesse. » Qui vous apprend ? « Les amirs, ceux qui ont déjà fait leur davat pendant longtemps. » Des Kirghiz ? « Oui. » Et au Pakistan, vous parlerez en quelle langue ? « Il y a six langues de six pays : kirghiz et… euh… je ne sais pas. Je te dirai à mon retour du Pakistan ! » lâche-t-il en riant. Sur ces paroles, il me salue et me lance en s’éloignant : « Je te souhaite d’être heureuse et de ne pas oublier l’islam ! »

« Dans l’islam, on ne dit pas qu’il faut porter des robes très longues »

Le Kirghizistan, sur fond de catastrophe économique, s’est rapidement islamisé après la chute de l’Union soviétique. Très vite, les premières mosquées sont apparues dans les villages, financées par l’Arabie Saoudite pour la plupart. Il n’y en avait que 39 avant 1991, elles sont aujourd’hui plus de 2000.

L’imam en chef du village, 29 ans, porte un blouson de cuir et est imberbe. Ses amis le surnomment Miki, diminutif de Mirbek. Seul signe distinctif de sa qualité d’homme religieux : sa calotte de prière. Entre ses champs à cultiver, son bétail à entretenir, l’enseignement qu’il dispense dans une madrasa et les mariages et funérailles quotidiens à célébrer, Mirbek est un homme très pris. C’est vers dix heures du soir que je le rencontre enfin. Lui qui a étudié dès l’âge de douze ans dans une madrasa à Osh, puis dans un institut religieux de Bichkek, n’a rien contre la Tablighi Jemaat :

« Pour ceux qui ne connaissent rien à la religion, c’est bien. »
Photo de Mirbek
L’imam du village, Mirbek, a célébré le mariage de Nurlan. Il prône un islam fondamental mais pas extrémiste. (Copyright : Sylvie Lasserre)

D’ailleurs, il confirme qu’au Kirghizistan de plus en plus de gens s’intéressent à la religion. « Mais, ajoute-t-il, il y a des extrémistes qui portent des robes très longues, des salafistes, des gens appartenant à des mouvements comme le Hizb ut-Tahrir, etc. Ceux-là montrent le mauvais côté de l’islam. Les Kirghiz n’aiment pas cela et commencent à avoir peur. Dans l’islam on ne dit pas qu’il faut porter des robes très longues… A part ça, l’islam se développe bien. Nous appelons les gens à apprendre à faire la prière, à ne pas boire et à ne pas fumer. Dans l’islam il n’y a pas de fautes. Heureusement, nous n’avons pas de Chrétiens ou d’athées ici ! »

Que pensez-vous de ces gens, qui après avoir accompli leur davat, arrêtent de regarder les femmes et ne leur parlent plus ? « La charia dit que c’est obligatoire de se comporter ainsi. Un homme et une femme qui n’ont pas fait le nikah (le mariage, NDLR) ne peuvent pas se parler. Si tout le monde se comportait ainsi ce serait très bien, mais chez nous les gens ne comprennent pas et c’est mal vu. Dans les pays arabes, les gens ne laissent pas leur femme parler avec des étrangers. » Vous pensez donc que les Kirghiz doivent s’éduquer et se comporter comme dans les pays arabes ? « Oui je pense. Mon épouse reste à la maison et élève les enfants. Elle ne sort jamais sans moi, sinon accompagnée de mes parents avec mon autorisation. »

Mirbek conclut : « J’espère que tout le monde finira par croire en Dieu », avant de déplorer en s’esclaffant :

« Les Kirghiz continuent de boire de l’alcool et disent amen après avoir bu de la vodka ! »

Sylvie Lasserre Yousafzai

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A propos de l'auteur
Sylvie Lasserre Yousafzai est reporter indépendante et photographe, basée en Turquie. Passionnée par le monde turc, elle couvre l’Asie centrale depuis 2004 pour divers médias européens et internationaux, en presse écrite et radio. Elle est membre de la Société asiatique et l’auteure de "Voyage au pays des Ouïghours" (Cartouche, 2010).