Culture
Reportage

Les insectes dans les films de Kore-eda

Cigale Niiniizemi, Platypleura kaempferi, à Nara au Japon, en juillet 2014. Chant de l’espèce : tchiii...
Cigale Niiniizemi, Platypleura kaempferi, à Nara au Japon, en juillet 2014. Chant de l’espèce : tchiii... (Copyright : Jean-François Heimburger)
Riin riin ! Shaa-shaa-shaa ! Les sons, les « chants » des insectes, mais aussi leurs « danses » font partie de l’imaginaire des Japonais. Pour mieux le sentir, plongeons-nous dans l’univers du cinéaste Hirokazu Kore-eda, à travers quatre de ses films : Nobody Knows (2004), Still Walking (2008), I Wish (2011) et Tel Père, Tel Fils (2013). De la réincarnation à la passion pour la nature, en passant par les rêves des enfants, on y trouve tout ce qui fait le sel de la relation très particulière des Japonais avec les insectes.
S’il existe un pays dans lequel l’intérêt pour les insectes semble souvent l’emporter sur l’indifférence ou la peur des bestioles, c’est bien le Japon. Ils sont appelés konchû ou mushi, ce dernier terme englobant d’autres arthropodes mais aussi des reptiles, des amphibiens, voire des animaux imaginaires. Un grand nombre d’espèces d’insectes sont particulièrement appréciées par les habitants, pour la beauté de leur chant, leur caractère éphémère comme les pétales de cerisiers, leur goût… Les films du réalisateur Hirokazu Kore-eda, dont le dernier, Umimachi Diary, a été sélectionné au Festival de Cannes 2015, offrent un aperçu des relations multiples qui lient les Japonais aux insectes.
Le réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda entouré des deux actrices nipponnes Suzu Hirose et Ayase Haruka, lors de la présentation de son dernier film "Umimachi Diary" (Our Little Sister) à l’occasion du 68ème Festival de Cannes le 14 mai 2015. (AFP PHOTO / LOIC VENANCE)

Les danseurs : papillons et libellules

Le papillon de Still Walking est une petite bête qui occupe une part essentielle dans la filmographie de Kore-eda Hirokazu, jusqu’à jouer un rôle à part entière. Toshiko, la grand-mère, se demande si le papillon jaune entré dans la maison est son fils Junpei, décédé en sauvant un garçon de la noyade. Elle en est persuadée lorsque l’insecte se pose sur le cadre contenant sa photo. Au moment où Ryôta l’attrape pour le libérer, on peut reconnaître Monkichô (Colias erate, ou papillon « citrin »), espèce très commune au Japon, qu’il est possible de rencontrer de mars à novembre.
Cet épisode n’est pas sans rappeler la légende qui voudrait que l’acteur de kabuki Kanzaburô Nakamura, dix-septième du nom, se soit réincarné en mouche. La religion shintoïste, marquée par l’attitude animiste qui prête aux objets et aux animaux une âme analogue à celle des humains, très présente dans le pays, y est certainement pour quelque chose.
A voir, la bande-annonce de Still Walking (2008), film de Hirokazu Kore-Eda :

Devenir le plus long scarabée-rhinocéros du monde

Autres danseuses, les libellules sont également contemplées et ont même inspiré une légende japonaise selon laquelle Jinmu, premier empereur mythique, a observé son territoire du haut d’une montagne du Yamato avant de déclarer qu’il lui faisait penser à deux libellules accouplées. Le pays fut alors nommé Akizu-shima (akizu « libellules » et shima « île »), « Archipel des Odonates ». Étant silencieuses, très rapides et souvent farouches, il n’est pas forcément aisé de les identifier lorsqu’elles virevoltent.
Cet insecte apparaît dans le film I Wish. Ryûnosuke emprunte en effet la casquette de sa camarade pour essayer de capturer une libellule (en vain), avant de rejoindre sa salle de classe. À l’instar d’Atsushi (Still Walking), qui raconte avoir attrapé un papillon jaune avec son père, Ryûnosuke témoigne ici du grand intérêt des enfants pour les insectes. Son camarade, Kôichi, ne veut-il pas lui-même devenir le plus long scarabée-rhinocéros du monde (Dynastes hercules) lorsqu’il sera grand ?
Même le jeune Shigeru (Nobody Knows), passionné de jeux vidéo, repère un trou de sortie d’une cigale au pied d’un arbre, dans le parc où il rencontre pour la première fois Saki, qui deviendra une amie. La passion des insectes s’inscrit d’ailleurs dans une sensibilité particulière et plus générale envers la nature. On pense ici aux graines plantées par les benjamins d’Akira (Nobody Knows), aux légumes cultivés par Ryûnosuke (I Wish) et aux fleurs du lilas d’été (Lagerstroemia indica) qui attirent Atsushi et ses cousins par leur parfum (Still Walking).
Cigales Aburazemi, Graptopsaltria nigrofuscata, à Nara au Japon, en août 2014. Chant de l’espèce : jili-jili-jili...

Cigales Aburazemi, Graptopsaltria nigrofuscata, à Nara au Japon, en août 2014. Chant de l’espèce : jili-jili-jili... (Copyright : Jean-François Heimburger)

Cigales Kumazemi, Cryptotympana facialis à Nara au Japon en août 2014. Chant de l’espèce : shaaa-shaaa...

Cigales Kumazemi, Cryptotympana facialis à Nara au Japon en août 2014. Chant de l’espèce : shaaa-shaaa... (Copyright : Jean-François Heimburger)

Cigale Higurashi, Tanna japonensis, mâle (Kyôto, juillet 2014). Chant de l’espèce : kana-kana-kana...

Cigale Higurashi, Tanna japonensis, mâle (Kyôto, juillet 2014). Chant de l’espèce : kana-kana-kana... (Copyright : Jean-François Heimburger)

Cigale Niiniizemi, Platypleura kaempfer à Nara ai Japon en juillet 2014). Chant de l’espèce : tchiii...

Cigale Niiniizemi, Platypleura kaempfer à Nara ai Japon en juillet 2014). Chant de l’espèce : tchiii... (Copyright : Jean-François Heimburger)

Cigale Minminzemi, Hyalessa maculaticollis, mâle à Yunoyama au Japon en août 2013). Chant de l’espèce : miiine-mine-mine-mine...

Cigale Minminzemi, Hyalessa maculaticollis, mâle à Yunoyama au Japon en août 2013). Chant de l’espèce : miiine-mine-mine-mine... (Copyright : Jean-François Heimburger)

Cigale Tsukutsukubôshi, Meimuna opalifera, mâle à Nara au Japon en août 2013). Chant de l’espèce : oooshine-tsoukoutsoukou...

Cigale Tsukutsukubôshi, Meimuna opalifera, mâle à Nara au Japon en août 2013). Chant de l’espèce : oooshine-tsoukoutsoukou... (Copyright : Jean-François Heimburger)

 

Les chanteurs : grillons et cigales

Comme nous l’avons vu s’agissant du père d’Atsushi, les parents et grands-parents éprouvent également un intérêt pour les konchû. Dans Tel Père, Tel Fils, après la confession de l’infirmière, Yûdai (certes un grand enfant) demande à Ryôta de parler à leur avocat, en appelant ce dernier Suzumushi au lieu de Suzumoto – autre signe de la connaissance entomologique approfondie des Japonais. Il s’agit ici d’un petit grillon (Meloimorpha japonica) de moins de 2 cm de long, au dos noir, armé d’antennes longues et en partie blanches. Son chant, associé à l’automne et réputé pour sa valeur esthétique, est transcrit en onomatopée : riiin-riiin…
Plusieurs espèces de grillons, qui font partie des insectes d’agrément au Japon (au même titre que les scarabées, les libellules ou les lucioles), sont d’ailleurs reconnaissables par leur production sonore dans les scènes nocturnes. Kuchikikôrogi (Duolandrevus ivani) chante après le repas pris par les enfants chez le couple de personnes âgées (I Wish) et lorsque Ryôta et Yukari discutent dans la chambre (Still Walking). Tsuzuresasekôrogi (Velarifictorus micado) grésille quant à lui lorsque Ryûnosuke cherche un dessin pour son frère (I Wish), et lorsque qu’Atsushi joue à la console portable, un anti-moustique sous forme d’encens enroulé à côté de lui (Still Walking).
A voir, la bande-annonce de Nobody Knows (2004), un film de Hirokazu Kore-Eda :

« Cymbalisation » et huile de sésame

Également appréciées pour leur chant, certaines espèces de cigales du Japon sortent de terre au printemps ou en automne, bien que la plupart apparaissent en été. Nombre d’habitants peuvent reconnaître telle ou telle cigale grâce au « chant » (appelé plus exactement cymbalisation) des mâles, destiné à attirer les femelles en vue de s’accoupler. L’espèce la plus populaire est certainement l’Aburazemi (Graptopsaltria nigrofuscata). Cette cigale de taille moyenne à grande est appelée ainsi (abura « huile », zemi « cigale ») en raison de la couleur de ses ailes, évoquant l’huile de sésame largement utilisée dans la cuisine du Japon, ou de son appel nuptial, ressemblant à un bruit de friture.
On peut facilement comparer les deux productions sonores en visionnant Still Walking, paru en 2009, c’est-à-dire le grésillement qui se produit lorsque la grand-mère, Toshiko, prépare des tempura de maïs en les plongeant dans un bain d’huile bouillant et, quelques instants plus tard, le chant des Aburazemi qui se font entendre tandis que Chinami discute avec le livreur de sushis.
Avoir, la bande-annonce du film I Wish (2011), de Hirokazu Kore-Eda :

Chant du matin, cigale absente et shaa-shaa-shaa

Quatre autres espèces chantent dans les réalisations de Kore-eda Hirokazu – sauf dans I Wish, dont l’histoire se déroule en automne. Vers la fin de Nobody Knows, une petite cigale Niiniizemi (Platypleura kaempferi) cymbalise tandis qu’Akira regarde un entraînement de base-ball, sport national aussi populaire que le football en France. Également entendu dans Still Walking, un Tsukutsukubôshi (Meimuna opalifera) émet son appel mélodique au moment où le jeune Keita s’enfuit à l’arrivée de Ryôta, qui l’a élevé depuis sa naissance (Tel Père, Tel Fils). Comme la précédente, le nom de cette espèce est d’origine onomatopéique puisqu’il vient du bruit produit par l’insecte.
La cigale Higurashi (Tanna japonensis) n’est active que très tôt le matin ou avant le coucher du soleil, comme on peut le constater dans Still Walking (au moment où la grand-mère se recueille et joint les mains au cimetière) et dans Tel Père, Tel Fils (lorsque Midori part à la recherche de Ryûsei et dans la dernière scène, devant la maison de la famille Saiki). Le chant de Minminzemi (Hyalessa maculaticollis) est perceptible dans les trois films, par exemple dans la séquence où Shigeru patiente devant la supérette jusqu’à ce que son frère revienne avec de la nourriture offerte par un employé (Nobody Knows).
La grande absente est Kumazemi (Cryptotympana facialis), cigale qui semble endémique du Japon et dont la taille importante est évoquée dans son nom (kuma « ours », zemi « cigale »). Si l’histoire de Still Walking se passait à Ôsaka, par exemple, et non près de Tôkyô, limite septentrionale de sa présence, nous pourrions entendre les mâles chanter, au début du film, lors de la promenade du grand-père dans le quartier, peu après 9 h, durant les premières minutes du film. Vous pourrez toutefois découvrir leur shaa-shaa-shaa caractéristique, en même temps que mille autres choses, en vous rendant par exemple dans le Kansai l’été prochain.

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A propos de l'auteur
Jean-François Heimburger est journaliste indépendant et chercheur associé au CRESAT (laboratoire de l’Université de Haute-Alsace). Spécialiste du Japon, il est auteur de l’ouvrage "Le Japon face aux catastrophes naturelles" (ISTE Éditions, 2018).