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Expert - Asie Stratégie

 

Difficile dialogue de sécurité en Asie

Un navire garde-côte chinois (en haut) en pleine confrontation le 19 mars 2014, avec un bateau philippin d’approvisionnement (en bas) qui tente de rejoindre le Second Thomas Shoal, un récif isolé en Mer de Chine du Sud, revendiqué par les deux pays. (Crédit : JAY DIRECTO / AFP)
En termes d’urgence stratégique, l’Asie n’est pas le Moyen-Orient, l’Afrique, ou même l’Ukraine. Pourtant, l’Asie est aujourd’hui confrontée à des enjeux de sécurité majeurs aux conséquences potentiellement très importantes pour la stabilité globale du système international, et c’est une image bien différente de celle d’une Asie harmonieuse, apaisée et prospère qui apparait.

La Chine en effet a retrouvé sa centralité dans la région mais, contrairement aux espoirs longtemps exprimés, cette centralité ne résulte pas tant des progrès de la régionalisation économique autour du moteur chinois, mais, de plus en plus, de la prise en compte d’une préoccupation commune face aux ambitions chinoises. C’est cette prise en compte qui cimente le rapprochement de l’ensemble des pays de la région face à la puissance chinoise et aux côtés des Etats-Unis.

Le dernier dialogue Shangri-La sur la sécurité en Asie, qui s’est tenu à Singapour à la fin du mois de mai dernier, est une fois de plus venu mettre en évidence cette évolution, même si l’objet central des préoccupations s’est déplacé cette année de la mer de Chine orientale et de la relation Chine-Japon vers la mer de Chine méridionale.

La question de la stratégie régionale de la Chine, qui oscille entre volonté de séduire ses voisins dans une « communauté de prospérité asiatique » – avec des initiatives comme la « Nouvelle Route de la Soie » (« One Belt, One Road ») et l’AIIB (Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures) – et la poursuite des provocations en mer de Chine méridionale avec un programme massif de constructions sur les îlots ou rochers occupés par Pékin, est non résolue.

De même, la question des véritables priorités de la République populaire de Chine (RPC), entre développement économique et affirmation de puissance, y compris militaire, demeure posée. Ces incertitudes sont au cœur de l’absence de confiance stratégique qui définit la région. C’est le sens du discours du Premier ministre de Singapour Lee Hsien-long, pourtant habituellement très prudent et soucieux de ne pas avoir à choisir entre les Etats-Unis d’un côté et la Chine de l’autre. Pour Lee Hsien-long en effet, « la force n’est pas le droit » et il appelle Pékin à signer rapidement un code de conduite en mer de Chine.

Ceci d’autant plus que – par la voix de ses experts – la RPC manie des concepts préoccupants, qui rappellent ceux du lebensraum ou espace vital, en déplorant par exemple que « la ZEE (Zone Economique Exclusive) de la Chine soit trop limitée par rapport à la taille de sa population ».

Mais la position officielle chinoise n’est pas plus rassurante. Représentant de l’Armée populaire de Libération (APL), et porte-parole de la ligne politique définie par les plus hautes autorités chinoises, l’Amiral Sun Jianguo dans son discours au Shangri-La, refuse de prendre en compte les préoccupations de la quasi-totalité des Etats de la région, et réaffirme que la Chine ne présente aucune menace pour la liberté de navigation en mer de Chine. Selon lui, les constructions chinoises en mer de Chine sont donc « justifiées, légitimes, et raisonnables ».

Très clairement, l’objectif est de tenter d’enfoncer un coin entre les Etats-Unis – qui n’ont selon Pékin aucun intérêt direct dans la région – et les « petites » puissances régionales accusées de vouloir entraîner « par leurs provocations » Washington dans un conflit avec la Chine. Alors que Xi Jinping doit se rendre aux Etats-Unis au mois de septembre, Pékin voudrait pouvoir convaincre ses interlocuteurs que « la question de la mer de Chine méridionale ne doit pas peser sur les liens entre Pékin et Washington ».

Mais derrière ce discours condescendant pour les voisins de Pékin, on retrouve l’architecture idéale d’un monde où les deux « grands », Chine et Etats-Unis, partageraient leurs zones d’influence, en bonne harmonie. L’objectif pour le régime chinois – pour des raisons autant de prestige interne que de nécessité externe – étant de voir reconnu d’une manière incontestée son leadership en Asie. Ce que le président Xi Jinping évoque avec le passage du « rêve chinois » au « rêve asiatique ».

Mais derrière ce discours totalement coupé de la réalité des attentes des pays de la région, il s’agit pour la RPC de réaffirmer le caractère non négociable de ses intérêts « cardinaux » et la nécessité pour ses partenaires – au premier rang desquels les Etats-Unis – de « prendre en compte les préoccupations de sécurité » de la Chine. De même, selon l’Amiral Sun, si les « grandes puissances » ne doivent pas bousculer les « petits pays », ces derniers ne doivent pas « provoquer les grandes puissances en prenant en otage certaines questions territoriales pour des gains personnels ».

Pourtant, si Pékin réaffirme le caractère non négociable de ses intérêts nationaux et de son « intégrité territoriale », y compris sur mer dans des zones contestées, son pragmatisme, fondé sur un calcul constant des rapports de force, rend les dirigeants chinois sensibles aux prises de positions fortes. Ceci d’autant plus que le premier objectif de la stratégie chinoise demeure d’assurer la survie du régime, survie qui serait fortement compromise en cas de conflit majeur – que l’APL n’a aujourd’hui pas les moyens de remporter – avec une grande puissance et a fortiori avec les Etats-Unis. Comme le préconise la stratégie chinoise traditionnelle, il s’agit de remporter la victoire sans avoir à combattre, en dissuadant l’adversaire d’agir. Mais si l’adversaire supérieur en force réagit, il faut reculer.

Lors du dernier dialogue Shangri-La, cette stratégie est apparue clairement concernant le Japon et les tensions autour des îles Senkaku/Diaoyu. Alors que les Etats-Unis ont a plusieurs reprises au cours des derniers mois réaffirmés fortement que l’archipel disputé était couvert par le traité de sécurité nippo-américain ; alors que – contrairement aux espoirs de Pékin – la relation de défense entre Tokyo et Washington se resserre et que le Premier ministre Abe, conforté par des élections très largement gagnées au mois de décembre 2014, poursuit sa stratégie de renforcement des capacités d’action des forces d’autodéfense, Pékin a choisi la voie de l’apaisement avec Tokyo et met désormais en avant la nécessité de développer le dialogue et la gestion des crises.

Il s’agit là d’une tactique qui n’implique aucune remise en cause des ambitions chinoises en mer de Chine orientale, et les mécanismes de gestion des crises mis en place ne portent que sur les eaux internationales et non, comme le souhaitait Pékin, sur les « eaux territoriales » autour des Senkaku/Diaoyu que la Chine considère comme siennes. Mais, si elle est provisoire, cette tactique démontre que, face à des prises de position fermes, Pékin choisit la prudence plutôt que la provocation.

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A propos de l'auteur
Valérie Niquet est responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et membre du comité scientifique du Conseil supérieur de la Formation et de la recherche stratégique. Traductrice de deux oeuvres majeures de la stratégie chinoise (L'Art de la guerre de Sun Zi et le Traité militaire de Sun Bin), elle est également l'auteure de nombreux articles et ouvrages consacrés aux relations internationales et aux questions stratégiques en Asie. Son dernier ouvrage s’intitule : Chine-Japon, l’affrontement (Editions Perrin, 2006).
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