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Chine : un parti sans fusils ?

Photo de l'Arméé populaire de Libération
L’Armée populaire de Libération est la garante de la survie du régime. (Crédit : AFP PHOTO / WANG ZHAO )
Avant même l’arrivée « officielle » de Xi Jinping au pouvoir, l’Armée populaire de Libération (APL) s’est trouvée au cœur de la campagne de lutte contre la corruption lancée contre les « tigres », les « renards » et les « mouches ».

Pour le dirigeant chinois, il s’agit de reprendre le contrôle d’une institution puissante, pour des raisons de rapports de force internes, mais aussi pour en renforcer la crédibilité alors que la rhétorique nationaliste et une stratégie extérieure beaucoup plus affirmée – notamment face aux voisins de Pékin en mer de Chine – occupent une place centrale dans le discours de légitimité du régime.

L’APL est la garante de la survie du régime ; c’est sa première mission, et son sort est lié à celui du parti communiste chinois (PCC). Dans le même temps, l’appareil du parti fait face à une véritable autonomisation de son bras armé, en raison des richesses accumulées et des puissants réseaux de relations qui ont été mis en place depuis le début des années 1990 et ce en dépit des multiples velléités de reprise en main.

Par ailleurs, contrairement à l’image de puissance « civile » que la Chine projette, l’APL est aussi l’héritière d’une tradition qui a souvent vu les forces armées jouer un rôle central dans l’organisation du pouvoir. C’était le cas au lendemain de la chute de la dynastie des Qing, puis avec les « Seigneurs de la guerre », mais aussi au sein du Kuomintang et du parti communiste avant la prise du pouvoir.
Après 1949, si le « parti commande au fusil » – selon la formule de Mao Zedong – un pedigree « militaire » joue un rôle majeur dans la légitimité des dirigeants jusqu’à Deng Xiaoping, sans oublier le rôle central de l’APL comme instrument du retour à l’ordre à la fin de la Révolution culturelle.

Dans ces conditions, la campagne anti-corruption lancée par Xi Jinping pose au moins deux questions fondamentales.
La première est celle de l’efficacité réelle des forces armées, alors que les promotions – et les choix d’acquisitions – font l’objet d’un commerce systématique. Elle est aussi celle de la solidité de la chaîne de contrôle et de commandement, y compris au sein de la seconde artillerie qui gère l’arsenal balistique et nucléaire.
La deuxième question est celle de la loyauté – et donc de la stabilité du régime – d’une institution qui voit ses privilèges et son mode de fonctionnement brutalement remis en cause.

Depuis le lancement de la campagne, plusieurs dizaines de très hauts gradés ont été touchés, dont le général Xu Caihou, ancien vice-président de la commission militaire centrale du parti et le général Gu Junshou, ancien vice-président du département de logistique de l’APL qui brasse des sommes considérables.

Xi Jinping possède des soutiens solides au sein de l’APL. En appelant, dès son arrivée au pouvoir, l’APL à être « prête au combat » et en intensifiant la campagne de lutte contre la corruption, il répondait aux inquiétudes d’officiers, fils de princes comme lui, qui se veulent garants de la pureté du système au nom d’un idéal nationaliste. Au premier rang de ceux-ci on trouve Liu Yuan, fils de Liu Shaoqi, qui lançait dès 2011 un cri d’alerte contre la corruption qui « seule peut détruire l’APL de l’intérieure ».
Mais ces soutiens ne suffisent pas à faire taire les rumeurs d’insatisfaction au sein des forces armées, comme en témoignent les appels récurrents à la lutte contre le « factionnalisme » et à la loyauté sans faille de l’APL à la direction centrale du PCC.

Les interrogations qui pèsent sur la loyauté de l’APL constituent ainsi un facteur majeur d’incertitude pour l’ensemble des partenaires de Pékin, particulièrement en période de crise. D’autant que la Chine a considérablement développé ses capacités militaires et le discours de puissance qui accompagne ce mouvement, suscitant une inquiétude grandissante chez ses voisins.

Valérie Niquet
Responsable du pôle Asie, FRS

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A propos de l'auteur
Valérie Niquet est responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et membre du comité scientifique du Conseil supérieur de la Formation et de la recherche stratégique. Traductrice de deux oeuvres majeures de la stratégie chinoise (L'Art de la guerre de Sun Zi et le Traité militaire de Sun Bin), elle est également l'auteure de nombreux articles et ouvrages consacrés aux relations internationales et aux questions stratégiques en Asie. Son dernier ouvrage s’intitule : Chine-Japon, l’affrontement (Editions Perrin, 2006).