Nés un 28 février
Le 28 février 1947, la troupe tirait à Taipei sur des manifestants protestant contre la mort d’un passant abattu par des policiers lors d’une altercation avec une vendeuse à la sauvette. Dans un contexte de mécontentement général contre la manière dont l’île était gérée après qu’elle fut passée, quatre ans plus tôt, sous contrôle de la République de Chine, les manifestations s’étendirent rapidement à l’ensemble de Taïwan. Temporisant dans un premier temps, les autorités lancèrent dans les semaines qui suivirent une vaste campagne de répression qui fit, selon les estimations, entre quelques milliers et près de 28 000 victimes, décimant une grande partie de l’élite intellectuelle taïwanaise. La Terreur blanche s’est ensuite prolongée pendant de longues années et la loi martiale n’a été levée qu’en 1987.
A première vue, le rassemblement a tout d’un capharnaüm. Dans le village associatif installé sur l’esplanade de la Liberté, à deux pas du Mémorial Chiang Kai-shek (tiens, encore lui !), Taiwan March – parti fondé l’an dernier par les leaders du mouvement des « tournesols » Lin Fei-fan (林飛帆) et Chen Wei-ting (陳為廷) – fait campagne pour une refonte des règles référendaires ; Amnesty International mobilise contre la peine de mort ; une association honore la mémoire de Deng Nan-jung (鄭南榕), militant pro-démocratie qui s’est immolé par le feu en 1989 ; tandis que d’autres évoquent leur lutte contre les expropriations de terres agricoles.

Sur la scène, Panai Kusui et Nabu Husungan Istanda chantent dans la langue des aborigènes Bunun. Sur sa guitare, Panai a collé, tels des blasons, les autocollants des nombreuses associations dont elle soutient l’action. « Vous vous demandez peut-être pourquoi des aborigènes commémorent le 28 Février, lance-t-elle au public sagement assis au soleil. C’est que nous sommes les victimes des mêmes mensonges et du même affairisme. Ils ne vivent que pour l’argent. Mais est-ce que ça se mange, l’argent ? »
Il y a là plusieurs centaines de personnes, en grande majorité âgées de 18 à 35 ans : l’essentiel de la jeunesse militante de la capitale. L’atmosphère est tranquille, presque studieuse.
Les discours, clairement opposés au KMT et à la République de Chine, s’efforcent de rattacher les combats de chacun à cet incident ancien – longtemps écarté de la mémoire collective des Taïwanais – mais qui, depuis la démocratisation, s’est peu à peu érigé en événement fondateur. Sa symbolique complexe est d’ailleurs maniée de manière contradictoire par différents segments de la société ou du spectre politique. Pour les jeunes participants à ce rassemblement, l’Incident du 28 février 1947 a tout du péché originel. « A l’époque, c’est la société civile qu’on a voulu faire taire », résume l’un d’eux.
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