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Chine-Birmanie : les enjeux

Photographie d'Aung San Suu Kyi en compagnie de Xi Jinping
Le président chinois Xi Jinping reçoit la leader pro-démocrate birmane Aung San Suu Kyi dans le Grand Hall du Peuple à Pékin le 11 juin 2015. (Crédit : STR / AFP)
Un an après le Président Thein Sein, Aung San Suu Kyi, leader de la Ligue Nationale pour la Démocratie a été invitée par le Parti communiste chinois du 10 au 14 juin dernier. L’enjeu de cette invitation à quelques mois des élections, était politique : quelle que soit la couleur du chat qui gouvernera la Birmanie, l’important pour la Chine est le contrôle qu’il exercera sur les nombreuses minorités ethniques de part et d’autre de la frontière (au mois de Mars, quatre chinois ont été victimes d’un raid aérien birman dans la région de Kokang). La sécurité n’est pas cependant le seul enjeu des relations entre la Chine et la Birmanie.

L’enjeu énergétique

Le potentiel hydro-électrique birman est deux fois celui du barrage des Trois Gorges. Les entreprises chinoises construisent 25 barrages sur l’Irrawady, la Salween et la Sittang pour faire de la Birmanie, où 30 % de la population a accès à l’électricité, une dynamo pour la Chine. Leurs projets se heurtent à des oppositions que le gouvernement birman a longtemps ignorées. En 2012, il a interrompu les travaux du barrage de Miysone – province de Kachin – qui n’ont pas repris. Signal envoyé aux puissances occidentales qui avaient levé l’embargo, cette décision a surpris les Chinois habitués à ne rencontrer aucune résistance.

Une dizaine de grandes entreprises ont investi dans les mines et leurs projets se heurtent parfois à de vives oppositions, comme à propos de la mine de cuivre de Letpadaung (province de Monywa) prévue par une joint-venture entre le groupe chinois Wanbao (lié à la défense) et une holding détenue par l’armée birmane. Dirigée par Aung San Suu Kyi, la commission de révision de ce projet a conclu au maintien des opérations tout en exigeant l’indemnisation des propriétaires des terrains.

La China National Petroleum Corporation s’intéresse aux ressources gazières et pétrolières. La mise en service du gazoduc entre la Chine en Octobre 2014 explique le bond de la Birmanie qui, au premier trimestre 2015, se rapproche du Vietnam dans les importations chinoises.

Infographie de la part de la Birmanie, du Cambodge, du Laos et du Vietnam dans les importations chinoises.
(Crédit : Jean-Raphaël Chaponnière, Global Trade Atlas, Asialyst)
Entre 2010 et 2015, le commerce entre la Chine et la Birmanie a triplé en dollars. La reprise des échanges avec les Etats-Unis et l’Europe érodera certes la position acquise par Pékin, mais avec 13 milliards de dollars en 2015 – davantage si l’on incorpore les échanges officieux -, la Chine est le premier partenaire de la Birmanie devant la Thaïlande (10 milliards en 2015) et très loin devant les Etats-Unis ou l’UE. Avec un stock de 14 milliards de dollars (avril 2015), la Chine est à l’origine d’un quart des investissements étrangers approuvés, à la première place devant la Thaïlande, un classement qui évoluera plus vite que celui du commerce extérieur avec l’arrivée de nouveaux investisseurs étrangers (plus de 5 milliards de dollars attendus en 2015).

Un enjeu pour le Yunnan

L’embargo occidental a été une aubaine pour la Chine qui est devenue le premier fournisseur de la Birmanie. Si vu de Beijing, le marché birman est un débouché marginal, vu de Kumming, il est un enjeu de taille.

Rassemblant de nombreuses minorités rétives à Beijing, le Yunnan est l’une des provinces les plus pauvres de Chine, qui est handicapée par son enclavement et son éloignement des régions côtières. Ce diagnostic a amené Beijing à adopter la stratégie du développement vers l’Ouest pour doter cette province d’un accès à l’Océan Indien. La route de Birmanie que les Anglais et le Kuomintang avaient construite dans les années 1930, a été améliorée et d’autres routes ont été construites. Les Chinois envisagent une liaison ferroviaire dans le cadre du corridor économique BCIM (Bangladesh, Chine, Inde et Myanmar) reliant Kumming à Kolkata, un projet susceptible d’être financé par l’AIIB (la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, lancée par Pékin).

Dès l’ouverture de la frontière en 1988, les entreprises du Yunnan se sont précipitées pour vendre de la pacotille et parfois des produits avariés (scandale du lait contaminé de 2008 et également des œufs), acheter du jade, construire des casinos, et exploiter les forêts car cela n’a plus été possible au Yunnan après 1996. En dépit d’une loi obligeant d’exporter le bois par la mer, l’essentiel des importations chinoises de grumes birmanes entre illégalement par le Yunnan.

La Birmanie est le premier débouché des exportations du Yunnan et le PIB de cette province a doublé depuis 2000 pour atteindre 200 milliards en 2014, soit trois fois le PIB de la Birmanie presque aussi peuplée.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).
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