Culture
Témoin - la Chine crève l'écran

Chine : boires et déboires de la télé-réalité

L'émission de télé-réalité chinoise "Naissance d'un acteur". (Source : The Culture Trip)
L'émission de télé-réalité chinoise "Naissance d'un acteur". (Source : The Culture Trip)
La Chine sera bientôt le premier marché mondial du film. Qui peut l’ignorer, elle souhaite étendre son soft power à de nombreux niveaux, outre le cinéma, les pandas ou les Instituts Confucius. Cependant, s’il y a une chose auquel vous échapperez sûrement, c’est la production de talk-shows et de télé-réalité qui fleurissent sur Internet et les chaînes de télévision. Il serait vain de tenter un inventaire exhaustif des nombreux projets réalisés ces dernières années, mais il est possible de suivre les changements de goût du public.
Dans la Chine des années 1990, il existait des jeux télévisuels plutôt classiques. Puis à mesure que le pays se rouvrait au monde, de nouveaux « formats » sont apparus sur les écrans de télévision. Les plus célèbres touchent maintenant le triptyque « stars-amour-compétition ». Pour Jean-Stéphane Malherbe, consultant de télé-réalité basé a Pékin, « le storytelling ici est très différent de ce qui se voit en Occident : on insiste plus sur les moments amusants du tournage avec une utilisation poussée de la technique, alors qu’en Europe, on se focalise plus sur l’histoire ».
Certains shows ont créé des « mèmes » sociétaux, au même titre que « Non, mais allô quoi » : une phrase ou un comportement répliqués par les spectateurs sur Internet et les réseaux sociaux. En 2010, une participante au jeu de rencontre « Pas sérieux s’abstenir » (非诚勿扰) a ainsi déclaré à l’un de ses prétendants : « Je préfère plutôt pleurer dans une BMW que rire sur une bicyclette. » En quelques jours, le pays s’est passionné pour cette petite phrase, qui démontrait selon certains, la décadence d’une jeunesse noyée dans le matérialisme dus aux bouleversements de la Chine post-Mao.
D’autres shows ont réussi l’exploit de réunir près de 600 millions de téléspectateurs comme « Papa, on va-où ? » (爸爸去哪儿 – baba qu na’er) : une émission de télé-réalité où des enfants de stars et leurs parents partent en vacances ensemble. La présence de la famille est toujours appréciée, même sous un format classique comme dans « Rencontres chinoises » (中国式相亲 – zhongguoshi xiangqin) : les parents des candidats interviennent sur le plateau pour donner leur avis et mettre un possible veto sur les différents prétendants approchant leur enfant.
A voir, la bande annonce de « Papa, on va où ? » :
Comme dans les autres pays, les stars chinoises restent un élément fondamental de la télé-réalité. Qu’elles soient impliquées dans des émissions de « télé-poubelle », telles que « Diving Stars », ou dans des jeux télévisés sous forme de compétition. « L’attaque des rois » (王者出击, Wangzhe chuji) réunit des célébrités dans une émission inspirée du jeu mobile de stratégie chinois « Honour of Kings », lui-même une copie du jeu sur ordinateur « League of Legends », qui lui-même est le résultat d’une extension du jeu « Warcraft III », succès mondial datant de 2002 – vous arrivez à suivre ? La réaction des internautes chinois ne s’est pas fait attendre : en quelques jours, « L’Attaque des rois » s’est retrouvée sous une pluie de critiques acerbes suite au manque criant d’originalité.
A voir, un extrait de l’émission « L’attaque des rois » :
*State Administration of Press, Publication, Radio, Film and Television.
Les formats qui ont eu le plus de succès auprès du public sont des adaptations de formats anglo-saxons (« The voice of China ») ou sud-coréens (« Running man »). Mais une fois de plus, « Big Brother », le vrai cette fois-ci, a régulé sans pitié ce que les spectateurs pouvaient voir. Afin de ne pas laisser le goût du public se développer trop fortement pour des formats étrangers, et afin aussi de favoriser la créativité locale, des productions entières ont été interdites d’antenne par la puissante SARFT*, l’autorité de régulation étatique chargée de la censure en Chine. Résultat : à la mi-2016, les chaînes chinoises ne pouvaient plus que diffuser deux formats étrangers par an, et, comble du buzz kill, pas en prime-time lors de la première saison ! Les producteurs durent aussi cesser de montrer des mineurs à la télévision et de centrer les shows sur les « gens du quotidien ». Ainsi des émissions comme « Papa, on va-ou ? » furent-elles reléguées sur Internet.
Cette mesure a poussé les créateurs chinois à inventer de nouveaux concepts. Dans le même temps, comme le raconte un producteur anglais officiant comme consultant, de nombreuses sociétés occidentales et coréennes ont vendu sous le manteau des concepts qui par la suite ont été déclarés comme « création originale » par les acheteurs chinois. Mais ces régulations sont-elles toutes mauvaises ? Les avis divergent : « Les programmes de divertissement, explique Jean-Stéphane Malherbe, se reposent trop sur les célébrités. Celles-ci représentent parfois jusqu’à 80% du budget, ce qui du point de vue du producteur est purement insensé ! »
L’autre défi pour les producteurs chinois, c’est de trouver de l’argent. Liu Xichen, producteur pékinois de la société 3C Media, explique que les chaînes de télévision ne payent pratiquement pas les créateurs. Ainsi les producteurs de télé-réalité doivent-ils d’un côté écrire et produire, mais aussi trouver des sponsors, qui préfèrent payer pour des formats avec des stars. Ces producteurs font maintenant face à de terrible choix : d’une part, ils doivent surveiller ce que disent les lois en matière de création et de l’autre, trouver des annonceurs. Et jusqu’à présent aucun géant de type Endemol n’a réussi à s’imposer ou à vendre ses concepts en dehors des frontières de Chine.
L'émission de téléréalité "Rencontres chinoises". (Crédits : DR)
L'émission de téléréalité "Rencontres chinoises", où le placement de placement de produit se démultiplie avec sur cette image le même logo de la marque d'eau minérale Ganten présent à quatre reprises. (Crédits : DR)
Malgré les difficultés de ce pan de l’industrie créative, certains arrivent a tirer leur épingle du jeu. Des créations misant sur la culture traditionnelle parviennent à trouver un public. Selon Sixth tone,
quand CCTV a diffusé le jeu « Conférence de poésie chinoise » où les participants devaient réciter des poèmes classiques, près de 487 millions de personnes ont regardé la deuxième saison.
Si la télévision est de plus en plus dure, les plates-formes Internet ouvrent un espace de création inconnu auparavant. Un show comme « Agence Martienne de Renseignement » (火星情报局 – huoxing qingbaoju) peut débattre de questions comme « Dois-je annoncer à ma famille que je suis homosexuelle ? » Un sujet qui ne pourrait jamais être diffusé sur une antenne classique. Mais son producteur admet qu’après deux saisons, « vu le succès de notre show, la troisième saison devra être un peu plus conventionnelle ». Quant à la télévision classique, malgré une production assez chaotique une note d’espoir est à placer sur l’amélioration des formats chinois. Tout dernièrement des shows comme « La naissance d’un acteur » (演员的诞生), mettant en scène des comédiens rejouant des extraits de films devant un jury, ou « Rap Chinois » (中国有嘻哈), ont rencontré un immense succès auprès du public.
A voir, un extrait de l’émission « Rap chinois » :

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A propos de l'auteur
Aladin Farré est Producteur et Réalisateur. Après avoir travaillé dans le documentaire historique et le transmédia, il s'est expatrié en Chine où il espère percer les secrets du mandarin et des coproductions internationales.