Modernités artistiques chinoises : une histoire de réformes académiques ?
L’effervescence artistique de la jeune académie shanghaïenne privée a joué un rôle-clé dans la diffusion de la peinture occidentale en Chine et la transmission de ses techniques. Elle donne ainsi naissance à « l’École de Shanghai » ; et, dans le sillage de Liu Haisu, de nombreux peintres partent se former en Europe. Également, au niveau politique, Cai Yuanpei (1868-1940), un des principaux pédagogues et réformateurs de la jeune république, prône une modernisation et une occidentalisation de l’expression artistique, ainsi qu’une pédagogie s’appuyant sur des démarches scientifiques et rationnelles là où l’enseignement lettré du régime impérial reposait en grande partie sur la maîtrise des Classiques.
Cette deuxième décennie du XXème siècle est celle de la création des principales académies des Beaux-Arts au niveau national, qui forment toujours de nos jours les piliers de la formation artistique. En 1927, Cai Yuanpei nomme à la tête de deux centres de formation majeurs, la National Academy of Arts (future China Academy of Arts) à Hangzhou et du Département des arts de la Nanjing Central University (future Nanjing University) deux chefs de file des courants modernistes de l’époque, tous deux formés en France. A Hangzhou, Lin Fengmian (1900-1991) développe donc une école « formaliste » de la modernité, qui revisite l’héritage de l’impressionniste, du fauvisme et du cubisme, tandis qu’à Nankin, Xu Beihong (1895-1953) développe lui une approche naturaliste et réaliste.
Pendant toute cette période, le cours de la création contemporaine est considérablement ralenti, malgré la créativité évidente de certains artistes de propagande. Les lieux de formation sont fermés, l’approvisionnement en sources d’information sur les évolutions artistiques à l’extérieur des frontières est bloqué, et toute initiative picturale est fortement réprimée en dehors des activités de propagande. La filiation subsiste pourtant de manière confidentielle et souterraine. Les artistes de la No Name Painting Society (Wuming), notamment, se réunissent régulièrement pour défendre une conception de l’art affranchi de la politique, et organisent une première exposition clandestine en pleine Révolution Culturelle, en 1974. D’autres expositions suivront en 1979, et 1981. En 1979, le courant des Étoiles (Xingpai), composé d’artistes amateurs, revendique conjointement liberté artistique et politique.
Pour autant, la réouverture est marquée par les contradictions idéologiques de l’époque, entre désir de modernisation et maintien des valeurs et traditions des années précédentes, notamment en ce qui concerne le primat de la tradition du réalisme soviétique. Encore aujourd’hui, artistes et critiques en activité évoquent avec passion et nostalgie l’intensité intellectuelle de cette époque, que ce soit au niveau des lectures poétiques organisées dans les dortoirs étudiants, des débats d’idées, des échanges de lectures. D’autant que professeurs et élèves peuvent organiser librement des conférences, qui font salles combles. Les académies des Beaux-Arts souscrivent même à des revues d’art étrangères, et tirent parfois également leurs propres revues, notamment 美术界 – Fine Art World à la CAFA en 1979.
* Fei Dawei, Once upon a cloud, our 1980 art lives, (traduction vers le français de l’auteur)« En 1981, grisé d’excitation, j’ai embarqué dans un train pour Pékin afin de participer au premier concours d’entrée au département d’Histoire de l’Art de la CAFA depuis la Révolution Culturelle. A ma grande surprise, j’ai terminé premier de la nation à l’examen, mettant ainsi fin à dix ans de vie ouvrière. A la CAFA, dont je n’avais jamais même osé rêvé, j’ai rencontré la « jeune élite » des différentes régions de Chine, tous pleins de vitalités, et des instructeurs au regard ardent et fervent. Le sang de 100 ans d’histoire de l’art chinois pulsait doucement dans ce bâtiment gris, en forme de U. Un groupe de personnes aussi extraordinaires, à une époque aussi extraordinaire, était-ce les prémisses d’une tempête à venir ? une transition historique était-elle en train de prendre forme dans nos mains ? Je voyais de grands changements se profiler à l’horizon pour moi, pour la culture, et pour le pays tout entier*. »
D’un point de vue artistique, cette soif se traduit par de nombreuses expérimentations dont l’ancien campus de la CAFA, dans le quartier de Wangfujin, non loin de la place Tian’anmen, reste le lieu emblématique. Ces bouleversements parviennent peu à peu à s’implanter dans le paysage universitaire. Aux départements traditionnels (Peinture Chinoise, Peinture à l’Huile, Gravure, Sculpture) s’ajoutent de nouveaux départements à consonance moderne. La China Academy of Art est pionnière, avec l’ouverture du « Department of Mixed Painting » en 1995, du « New Media Art Research Center » en 2001, et du « Département of Mixed Media » en 2003 sous la houlette de de Zhang Peili (1957-).
Or aujourd’hui, les présidents d’université (ou d’académies des Beaux-Arts) restent soumis à la tutelle du Comité du Parti Communiste de l’établissement. Celui-ci a notamment le pouvoir de nommer ou de licencier les responsables administratifs et académiques. Chaque faculté compte des représentants du parti, qui rendent compte au secrétaire du PCC de l’Académie. Si la mainmise du parti sur la création fluctue avec les périodes d’ouverture ou de fermeture idéologique, il n’en reste pas moins une méfiance historique des autorités envers l’art contemporain. En témoigne par exemple le fait qu’aucun président chinois ne se soit jamais rendu en visite officielle au quartier dédié à la création contemporaine de Pékin, 798 Art District.
La Chine souhaite en effet passer du « Made in China » au « Created in China » et forme pour cela des armées de designer. Selon le corps enseignant de l’Académie Centrale des Beaux-Arts, l’université accueillait 600 étudiants répartis en 2001. En 2012, elle comptait 5 000 étudiants dont 60% inscrits dans des disciplines liées au design au sens large (incluant jusqu’à l’architecture). L’accent est alors mis sur la commercialisation de l’enseignement.
On estime aujourd’hui que plus de 800 centres de formation délivrent des formations liées au design. En dehors des grandes académies nationales, des promoteurs immobiliers se sont emparés du créneau, et rachètent des centaines d’hectares pour les transformer en « clusters créatifs et culturels », rassemblant des ateliers d’artistes, des lieux d’exposition et de commerce, et des académies privées.
* Qiu Zhijie, Making schools for contemporary art (traduction vers le français de l’auteur)« Finalement, créer de nouvelles disciplines n’est pas une fin en soi. Par contre, nourrir des talents en est une. La question n’est plus de savoir si on devrait ou pas créer de nouvelles disciplines, ni si on peut ou pas le faire. La question est de savoir ce qu’on veut faire avec ses nouvelles disciplines*. »
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