Inde : le mouvement dravidien au Tamil Nadu ou l'utopie au pouvoir
Contexte
L’Inde apparaît aujourd’hui comme un État fédéral stable et démocratique, dont l’unité semble acquise et où les menaces à l’intégrité territoriale du pays restent contenues. Il n’en a pas toujours été ainsi. Au cours de sa jeune histoire, l’Union indienne a connu un processus de construction nationale qui n’a pas été sans heurts. Si la partition a pu constituer une vivisection terrible, mais nécessaire pour bâtir une Inde indépendante viable et fonctionnelle, d’autres hypothèques séparatistes planaient alors sur cette Union naissante. Le cône sud du pays était en proie à des demandes séparatistes, menées de front par les populations tamoules.
Chola devant
Les Tamouls peuvent également se tourner vers un passé glorieux, afin d’affirmer leur existence en tant que nation. Au tournant du premier millénaire de notre ère, le royaume des Cholas exerçait son hégémonie sur une grande partie de l’Inde du Sud, participant au rayonnement de la culture tamoule dans le sous-continent et au-delà. Cet âge d’or mythifié est celui des grands rois bâtisseurs de temples (Rajaraja Ier et son complexe à Thanjavur notamment), d’un foisonnement artistique et religieux (bronzes de Shiva, danse bharatanatyam). C’est enfin et surtout un empire des mers, lançant des expéditions maritimes vers l’Asie du Sud-Est. Le golfe du Bengale s’apparente alors à un « lac Chola » sur lequel fendent les voiles des navigateurs tamouls revenant de négoces lointains — Angkor, Pagan, Cathay —, chargés d’encens, d’ivoire, d’épices et de textiles, faisant la prospérité des ports de la côte du Coromandel et de tout le royaume Chola**.
Dravidiens contre Aryens
Cette victoire en demi-teinte est perçue par beaucoup d’activistes comme une trahison. Parmi eux figure un certain Ramaswamy Naicker, alors en prison pour avoir soutenu la cause des basses castes. L’affaire de Vaikom propulse le jeune Naicker sur le devant de la politique régionale, et l’incite à former le Self-Respect Movement, dont les cinq objectifs vont secouer les fondements sociétaux et politiques du sud de l’Inde pour les décennies à venir : « Non à Dieu, non à la religion, non à Gandhi, non au Congrès et non aux brahmanes. »
Les Dravidiens incontournables
En anticipation de cette date, la société civile tamoule s’organise comme jamais : grèves spontanées, manifestations, rassemblements collectifs pacifistes, autodafés de livres en hindi et de pages de la Constitution, feux de joie brûlant des effigies de « démons hindis ». Les événements prennent cependant vite une tournure violente, attisés par les remarques de certains dirigeants nationaux du Congrès favorable à la généralisation forcée de l’hindi sur tout le territoire. Le gouvernement de New Delhi est bientôt acculé et le successeur de Nehru, Lal Bahadur Shastri, tranche en annonçant le 11 février 1965 que l’anglais pourra être utilisé au niveau fédéral tant que les États de l’Union le souhaiteront.
Aujourd’hui, si le Sud dravidien connaît une situation politique apaisée, c’est bien en raison des décisions prises dès les années 1950, autorisant la constitution d’États sur des bases linguistiques et permettant une véritable décentralisation du pouvoir vers des partis ancrés dans un terreau régional, allant dans le sens d’une union toujours plus approfondie et élargie.
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