Expo : "Troposphère", l'univers des jeunes artistes chinois en France
La cage d’escalier du site est tapissée de pages de journaux et évoque à la fois certains intérieurs chinois et les couloirs d’un bar punk. A l’étage, on pénètre dans ladite Troposphère, cette couche de l’atmosphère la plus proche de la terre, métaphore du monde dans lequel les jeunes artistes chinois vivent et exercent leur pratique, et plus concrètement, dans un espace de quelques 800 mètres carrés où sont exposés les travaux d’une centaine d’artistes. L’ambition de cette exposition collective : faire un état des lieux de la création des jeunes artistes chinois arrivés à Paris depuis l’an 2000, soit un peu plus d’un siècle après que des artistes comme Liu Haisu ou Lin Fengmian ont quitté l’empire décadent des Qing pour venir chercher en France les sources de la modernité. Voilà donc plus de cent ans qu’une histoire se tisse entre les créateurs chinois et la France, cent ans que de jeunes chinois quittent leur pays et choisissent l’Hexagone comme lieu d’apprentissage de l’art mais aussi d’eux-mêmes. En effet, pour beaucoup de ces jeunes nés dans les années 1980, qui ont grandi à la fois dans le cocon d’une famille toute dédiée à leur enfant unique et l’ambiance très encadrée des instituts d’art chinois, l’arrivée en France est un choc.
« Quand je suis arrivé en France en 2005, il faisait tout noir. J’avais peur de tout autour de moi et peur de disparaitre si je fermais les yeux », raconte Ding Jiming, un jeune artiste qui expose une sculpture en céramique recouverte d’yeux, élément devenu central dans son art. Cela va faire 10 ans que je suis en France. Je me suis habitué à la vie ici et je parle français, mais au début, cette expérience était comme une seconde naissance. Il m’a fallu réapprendre à vivre entièrement. »
« J’ai déjà démarché des galeries en France mais je me suis heurté à une certaine froideur de leur part. J’ai réalisé que tout se fait par recommandation. C’est presque impossible d’obtenir un rendez-vous sans cela », poursuit Ding Jiming. Pour vivre à Paris, il vend des dessins sur Internet et ses talents d’encadreurs de rouleaux de calligraphie qui nécessitent une certaine technique.
Stérilets de cuivre sur fond noir
France et Chine, Orient-Occident, encre et peinture à l’huile, cette double culture est un combustible pour la création et une manière pour ces jeunes vivant entre deux mondes de s’objectiver alors qu’ils évoluent dans un contexte pareil au nôtre : celui de la globalisation, de la société de consommation, des conflits entre l’individu et le système.
Pour Cui Baozhong, le commissaire de l’exposition et initiateur de nombreux échanges entre France et Chine à Paris, certains thèmes sont particulièrement saillants dans les travaux de ces artistes issus de la génération « 80 hou » (nés à partir de 1980). « Le thème de l’enfant unique est très présent dans les œuvres, commente Cui Baozhong, comme le montre assez violemment la pièce de Zhou Wenjing qui fait l’étalage de dizaines de stérilets de cuivre sur fond noir. La découverte de soi à travers le corps est aussi au cœur de leur recherche, ainsi que l’influence de la tradition chinoise notamment celle du taoïsme et la philosophie de la nature. »
Second moi et gros lapin blanc
« Nous avons tous une identité changeante, commente Zhang Wenjue. Chez la femme, c’est peut être encore plus marqué. Je me sers du corps, et du déguisement pour montrer cette mouvance et souligner que les apparences sont souvent trompeuses. »
« C’est un genre d’art-thérapie que j’élabore depuis quelques années, explique Yike dont le parcours singulier l’a menée à l’université de Strasbourg et aux cours Florent. J’ai mis longtemps à trouver ma voie. A Strasbourg, les cours d’arts du spectacle étaient trop théoriques tandis qu’au Cours Florent on n’apprend aucune méthodologie. Du coup, je suis retournée en Chine pensant que j’y aurai plus d’opportunités, mais j’ai trouvé qu’au contraire, tout était saturé et régi par le principe des « guanxi » (relations). J’ai fait une dépression, c’était dur. Mais c’est grâce à cela que j’ai découvert la thérapie par l’art. Depuis, je développe cette méthode un peu partout. En Chine, en France et bientôt j’espère aux États-Unis. J’ai besoin de mouvement pour créer. »
Nomade, sédentaire, explorateur du monde extérieur ou du moi profond, peintre, calligraphe, photographe ou vidéaste, nombreux sont les profils à évoluer librement dans cette troposphère qui évoque plus un grand espace de jeu qu’un lieu d’exposition formel. « Le style chaotique de la scénographie est aussi un parti pris », commente Cui Baozhong en souriant. Vêtu d’une robe chinoise comme les hommes en portaient avant la fin de l’empire, Cui incarne précisément la rencontre de la culture chinoise et de la culture française. Ce quarantenaire arrivé en France en 2002 par le biais de la mission catholique, parfaitement bilingue, peut simultanément vous parler d’écriture poétique chinoise et des théories en art et politique d’Yves Michaud qui fait partie du comité artistique de l’exposition. « Ce qui est important, c’est l’ouverture, le cheminement vers la vie ouverte, comme dirait François Cheng, dont j’ai été l’élève et qui m’inspire toujours beaucoup. »
Artiste à découvrir : Fansack
L’un des électrons libres de Troposphère, l’artiste urbain Fansack a commencé sa carrière sur les murs de Chengdu (capitale de la province du Sichuan). Influencé par « Writers, 20 ans de graffiti à Paris », il s’envole pour l’Hexagone où il poursuit des études d’arts plastiques et sa pratique « vandale » dans les rues du sud de la France (Béziers, Aix). Installé depuis à Paris, il a enchaîné les commandes pour des enseignes signées Philipp Starck et des murs octroyés par la Mairie, tout en développant un style inspiré du « zen » où il mélange icônes bouddhiques et contemporaines dans des fresques géantes. Cliquez ici pour voir son compte Instagram.
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