Politique
L'EDITO

Editorial : Trump et Tillerson peuvent-ils "bloquer" Pékin en mer de Chine ?

Rex Tillerson, ancien Pdg d'ExxonMobil, auditionné par la commission des Affaires étrangères du Sénat américain pour l'examen de sa nomination comme secrétaire d'Etat de l'administration Trump, le 11 janvier 2017 à Washington. (Crédits : Ron Sachs/Consolidated/dpa/via AFP)
Rex Tillerson, ancien Pdg d'ExxonMobil, auditionné par la commission des Affaires étrangères du Sénat américain pour l'examen de sa nomination comme secrétaire d'Etat de l'administration Trump, le 11 janvier 2017 à Washington. (Crédits : Ron Sachs/Consolidated/dpa/via AFP)
L’administration Trump désengagée de l’Asie ? Pas vraiment si l’on en croit la première déclaration tonitruante de son nominé au secrétariat d’Etat, Rex Tillerson, lors de son audience ce mercredi 11 janvier devant le Congrès à Washington. L’ancien Pdg d’ExxonMobil a préconisé d’interdire au gouvernement de Pékin l’accès aux îles de mer de Chine du Sud qu’il a poldérisées. Il ne dit pas comment. C’est la première fois qu’un Républicain s’avance aussi loin dans des sanctions contre la Chine.
Tout le monde connaissait chez Donald Trump sa rhétorique anti-chinoise répétée sur tous les tons. A maintes reprises durant sa campagne présidentielle, le milliardaire a promis d’imposer des taxes exorbitantes aux importations chinoises et de qualifier officiellement la Chine de « manipulateur monétaire ». Un protectionnisme incarné dans des mesures chocs telles que le retrait des Etats-Unis du Partenariat transpacifique. Toutes les conditions d’une guerre commerciale fondée sur le slogan isolationniste « America First » semblaient réunies, l’important étant de concentrer désormais les dépenses pour relancer l’économie américaine en investissant dans les infrastructures. Trump l’avait dit et redit : il allait aussi dénoncer le traité de libre-échange avec la Corée du Sud, accusé d’« assassiner » des milliers d’emplois américains ; il allait demander à Tokyo et Séoul de payer davantage pour la protection prodiguée par l’Oncle Sam. Tout cela rendait possible un désengagement américain en Asie, et ouvrait un boulevard à la Chine pour prendre le leadership régional. Le milliardaire a bâti toute sa campagne en critiquant Hillary Clinton pour sa politique étrangère va-t-en-guerre face à la Chine (et la Russie). Le candidat républicain, lui, fuirait la confrontation pour préserver la paix mondiale.

Les premières déclarations de Rex Tillerson laissent penser qu’il pourrait en être autrement. Celui que Trump a choisi pour secrétaire d’Etat était auditionné ce mercredi 11 janvier par la commission des Affaires étrangères du Sénat à Washington. Sans peur d’exaspérer les dirigeants chinois, rapporte le South China Morning Post, l’ancien patron d’ExxonMobil a comparé la construction « illégale » et la militarisation d’îles artificielles par Pékin en mer de Chine du Sud à « l’annexion de la Crimée par la Russie » ! Tout cela est « extrêmement inquiétant », s’alarme l’ancien pétrolier, car si Pékin contrôlait un jour l’accès à cette zone maritime stratégique, ce serait une menace contre « l’ensemble de l’économie mondiale ».

Est-ce le fondement d’une attitude plus agressive vis-à-vis de Pékin, a demandé le Sénat ? « Nous allons devoir envoyer à la Chine un message clair, a répondu Tillerson : « Primo, la construction d’îles, c’est fini, et secundo, votre accès à ces îles ne sera également plus autorisé. » Le futur chef de la diplomatie (à moins que le Congrès le retoque) n’a pas détaillé la façon précise de « bloquer » Pékin. Il s’agira, selon lui, de « montrer notre soutien à nos alliés traditionnels en Asie du Sud-Est ». Comprendre, entre autres, les Philippines – ce ne sera pas facile avec Duterte – et la Thaïlande – où la junte se tourne vers la Chine. En Asie du Nord-Est, Washington, a-t-il promis, n’hésitera pas à défendre le Japon si la Chine tentait de prendre le contrôle de l’archipel des Senkaku/Diaoyu. L’Amérique devra aussi « réaffirmer ses engagements » vis-à-vis de Taïwan. Par contre, Tillerson n’est pas tombé dans le piège de la glose des tweets de Trump mettant la « politique d’une seule Chine » dans la négociation commerciale avec Pékin. « Je n’ai connaissance d’aucun plan pour changer notre position sur le principe d’une seule Chine », a-t-il éludé.

L’idée de Tillerson va beaucoup plus loin que les dernières propositions des Républicains à Washington. En effet, comme le soulignait le Diplomat, le sénateur Marco Rubio a proposé début décembre une loi pour imposer des sanctions à la Chine – à certains de ses individus et entités – en représaille de ses « activités illégitimes en mer de Chine méridionale ». Tillerson suggère lui une action « sur le terrain ».

Alors qu’est-ce à dire ? Faut-il se préparer à une nouvelle crise des missiles comme à Cuba en 1962 ? Est-ce de la pure esbroufe sans réelle conséquence ? Tillerson reste en tout cas, au moins dans les mots, sur la ligne de l’équipe du président-élu : après une administration Obama jugée molle et laxiste, c’est le retour d’une Amérique reaganienne – « great again » – qui montre les muscles pour maintenir une paix à ses conditions. Mais sommes-nous encore dans les années 1980 ? Trump ou pas, l’affaiblissement de la puissance américaine est une réalité. Et l’erreur serait de prendre la Chine de Xi Jinping pour l’URSS de Gorbachev.

Joris Zylberman

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Joris Zylberman est directeur de la publication et rédacteur en chef d'Asialyst. Il est aussi chef adjoint du service international de RFI. Ancien correspondant à Pékin et Shanghai pour RFI et France 24 (2005-2013), il est co-auteur des Nouveaux Communistes chinois (avec Mathieu Duchâtel, Armand Colin, 2012) et co-réalisateur du documentaire “La Chine et nous : 50 ans de passion” (avec Olivier Horn, France 3, 2013).