Taïwan : l'autochtone qui rêvait de retourner dans sa tribu
« Mon rêve, c’est d’ouvrir une auberge à Sado. Il y a bien des auberges ou des chambres d’hôtes dans la région mais cela ne me dit rien de travailler pour elles car leurs propriétaires sont avant tout intéressés par gagner de l’argent. Moi, j’ai envie d’ouvrir une auberge à côté de notre maison et de proposer aux clients de découvrir nos traditions, par exemple en les emmenant pêcher au filet dans les rivières [il s’agit d’une technique de pêche traditionnelle des Amis], poursuit-elle. J’imagine que je pourrais aussi en partie choisir mes clients et accueillir en priorité ceux qui veulent vraiment découvrir la vie locale. »
Dongi Hamu se décide donc à « prendre le taureau par les cornes » et à changer de secteur d’activité. « Mon grand frère travaille pour une compagnie d’assurance depuis quelques années et j’ai vu comment sa situation personnelle a changé du tout au tout. Je voudrais faire comme lui et, après quatre ou cinq ans, avoir économisé suffisamment pour pouvoir ouvrir mon auberge au village. Début octobre, j’ai donc commencé à travailler pour la même compagnie d’assurance. »
Pour autant, la question est d’importance : pourquoi veut-elle ouvrir une auberge dans le village de Sado ? « J’habite à Taïpei depuis longtemps, depuis mes 15 ans et mon entrée au lycée. Mais avant cela, je ne vivais pas à Hualien : mes parents ont très tôt quitté leur village respectif et sont partis travailler à Taïpei où ils se sont rencontrés, avant de déménager à Changhua [une ville industrielle de la côte occidentale de Taiwan, près de Taichung]. Petite, j’ai donc vécu entre Changhua et Taichung. Nous ne rentrions à Hualien qu’un ou deux jours par-ci, par-là, pour le Nouvel An ou pour l’Ilisin [la fête des moissons chez les Amis]. Quand j’étais étudiante, mes parents sont retournés vivre dans le village natal de mon père, auprès de mes grands-parents. Je n’ai jamais vraiment vécu là-bas mais j’aimerais vraiment m’installer dans ma tribu. Être en famille, vivre au milieu de ma tribu, ce serait une meilleure vie pour moi. »
Ce « retour aux sources » ne doit pourtant pas être mal interprété prévient-elle. « La vie à Taïpei est agréable et pratique mais ce n’est pas « chez moi ». Mes parents sont retournés vivre au village quand ils avaient entre 40 et 50 ans. Moi j’ai 27 ans et j’ai déjà envie de m’y installer et d’y travailler. Depuis mes 20 ans environ, j’y retourne plus régulièrement. Grâce à mon père, j’ai appris à reconnaître les plantes, les légumes… Le village abrite environ une centaine de foyers. Les habitants sont surtout des personnes âgées et il y a aussi pas mal d’enfants : les parents sont partis travailler à la ville et ont laissé les enfants en garde aux grands-parents, tout en leur envoyant chaque mois de l’argent. Il y a donc peu de jeunes, et peu de bras pour aider à déblayer ou réparer quand les typhons, nombreux dans cette région, frappent le village. »
« A Taïpei, des activités sont organisées par le département des peuples autochtones, surtout des manifestations sportives qui ont lieu le week-end avec des sports traditionnels au programme. J’y vais rarement car je ne connais presque personne. Ce n’est pas non plus la même atmosphère que dans ma tribu, mais cela dit, c’est bien que cela existe. »
« Je parle mal la langue amis et j’ai du mal à communiquer avec ma grand-mère qui, elle, parle assez mal le mandarin. Mais pourquoi cela serait-ce à elle d’apprendre ma langue ? J’ai donc commencé à suivre des cours d’amis à Taïpei. Cela dit, du nord au sud de Taiwan, et même de Hualien à Taitung, cette langue n’est pas parlée de la même façon, même si son système de romanisation est unifié. Ce qu’on apprend en cours dépend donc aussi du village d’origine du professeur. »
« Dans ma famille, j’ai été la première à utiliser mon nom amis et à l’afficher sur Facebook. Vivant à Taïpei, je ne voulais pas oublier d’où je venais. Ensuite, j’ai encouragé mes cousins, cousines et amis à faire la même chose. Mon nom est Dongi. Dans la tribu, d’autres filles portent le même nom, donc pour savoir qui est qui, l’habitude est de faire suivre son nom du nom de sa mère (les garçons font suivre leur nom du nom de leur père). Ma mère est une Amis également mais elle n’a plus de lien avec sa famille ni avec sa tribu. Elle n’a pas non plus de nom amis, alors je fais suivre le mien du nom de mon père, Hamu. »
« Mon petit ami vient de Taitung. Il est Paiwan [les Paiwan sont un autre peuple autochtone de Taïwan]. Si nous avons des enfants, j’espère qu’ils pourront grandir dans l’une de nos deux tribus, sans tablette numérique, sans smartphone, en apprenant à connaître leurs cultures maternelle et paternelle. »
Le 1er août dernier, la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen a présenté au nom de l’Etat des excuses officielles pour les mauvais traitements et discriminations subis depuis des siècles par les peuples autochtones de Taïwan.
Voici ce qu’en pense Dongi Hamu : « On peut bien sûr discuter des détails de sa déclaration, se demander si elle est allée assez loin, mais je trouve sa démarche très positive : avant elle, aucun président n’avait présenté d’excuses officielles. Certains aborigènes voudraient rejeter complètement les Han mais aujourd’hui, Taïwan, c’est un mélange. Tsai Ing-wen elle-même est au quart aborigène. Je ne veux pas non plus entendre parler de “réunification avec la Chine”. L’important, c’est notre terre, c’est ici. »
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