Folie du café : la Corée a-t-elle un grain ?
Starbucks et ses clônes
La poule aux grains d’or
En fait, les aînés continuent à se saigner puisque dans de nombreux cas, ce sont eux qui financent avec leur retraite la startup torréfiée de leurs rejetons incapables de trouver par ailleurs un emploi dans un marché du travail déprimé. Parfois, ils convertissent le rez-de-chaussée ou le garage, en espérant au passage une plus-value avec la transformation d’une partie de leur maison en espace commercial. Initialement cantonné aux grandes artères et aux quartiers bobos, le phénomène a conquis toute la ville, et il n’est pas rare de voir plusieurs cafés côte à côte dans des ruelles peu fréquentées.
Pour les petits indépendants, c’est une question de survie, mais la plupart des commerces ouvrent un café pour animer leur lieu de vente, et pour eux l’équation n’est pas la même. Toutes les boulangeries et tous les fastfoods proposent désormais du café, rejoints récemment par les magasins de proximité. Les McDo et autres 7 Eleven vendent le café en produit d’appel à moins d’un euro, une fraction des 3-4 euros demandés par les indépendants. La concurrence est plus frontale entre chaînes de café qui toutes proposent de quoi grignoter, et les chaînes de boulangerie – comme Tous Les Jours, Paris Croissant ou Paris Baguette (SPC) – qui elles proposent à boire. A tel point qu’il devient parfois difficile de les distinguer. Certains lieux à boire font d’ailleurs maintenant leur pub en précisant qu’ils servent de la bière et du café.
En Corée, la machine tend souvent à s’emballer dès lors qu’il s’agit de nourriture ou d’immobilier. Pour un produit aussi universel que le café, tout le monde s’y est mis en même temps, les pros comme les amateurs. Les grosses chaînes ont surfé sur la vague en créant plus de franchises que le marché ne pouvait en supporter, tout en faisant porter 100% du risque aux investisseurs souvent trop naïfs. En novembre 2012, le gouvernement a dû instaurer une règle de 500 mètres minimum pour séparer deux cafés de la même enseigne. Vite attirés par cette ruée vers l’or, les chaebol (conglomérats) ont pour leur part été freinés dans leur élan, même si certains s’arrangent pour en profiter indirectement.
Chacun son café !
Le café a capitalisé sur son image moderne, véhiculant des valeurs aussi contradictoires que recherchées en Corée comme la performance et le bon temps. Le café s’est donc rapidement imposé comme le lieu idéal de rendez-vous ou de travail dans un pays où les gens n’ont pas l’habitude de s’inviter les uns chez les autres, et où beaucoup d’élèves préfèrent bachoter ailleurs qu’à la maison (pas étonnant que le concept Starbucks ait cartonné d’entrée dans ce pays !). Le café est enfin le meilleur moyen de profiter de terrasses enfin exploitées à travers la ville. Les restaurants et les cafés d’hier, appelés dabang, mot à mot “salons de thé”, où l’on servait en réalité toutes sortes de boissons chaudes, se trouvaient le plus souvent en étage ou en sous-sol.
La révolution du café
Si Nespresso est présent, la folie des dosettes n’a pas encore gagné le pays. La part de l’instantané recule et les “mix” montent en variété et en gamme – le leader Dongsuh Foods (Maxim, Maxwell) a ainsi lancé Kanu, une marque plus prestigieuse. De leur côté, les boissons prêtes à boire explosent, en particulier grâce aux magasins de proximité.
Somme toute, la révolution du café en Corée repose sur un authentique changement culturel, mais frise par endroits la bulle économique. Il y a tout simplement trop d’acteurs sur ce marché saturé, et payer cinq dollars pour un café après un repas en ayant coûté quatre n’a pas grand sens. Les fermetures vont donc continuer à se multiplier, et même une éventuelle baisse des prix ne suffira pas à prolonger éternellement la hausse de la consommation. Trop de café tue le café, et depuis un an j’ai d’ailleurs divisé par quatre ma dose quotidienne (trois tasses tout de même !).
D’aucuns voient en Pyongyang le futur eldorado, et le nombre d’établissements tend d’ailleurs à s’y multiplier, mais Starbucks devra sans doute encore patienter un moment avant de frappucciner la Corée du Nord…
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