Culture
Analyse

Festival "Portrait de Hong Kong" : la splendeur d'un cinéma protéiforme en 80 films

Scène du film "Chungking express" de Wong Kar-wai. (Copyright : The Jokers Films)
Scène du film "Chungking express" de Wong Kar-wai. (Copyright : The Jokers Films)
En décembre 2021, le conseil législatif de Hong Kong a adopté le projet de loi visant à censurer les futures productions audiovisuelles dont le contenu pourrait attenter à la sécurité nationale. Pourtant, la censure des œuvres à forte connotation politique date de 1953, sous le gouvernement britannique. Un contrôle qui n’a jamais empêché l’industrie du cinéma dans la cité-Etat de connaître plusieurs âges d’or jusqu’à la rétrocession de 1997. Le festival « Portrait de Hong Kong », longuement préparé par le Forum des Images à Paris, ambitionne de dresser un panorama protéiforme du cinéma hongkongais à travers 80 films. Sa splendeur est à découvrir jusqu’au 7 juillet prochain.
Souvent marginalisé, voire ignoré par le public européen, le cinéma de Hong Kong s’est pourtant inscrit durablement dans l’histoire de la pellicule, tant par sa diversité que par sa créativité. Jusqu’à la fin des années 1990, la production cinématographique de la cité occupe la troisième place mondiale, juste après l’Inde et les États-Unis, et devant la France. À défaut d’être distribué dans nos salles, le cinéma de Hong Kong est un spectacle quasi confidentiel, réservé à un micro public de cinéphiles très avertis. Aujourd’hui encore, le public français sous-estime tristement sa richesse.
Début des années 1980, les cinéphiles français, en chinant les cassettes VHS dans le quartier chinois de la capitale, découvrent le cinéma chinois grâce aux films produits à Hong Kong. Durant les années 1971-1973, Bruce Lee, exception à tous égards, rate sa carrière à Hollywood mais pulvérise les records au box-office dans le monde entier grâce aux cinq derniers films produits par le studio hongkongais Golden Harvest, le concurrent de Shaw Brothers, l’autre géant du septième art. C’est la naissance de ce qu’on appellera le film de kung-fu. Et il faut attendre 1980 pour que Jackie Chan, autodidacte téméraire, qui réalise et joue dans La Danse du lion, soit considéré par le public comme la nouvelle star du cinéma de Hong Kong. Devenu aussi bankable que Bruce Lee, il fait rayonner le cinéma hongkongais en transformant le film de kung-fu en film d’action. On parle alors de « film de Hong Kong » (港产片).
Aux dires de David Bordwell, professeur à l’Université du Wisconsin, critique de cinéma et auteur du livre Planet Hong Kong, Popular Cinema and the Art of Entertainment, qui nous a récemment quittés, la production cinématographique de Hong Kong est du pur cinéma. Dans son ouvrage, il cherche à comprendre comment des films réalisés dans un lointain avant-poste de l’empire britannique ont pu atteindre un large public international, alors que les cinéastes européens déplorent leur incapacité à toucher même leur propre public national. Et, plus précisément, David Bordwell se demande comment les cinéastes de Hong Kong ont réussi à créer des films artistiques dans le cadre du divertissement moderne. Qu’est-ce que les pellicules peuvent nous apprendre sur la narration d’un film : son histoire et son artisanat, ses caractéristiques de conception et ses effets émotionnels ? Ces questions nous ramènent inévitablement aux réalisations uniques du cinéma de Hong Kong : les studios de production, la « starification », la durée très serrée du tournage et la rigueur du contrat.
Il faut souligner que le cinéma hongkongais jouissait pleinement de la liberté économique et créative avant la rétrocession en 1997. L’industrialisation de la production, à l’instar des studios hollywoodiens, a su développer ses propres modèles économiques à partir des années 1970. Durant les deux décennies qui suivent, la production annuelle peut atteindre jusqu’à trois cents films. Tous les genres y sont représentés : le « Wuxia Pian » (film de cape et d’épée), la comédie et le drame, le film fantastique ou d’horreur, le thriller et le film d’aventures, le film policier ou de triades, sans oublier, évidemment, les films érotiques.

Années 1980 : l’âge d’or et le succès mondial

Dans les années 1960, l’industrie manufacturière de Hong Kong est orientée vers l’exportation en direction de l’Europe et les États-Unis, ce qui permet à la cité de décoller économiquement. Vers 1970, l’électronique, l’horlogerie et le jouet sont devenus les principales industries : le volume et la valeur de leurs exportations les classent au premier rang mondial. Ce développement rapide n’aurait pu avoir lieu sans l’immigration massive de la population de la Chine continentale.
Durant la décennie 1980, Hong Kong connaît sa deuxième restructuration économique de l’après-guerre. Le moteur du développement passe progressivement de l’industrie manufacturière à l’industrie des services, avec l’industrie financière au centre. À partir des années 1990, Hong Kong devient le centre commercial et financier international en Asie, et même dans le monde.
Le cinéma hongkongais décolle en même temps que la transformation économique de la ville. Tous les styles de films sont proposés. Cet éclectisme touche un public varié, de toutes les couches sociales, de sorte qu’en plein bouleversement de la société les spectateurs, choqués ou apaisées, se reconnaissent dans la fiction choisie.
Un autre jalon, linguistique cette fois, de l’histoire du cinéma de Hong Kong est posé en 1963. À l’époque, une loi oblige tous les films à être sous-titrés en anglais à des fins de contrôle. Mais au fil du temps, cette contrainte permet de toucher les publics non sinophones et d’exporter à l’étranger.
La question de l’exil est un des thèmes forts du cinéma de Hong Kong. Comme marqueur social, ce souci traverse son histoire, de l’époque de la main-d’œuvre venue de Chine jusqu’à aujourd’hui, avec les primo-arrivants, les personnes originaires d’autres pays asiatiques qui viennent travailler dans le service à domicile. On peut le voir dans le film Sunny Side of the Street (2022) de Lau Kok Rui, résume Muriel Dreyfus, la programmatrice de Portrait de Hong Kong aux Forum des images.
Le marché du film hongkongais est très actif dans les années 1980. La réceptivité du marché aux nouveaux genres, l’abondance des ressources pour les producteurs et le fait que les nouveaux cinéastes qui venaient de rentrer à Hong Kong, après avoir étudié à l’étranger, avaient acquis une certaine expérience dans l’industrie de la télévision, tout cela a constitué un environnement propice au développement des films alternatifs ou des films d’art de Hong Kong. Le modèle économique semi-indépendant permet de faire émerger un grand nombre de cinéastes qui forment la nouvelle vague de Hong Kong. Ann Hui (Love in a Fallen City en 1984), Patrick Tam (Nomad en 1982 et My Heart is that Eternal Rose en 1989), un peu plus tard Wong Kar-wai (Chungking Express en 1994) et Stanley Kwan (Amours Déchus en 1986, Rouge en 1987 et Centre Stage en 1991) sont acclamés par tous les publics pour les qualités narratives et esthétiques de leurs œuvres, à la fois personnelles et politiques, en marge du courant dominant. À partir des années 1990, les œuvres de ces réalisateurs hongkongais reçoivent une attention sans précédent de la part des festivals de cinéma et des critiques du monde entier.
Scène du film "Rouge" de Stanley Kwan. (Copyright : Carlotta Films)
Scène du film "Rouge" de Stanley Kwan. (Copyright : Carlotta Films)
Scène du film "Une Vie Simple" de Ann Hui. (Copyright : Distribution Workshop)
Scène du film "Une Vie Simple" de Ann Hui. (Copyright : Distribution Workshop)

Après 1997, le crépuscule et le patriotisme

Le Hong Kong Film Development Fund (FDF), créé en 1999, est un fonds de développement financé par le gouvernement hongkongais pour soutenir la création. Mais ce n’est qu’en 2008 que le premier film produit grâce à l’aide de ce fonds voit le jour. L’investissement n’a cependant toujours pas atteint l’effet escompté.
Depuis la rétrocession en 1997, les films de Hong Kong doivent composer avec le très puissant marché chinois. Attirés par l’immense public du continent et des investissements colossaux, la plupart des réalisateurs hongkongais choisissent de coproduire avec des investisseurs chinois. Le concept de cinéma de Hong Kong s’estompe progressivement au cours deux décennies suivantes jusqu’à aujourd’hui, et la notion de localisme s’efface de l’écran. Les réalisateurs doivent adapter leurs scénarios aux goûts du spectateur en Chine et aux règlements politiques.
Le cinéma local n’a plus les moyens de son autonomie. Cependant, il y a encore des jeunes réalisateurs qui chérissent leur indépendance. En conséquence, nombre de productions non industrielles voient le jour, avec un petit budget, des thèmes sociaux clairs et des métaphores politiques.
La production de films indépendants a progressivement construit son propre marché de niche après 2000. Dans le même temps, les festivals de cinéma ont fait émerger un certain nombre de jeunes réalisateurs. La plupart d’entre eux sont diplômés des universités locales et cherchent à s’affranchir du système de leurs prédécesseurs, de leurs studios et de leurs stars. Ils s’emploient à diversifier leurs récits et les genres cinématographiques. Le mouvement des parapluies de 2014 fournit à ces jeunes réalisateurs un abondant matériau. Les documentaires sont un des moyens par lesquels ils révèlent leur attachement à la culture locale à travers leur esthétique et leurs récits, en assumant leur passé et en offrant aussi au public un espace culturel nuancé.
Au Forum des images, Portrait de Hong Kong fait découvrir plusieurs films marqués par le tournant politique et social, comme Revolution of Our Times de Kiwi Chow, Blue Island de Chan Tze-woon, Far Far Away d’Amos Wong.
Selon le nouveau règlement promulgué en 2021, l’œuvre ne doit pas être préjudiciable à la sécurité nationale, et le chef du Bureau du commerce et du développement économique de Hong Kong a le pouvoir de retirer un film non conforme. Des sanctions plus lourdes, pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et une amende atteignant 1 million de dollars hongkongais, sont imposées pour l’exploitation de films qui n’ont pas bénéficié d’un visa ou d’une approbation.
Avec une programmation de cette envergure, l’équipe du Forum des Images a l’ambition de « faire ainsi dialoguer passé mythologique et présent politique ». « Nous avons discuté avec les cinéphiles, les critiques, les chercheurs et les gens sur place, en partant de la volonté de faire découvrir un territoire par son cinéma, confie Muriel Dreyfus à Asialyst avant l’ouverture du festival. Comment construire un programme dans ce moment précis où vivent les gens à Hong Kong ? Nous ne pouvons pas en faire le portrait comme dans n’importe quel lieu dans le monde… Ce qu’il se passe actuellement à Hong Kong est une motivation pour nous de faire découvrir ce cinéma qui est un peu oublié, qui reste très fort et simple, et surtout le plaisir et de voir des films. C’est une manière de soutenir le cinéma hongkongais. »
Ne manquez pas « Portrait de Hong Kong » en 80 films, vous serez inspirés par le dynamisme et l’esprit créatif du cinéma hongkongais.
Par Tamara Lui

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A propos de l'auteur
Originaire de Hongkong, ancienne journaliste pour deux grands médias hongkongais, Tamara s'est reconvertie dans le documentaire. Spécialisée dans les études sur l'immigration chinoise en France, elle mène actuellement des projets d'économie sociale et solidaire.