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Festival Allers-Retours : "Coming of Age", ces courts métrages chinois qui bousculent le lien parent-enfant

Scène du film "A Young Tough" (然) du réalisateur chinois Wang Pengwei.
Scène du film "A Young Tough" (然) du réalisateur chinois Wang Pengwei.
Sélection de quinze courts métrages de jeunes auteurs chinois, l’évènement « Coming of Age », organisé par le Festival Allers-Retours consacré à des cinéastes chinois contemporains, a donné lieu à six projections, trois à Paris et trois à Lyon, entre le 28 septembre et le 5 octobre 2023. Tous explorent avec brio la difficile relation parent-enfant, entre inversion des rôles, absence et impasse.
« Coming of Age », traduction anglaise du terme « majorité », pensée comme un processus en cours, sorte de cheminement, c’est le titre que les organisatrices et organisateurs du festival Allers-Retours dédié à la production indépendante chinoise ont souhaité donner à la sélection de courts-métrages qu’ils diffusent chaque année à l’automne.
Cet événement dédié au format court, comme un clin d’œil aux fameuses duanpian (短片), ces nouvelles qui sont le sel de la littérature contemporaine chinoise, est né au moment où la pandémie est venue percuter nos réels et nos imaginaires. Ne pouvant plus se déplacer dans les salles de cinéma, ne pouvant plus retourner en Chine, l’équipe du festival Allers-Retours a l’idée de créer un rendez-vous en ligne, pour préserver le lien avec son public, consolidé année après année depuis la première édition du festival en 2018. C’est ainsi qu’à l’automne 2020, une sélection de court-métrages indépendants, intitulée « Coming of Age », est proposée au public français.
La levée des restrictions liées à la pandémie n’a pas convaincu la jeune équipe de mettre un terme à cet avatar numérique. Elle l’a au contraire encouragée à offrir aux auteurs, à leur film et à leur public de bien meilleures conditions de projection, en poussant à nouveau les portes des salles obscures.
À l’occasion de la programmation culturelle de la Fête de la mi-automne, l’édition 2023 les a menés pour la première fois dans le 13ème arrondissement de Paris, la « plus grande Chinatown européenne », à en croire le conseiller municipal de la Mairie du 13ème, Daniel Tran, présent le soir de la projection et ancien membre influent de l’Association des Jeunes Chinois de France. Fort de ce soutien institutionnel, et grâce à l’aide de nombreux bénévoles issus bien souvent des rangs de l’ancienne association de l’édile, cette nouvelle édition a pu présenter 15 courts, à Paris, mais aussi, et pour la première fois, à Lyon, et ce simultanément. Une vraie prouesse !
Le comité de sélection a déniché cette année un condensé de quinze productions tournées aux quatre coins du monde. Les circonstances actuelles ont en effet bien souvent conduit les jeunes cinéastes chinois à rejoindre des cieux plus cléments. Ce sont des films qui viennent pour certains de Pologne, du Japon ou de France. Seuls trois d’entre eux sont tournés en Chine. Et il est intéressant d’observer comment ces expériences de l’étranger font évoluer les regards de ces jeunes cinéastes. C’est justement la tendance majeure que le comité de sélection a constaté cette année :
« À la fois connectés au monde et à leur culture d’origine, enrichis par leurs parcours sur tous les continents, ils tissent des liens entre leur art et la réalité qui les entoure. »
La sélection a couvert un large panel de genres cinématographiques, de la fiction au documentaire en passant par l’animation ou le cinéma expérimental. Il s’agit le plus souvent de tout premiers films ou de travaux de fin d’étude. Ce festival est justement né de la volonté de partager la créativité et l’énergie qui se dégage de ce genre de productions, dont l’équipe est familière, car elle compte plusieurs anciens étudiants en cinéma, rompus au visionnage de ce type de films, qui n’avaient pas accès, jusque-là, au public.
Sans avoir posé de critère de parité, le comité de sélection a retenu huit films de réalisatrices sur les quinze titres choisis. Le talent des cinéastes féminines est donc reconnu sans une quelconque discrimination positive. Un résultat sans doute à mettre au compte d’une bonne représentation des femmes dans la galaxie Allers-retours, qu’il s’agisse de la fondatrice du festival, Niu Xiaowa, de la créatrice de « Coming of Age », Liu Xutong, de la chargée de communication, Ko Yen-Ju, ou encore d’une des membres clés du comité de sélection, Feng Dongming.
La projection du jeudi 5 octobre au Cinéma Pathé Les Fauvettes était suivie d’un échange avec trois des cinéastes représentés. Liu Bohao, étudiant de Véréna Paravel à l’institut Le Fresnoy, basé à Lille, était présent dans la salle, alors que deux autres réalisateurs, Wang Pengwei et Cheng Yu, intervenaient depuis la Chine, malgré le décalage horaire, par écran interposé.
S’il fallait isoler un dénominateur commun aux cinq courts-métrages projetés ce soir-là, il s’articulerait probablement autour de la question des générations, des relations – ou de leur absence – entre parents et enfants. Souvent, cette question se solde par une inversion des rôles, comme dans A Young Tough (然, Ran) de Wang Pengwei, où les enfants finissent par prendre la place des parents. Parfois, c’est l’impasse, un fossé infranchissable, comme dans Monsters Never Know (山下野兽, Shan xia yeshou) de Yong Ming, où les pères mutiques semblent impuissants à émanciper leur fils, et au contraire les enferment. Idem dans When a Rocket Sits on the Launch Pad (火箭发射时, Huojian fashe shi), une ethno-fiction de Liu Bohao où la fusée du titre, interprétée par une jeune basketteuse jouant son propre rôle à l’écran, se voit couper les ailes par un mariage forcé. Même idée dans Daughter and Son (亲密, Qinmi) de Cheng Yu, où se met en place un dialogue fictif et inquiétant entre une mère absente et sa fille.
L’interlude offert par le film d’animation Alien Human (宇宙人间, Yuzhou renjian) de Pang Wen, la seule réalisatrice représentée ce soir-là, permettait un pas de côté poétique, une prise de recul salutaire, à l’image de cet alien aux yeux incandescents qui se jouait de l’observation du monde des humains. Si, à première vue, ce film se démarquait des autres en ce qu’il n’abordait pas les questions générationnelles, il n’en était jamais très loin. Ainsi ce constat dans la bouche de l’alien : « L’humain est la seule espèce capable de blesser psychologiquement. » Des blessures peut-être intrinsèques aux relations qui se nouent entre parents et enfants justement.

Synopsis et détails des films projetés le 5 octobre à Paris au Pathé Les Fauvettes à 19h30 et à Lyon au Cinéma Lumière Bellecour à 20h30

A Young Tough (然) de Wang Pengwei (王鹏为) – 2021 / 30’ / Mandarin, Anglais / VOSTF / Fiction
Pendant les vacances d’été, un garçon passionné par l’explosion d’insectes navigue dans les méandres du mariage de ses parents qui se désintègre violemment. Dans le même temps, il cherche désespérément à mettre la main sur la nouvelle Game Boy, quitte à sacrifier une toute nouvelle amitié.
When a Rocket Sits on the Launch Pad (火箭发射时) de Liu Bohao (刘博濠) – 2023 / 12’ / Mandarin, Sichuanais, Nuosu / VOSTF / Documentaire
Fang, 15 ans, vient de finir le collège. Avec ses camarades du basket, elle parle de ses espoirs et de ses rêves, qui déjà commencent à lui échapper face à la réalité des adultes. Au loin, les fusées continuent de décoller, mois après mois.
Alien Human (宇宙人间) de Pang Wen (庞雯) – 2022 / 5’ / Anglais / VOSTF / Animation
Film d’animation adapté d’une bande dessinée en ligne de Wang Yuewei, Alien Humans, restitue à travers quatre saynètes poétiques l’étrangeté que nos pensées peuvent revêtir aux yeux d’autrui.
Monsters Never Know (山下野兽) de YANG Ming (杨名) – 2020 / 15’ / Mandarin / VOSTF / Fiction
Les Mongols appellent « monstres » les personnes qui ne respectent ni la vie ni la nature. Un père embarque son fils de force pour l’emmener au monastère local. Un récit initiatique façon western dans les vastes étendues de la prairie mongole.
Daughter and Son (亲密) de Cheng Yu (程宇) – 2023 / 30’ / Mandarin / VOSTF / Fiction
Sachiko et Ming vivent ensemble. Chaque jour, ils endossent différents rôles dans lesquels leur relation exacte et leur identité s’embrouillent et se dissolvent.
Voir le détail des quinze films au programme et leurs réalisateurs sur le site d’Allers-Retours.
Par Lou Lee Po
Cet article a été initialement publié sous le titre « Festival Coming of Age : compte-rendu » sur le site Chinese Movies, le 11 octobre 2023.

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A propos de l'auteur
Bonne connaisseuse de la Chine, Lou Lee Po parcourt ce pays depuis une quinzaine d'années. Ses thèmes de prédilection : les droits des femmes, le tourisme et la culture chinoise.