Politique
Disparition

Hommage à Zhang Sizhi, le père des avocats en Chine populaire, mort à 94 ans

L'avocat chinois Zhang Sizhi. (Source : SCMP)
L'avocat chinois Zhang Sizhi. (Source : SCMP)
Il incarnait la figure de l’avocat en Chine : une profession qu’il avait créée, presque de toutes pièces, après la fin de la Révolution culturelle. Zhang Sizhi s’est éteint à Pékin ce vendredi 24 juin. Il avait 94 ans.
Il restera dans l’histoire comme celui qui accepta de défendre les indéfendables, ceux dont le régime voulait se débarrasser. Il fut notamment l’avocat de Jiang Qing et de la Bande des Quatre ; il défendit aussi les grandes figures politiques du mouvement de Tian’anmen, comme le sociologue Wang Juntao ou encore Bao Tong, le bras droit de Zhao Ziyang.
Depuis les années 2000, il s’était éloigné des prétoires pour accompagner la jeune génération des défenseurs des droits ; il fut notamment le mentor de Pu Zhiqiang et de Xia Lin, les avocats de l’artiste Ai Weiwei.
Profondément affecté par la répression qui s’abattit sur les avocats chinois en 2014, il décida de revenir en première ligne pour défendre Pu Zhiqiang, arrêté en mai. Mais le procès et ses pressions eurent raison de ses forces : en septembre 2014, Zhang fut victime d’une thrombose cérébrale dont il ne se releva pas.
Ironie du sort, la maladie priva de la parole celui qui avait inventé l’art de dire ce qui ne se dit pas en Chine.
C’est un homme libre et courageux qui disparaît aujourd’hui, l’avocat qui a ouvert la voie à tous les autres en Chine. Un homme dont la vie a tendu vers un seul objectif : démontrer que penser autrement n’est jamais un crime.
Par Judith Bout
L'avocat chinois Zhang Sizhi et sa biographe, la sinologue française Judith Bout. (Crédit : Judith Bout)
L'avocat chinois Zhang Sizhi et sa biographe, la sinologue française Judith Bout. (Crédit : Judith Bout)

Le droit et la loi avant tout : les secrets d'une carrière à la longévité hors normes

La profession d’avocat apparaît en Chine dans les concessions sous l’influence occidentale à la fin du XIXème siècle. Elle s’enracine peu à peu dans les grandes villes ; la greffe prend surtout à Shanghai. Après la fondation de la République populaire, les avocats sont soupçonnés – préjugé marxiste oblige – de défendre les intérêts de la seule bourgeoisie. Ainsi, l’expérimentation lancée en 1954 avec la constitution de bureaux de conseils juridiques sur le modèle soviétique est brève : les avocats sont, pour la plupart, envoyés en camp de rééducation par le travail après la campagne des Cent fleurs en 19574. Zhang Sizhi a été le premier condamné à Pékin. Il a passé quinze ans à effectuer de pénibles travaux physiques dans la grande périphérie de Pékin. Il a vécu en camp de travail le Grand Bond en avant et sa terrible famine, les brutalités politiques de la Révolution culturelle.

Il faut attendre 1980 pour que la profession d’avocat soit rétablie, peu après l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping. Le droit est alors au fondement du nouveau projet national, le développement économique et la stabilité politique et sociale. Or le pays manque de juristes : Zhang Sizhi, sur ordre du Parti, redevient avocat à 52 ans.

Aujourd’hui, la Chine est l’un des rares pays à prévoir une incrimination pénale à l’égard des avocats – falsification de preuve et de témoignages – et à les expulser parfois manu militari du tribunal pour « trouble à l’ordre public ». D’où la stratégie de Zhang Sizhi d’évitement des médias, son refus d’institutionnaliser son combat judiciaire dans un cadre politique pour mieux défendre ses clients. Ne pas se mettre en avant, transformer les questions politiques en questions de droit et le droit en une science, cette méthode a valu à Zhang Sizhi une carrière d’une extraordinaire longévité quand tant d’autres se voyaient retirer leur licence d’avocat.

Donner vie aux droits inscrits dans la loi, dont l’application est rendue difficile par l’absence d’indépendance de la justice, telle a été la ligne de Zhang Sizhi dans quelques-uns des plus grands procès politiques de l’ère post-maoïste : Wang Juntao en 1991, un intellectuel accusé d’être une « main noire des étudiants » de la place Tiananmen ; Bao Tong en 1992, le plus haut officiel du Parti condamné après 1989 ; Wei Jingsheng en 1995, le plus célèbre dissident de Chine pour avoir réclamé dès 1978 la « cinquième modernisation » ; Zheng Enchong, avocat shanghaïen accusé de « divulgation de secrets d’État » en 2003 ; Li Zhi en 2004, un cyberdissident repéré grâce à Yahoo!.

Zhang Sizhi s’est vu décerné le prix des droits de l’homme Petra Kelly en 2008 par la fondation Heinrich Böll. Il fut aussi le deuxième signataire de la Charte 08, publiée par des intellectuels chinois sur le modèle de la Charte 77 de Václav Havel et pour laquelle Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix en 2010, a été condamné à onze ans de prison en 2009.

L’influence de Zhang Sizhi sur les nouvelles générations d’avocats a pris de multiples formes depuis les années 1980. Sa conception de la défense, il l’a portée en tant que professeur d’université à l’université centrale de télé-enseignement (1984) et l’université des sciences politiques (1987), puis en tant que directeur de revue (1988). Son manuel La profession d’avocat, Théorie et pratique (中国律师制度与律师实务), publié en 1985, ainsi que la revue professionnelle – première du genre – Avocats chinois (中国律师), qu’il a créée, sans oublier la formation de jeunes confrères à l’art du procès politique dans les années 1990 et 2000, furent autant de références incontournables pour des générations de jeunes avocats.

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A propos de l'auteur
Judith Bout mène actuellement une thèse, sous la direction de M. Yves Chevrier et de Mme Isabelle Thireau à l’EHESS, sur l’histoire des avocats en Chine populaire. Elle est l'auteur de la biographie de Me Zhang Sizhi, la figure tutélaire des avocats chinois, sous le titre Les confessions de maître Zhang. Elle a également signé des articles dans la revue La Vie des idées.