Société
Analyse

Surmortalité liée au Covid-19 : l'Asie en première ligne

Volontaires chargés de la désinfection pour prévenir tout foyer de Covid-19 au château d'eau de Taman Sari, une attraction touristique populaire à Yogyakarta, en Indonésie, le 31 mars 2020. ((Source : Asia Society)
Volontaires chargés de la désinfection pour prévenir tout foyer de Covid-19 au château d'eau de Taman Sari, une attraction touristique populaire à Yogyakarta, en Indonésie, le 31 mars 2020. ((Source : Asia Society)
En deux ans, près de 15 millions de personnes sont mortes à cause du Covid-19, soit trois fois plus que le nombre de morts déclarés. C’est l’estimation d’un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), publié en mai dernier. Cette différence est particulièrement nette pour l’Asie, qui représente près de la moitié de l’excès de mortalité constaté dans le monde, alors qu’elle n’a déclaré qu’un peu plus d’un cinquième des morts liées à la pandémie. La situation de l’Asie s’est particulièrement détériorée en 2021 : en cause, des retards pris dans les campagnes de vaccination. Les différences entre pays sont énormes et quatre d’entre eux – l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan et les Philippines – représentent plus de 90% de l’excès de mortalité asiatique.
Intitulé « Décès supplémentaires associés à la pandémie de Covid-19 », le rapport de l’OMS avance une série d’enseignements sur l’impact sanitaire du virus dans le monde et en Asie en particulier. Nous savions que les données sur la mortalité liée au Covid-19 fournies par les États pouvaient être trompeuses, notamment par manque d’information sur l’origine des décès dans les pays dont les systèmes de santé sont insuffisants. L’OMS le démontre : l’excès de mortalité lié au Covid-19 est en général très supérieur à ce qui résulte des données déclarées.
Il prend en compte à la fois la mortalité directe liée à la pandémie, la mortalité indirecte créée par la désorganisation des systèmes de santé et les effets des traumas psycho-sociologiques. Il n’oublie pas la diminution de la mortalité liée au bénéfice indirect de la réduction du transport ou de la moindre transmission d’autres maladies infectieuses, la grippe saisonnière par exemple.

L’Asie représente près de 43 % de l’excès global de mortalité

Dans le cas de l’Asie, cette analyse globale donne des résultats particulièrement intéressants. Alors que les pays du continent asiatique déclaraient un peu plus d’1,3 millions de morts sur la période 2020-2021, l’OMS leur en attribue 6,4 millions, soit un multiplicateur proche de cinq. Pour l’institution onusienne, l’Asie est donc le premier continent affecté par l’excès global de mortalité, loin devant l’Europe et l’Amérique, avec une part du total mondial proche de 43 %.
L’impact de la pandémie sur la mortalité en Asie est particulièrement dévastateur en 2021. Alors qu’une partie des pays asiatiques avaient su contenir la pandémie en 2020 par des politiques de prévention drastiques, l’apparition de nouveaux variants plus contagieux et le retard pris dans les campagnes de vaccination dans beaucoup de pays ont provoqué un choc sanitaire brutal. Alors que l’excès de mortalité reste limité à 1,1 million en 2020, il atteint 5,3 millions l’année suivante.
Les données fournies par l’OMS sont d’une fiabilité relative car bon nombre de pays asiatiques ne publient que des données partielles sur les causes de mortalité, avec une périodicité variable – annuelle par exemple pour la Chine, mais mensuelle en Thaïlande. Le travail des statisticiens de l’OMS comporte donc une part d’estimations qui est importante pour les pays en développement d’Asie, avec une marge d’erreur à la hausse ou à la baisse de l’ordre de 20 %.

Les différences par année et par pays sont énormes

En 2020, un certain nombre de pays asiatiques avaient un bilan de mortalité positif, car la diminution des décès liée à d’autres causes de mortalité était restée supérieure à la progression des décès associés au Covid-19. C’était le cas en particulier en Chine, au Vietnam, en Thaïlande, aux Philippines, en Malaisie, au Sri Lanka, en Mongolie et au Japon, la Corée du Sud et Singapour étant très proches d’un bilan équilibré. Les pays les plus touchés en 2020 étaient l’Indonésie et les principaux pays d’Asie du Sud – Inde, Pakistan et Bangladesh.
En 2021, aucun pays asiatique ne conserve un bilan positif. Même la Chine passe à un bilan négatif de 23,5 milliers de décès supplémentaires. Le bilan de l’Asie du Sud s’alourdit fortement. L’Inde, qui avait enregistré près de 900 000 décès supplémentaires en 2020, en enregistre près de 4 millions en 2021. L’excès de mortalité double en Indonésie, au Kazakhstan et au Bangladesh. Positif en 2020, le bilan du Japon, de la Corée, de Singapour et surtout des Philippines devient nettement négatif en 2021.
La concentration de l’excès de mortalité sur quelques pays est frappante après deux ans de pandémie. L’Inde à elle seule totalise plus de 30 % de l’excès de mortalité à l’échelle mondiale, ce qui dépasse nettement la part de la population indienne dans la population de la planète. Le bilan de l’Indonésie et des Philippines est également lourd, rapporté à leur poids démographique.
L’année 2022 devrait apporter encore quelques surprises. Il est possible que les excès de la politique anti-Covid en Chine aggravent le bilan global de la mortalité chinoise, si l’on se base sur les nombreux témoignages de difficultés d’accès aux soins dans un contexte de confinements à répétition. Ailleurs en Asie, les bilans officiels de mortalité sont actuellement en très net recul. Mais il est évidemment trop tôt pour dresser un bilan.
Par Hubert Testard

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Hubert Testard est un spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux. Il a été conseiller économique et financier pendant 20 ans dans les ambassades de France au Japon, en Chine, en Corée et à Singapour pour l’Asean. Il a également participé à l’élaboration des politiques européennes et en particulier de la politique commerciale, qu’il s’agisse de l’OMC ou des négociations avec les pays d’Asie. Il enseigne depuis huit ans au collège des affaires internationales de Sciences Po sur l’analyse prospective de l’Asie. Il est l’auteur d’un livre intitulé "Pandémie, le basculement du monde", paru en mars 2021 aux éditions de l’Aube, et il a contribué au numéro de décembre 2022 de la "Revue économique et financière" consacré aux conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine.