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Chine : Zhai Mo en Arctique, les revendications de Pékin à pas feutrés ?

Iceberg au nord de l’archipel du Svalbard. (Crédit : Rob Oo sur Flickr)
Iceberg au nord de l’archipel du Svalbard. (Crédit : Rob Oo sur Flickr)
En juillet 2021, l’artiste milliardaire Zhai Mo commençait un voyage de quatre mois au départ de Shanghai pour accomplir la première circumnavigation de l’Arctique sans halte par un ressortissant chinois. Bien que diverses expéditions aient déjà réussi le tour de l’Arctique complet par le passé, celle de Zhai constituait la première – chinoise – continue, c’est-à-dire sans halte dans un port arctique.
Le 14 septembre, la chaîne d’État China Global Television Network (CGTN) rapportait que le navire, le capitaine Zhai et son équipage entraient dans le passage du Nord-Ouest, par la baie de Baffin. La fin d’un périple de deux mois dans le Pacifique, à travers le détroit de Béring puis le long des côtes russes, le Passage du Nord-Est.

Aventurier téméraire face aux souverainetés nationales

*Convention des Nations unies sur le droit de la mer.
Mais depuis le 16 septembre, des médias chinois pointent du doigt les autorités canadiennes pour avoir refusé l’accès au détroit de Lancaster à leur compatriote. En effet, le Canada est accusé de faire une interprétation fallacieuse du droit de la mer de la CNUDM* à propos du statut des passages maritimes le long des côtes canadiennes. « Le Canada a stoppé de manière illicite le capitaine chinois Zhai Mo et son équipage durant leur circumnavigation à voile de l’Océan Arctique », écrit ainsi Xu Fanyi dans une brève publiée sur CGTN. L’article explique aussi que le navire va rentrer en Chine après cette rebuffade, par une route plus classique : le canal de Panama et le Pacifique.
Pourtant le Canada dément ces accusations. Selon son ministère des Transports, Zhai n’est jamais entré dans les eaux canadiennes et il n’a en aucune manière été refusé d’accès, bien que cela aurait été certainement le cas.

Un artiste bien connu pour son activisme politique en faveur du PCC

Il serait bien naïf de considérer le voyage de Zhai, et cette échauffourée médiatique, comme le simple fait de quelques aventuriers chinois, en quête de paysages glacés et de sensations fortes. Zhai Mo, peintre impressionniste et milliardaire pour ses toiles inspirées notamment de Gauguin, n’en est pas à sa première opération de diplomatie publique pour le compte de la Chine. Le peintre-aventurier fut en effet le premier Chinois à effectuer un tour du monde à la voile. Au cœur de tensions géopolitiques très vivaces, il navigua en 2013 jusqu’aux îles Senkaku/Diaoyu en mer de Chine orientale, escorté par des garde-côtes chinois, et y planta une centaine de drapeaux de la Chine pour revendiquer la souveraineté de son pays sur le caillou. En 2015, il entreprit un long périple le long des voies maritimes des « Routes de la Soie », un écho au titanesque projet géopolitique du Parti. Rien d’étonnant à ce que le voyage de Zhai en Arctique, alors que la Chine cherche à accroître sa présence dans une région où elle n’a pourtant aucun territoire ni d’intérêts légitimes, soit couvert par le canal de diplomatie publique toute en propagande pour les audiences extérieures, CGTN, qui l’affuble du très explicite « notre navigateur ». Il s’était d’ailleurs fait reconnaître par l’agence pour la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), en tant que « Soutien à la CNULCD – Aventurier Arctique 2021 ».
Il faut toutefois se rappeler, comme Mia Bennett l’écrit, que la ligne est très fine entre initiative personnelle et expédition entreprise par un pays en Arctique. Le drapeau russe très médiatiquement planté en 2007, sur le sous-sol océanique au point exact du pôle Nord géographique, était par exemple une expédition aux financements privés, mais dont la signification était éminemment géopolitique. L’histoire des expéditions polaires est d’ailleurs remplie d’initiatives personnelles convoquant les symboles et les revendications nationales.

Simple déconvenue ou manœuvre politique ?

En effet, si les médias chinois ont raison sur un point, c’est bien sur la souveraineté que le Canada estime et considère comme ses eaux internes, où sa juridiction nationale s’applique. « Le Canada revendique le Passage du Nord-Ouest comme ses eaux internes, et nous agissons de telle façon que nous pouvons exercer un contrôle sur les navires contredisant nos intérêts », détaille pour Radio Canada le politologue Rob Huebert, affilié à l’Université de Calgary. Ce statut est contesté par plusieurs pays, États-Unis en chef de file, et d’autres pays européens notamment. La Chine quant à elle ne s’est pas encore prononcée sur le sujet, préférant une ambiguïté discrète vis-à-vis du statut des passages arctiques, autant canadien que russe. D’ailleurs, il faut ici pointer la contradiction interne dans les articles chinois dénonçant le caractère illicite d’un tel refus, au prétexte que ce passage est un passage international : si l’on considère un passage comme tel, alors l’emprunt du passage se fait sans annonce ni demande d’autorisation. Faire une telle demande au pays revendiquant revient à implicitement lui reconnaître sa souveraineté et son autorité à réguler son propre passage.
En réalité, cet énervement orchestré par la propagande chinoise après une déconvenue dont l’origine réelle semble toujours inconnue, pourrait être une habile manière d’essayer les réactions diplomatiques du Canada et de la Russie face à un acteur chinois, certes privé, qui ne se conformerait pas aux revendications et positions nationales dans les passages arctiques. Un test à petite échelle avant d’autres de plus grande ampleur, tel que le Xue Long 2, premier brise-glace de construction nationale, et qui faisait cet été sa première expédition arctique, la douzième du pays.
Cette répétition à petite échelle d’une attitude qui pourrait être réitérée à l’avenir est au cœur de l’approche chinoise des normes internationales. Puisque la coutume, c’est-à-dire la pratique des États, est un argument valide dans les litiges internationaux, répéter ce type de comportement pourrait servir à lentement mais sûrement remodeler le droit maritime et le statut des passages arctiques vers une tendance plus favorable aux intérêts chinois. Si la guerre pour l’Arctique est très loin d’éclater dans cette région pacifique, la bataille discursive est bel et bien commencée.
Par Joaquim Gaignard

Pour approfondir, notre dossier spécial : La Chine maritime dans les régions polaires

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A propos de l'auteur
Licencié de Paris 1 Panthéon-Sorbonne en histoire, Joaquim Gaignard est étudiant en Master de Relations Internationales à l'école doctorale de Sciences Po. Ses thèmes géopolitiques de prédilection : l'Asie, la Chine, les régions polaires, les relations diplomatiques et le transnational.