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La France défie la Chine en mer de Chine du Sud

Le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre est parti de Toulon pour une mission en mer de Chine du Sud, le 18 février 2021. (Source : Mer et Marine)
Le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre est parti de Toulon pour une mission en mer de Chine du Sud, le 18 février 2021. (Source : Mer et Marine)
Partis jeudi 18 février de leur port d’attache de Toulon, le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre et la frégate légère furtive Surcouf, deux bâtiments français, font route vers la région Indo-Pacifique. Ils croiseront à deux reprises en mer de Chine du Sud, une zone de 4,5 millions de km2 dont 90 % sont revendiqués par Pékin. Leur mission doit durer trois mois. Un nouveau un défi direct lancé à la Chine.
Selon des informations du site Naval News, les navires français doivent prendre part à un exercice naval combiné avec des bâtiments des flottes américaine et japonaise en mai. Interrogé sur le but de cette mission, le commandant du Tonnerre, le capitaine Arnaud Tranchant, a expliqué que la flotte tricolore souhaitait « travailler pour renforcer » le partenariat de la France avec les quatre pays du « Quad », les Etats-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde. Le capitaine Tranchant, cité par le South China Morning Post, a déclaré qu’un éventuel transit par le détroit de Taïwan « n’a pas encore été tracé sur nos routes dans cette zone ».

« Sous la pression des États-Unis »

Cette incursion de la marine française en mer de Chine du Sud suit le sous-marin d’attaque nucléaire français Émeraude et de son bâtiment de soutien logistique Seine, qui ont croisé dans la même zone à partir du 8 février, suscitant le courroux de Pékin.
Pour Fu Kuncheng, un expert de l’Institut de la mer de Chine du Sud à l’Université de Xiamen dans le sud du pays, ces missions dans une zone maritime disputée sont « alarmantes » et la Chine devra réfléchir à la façon d’y répondre de façon adéquate : « Il est clair que les États-Unis espèrent travailler de concert avec leurs alliés de l’OTAN pour montrer leurs muscles en mer de Chine du Sud avec des exercices de prétendue « liberté de navigation ». Lorsque ces pays se font les avocats de la liberté de navigation, la Chine devrait dépêcher des navires de guerre pour les accompagner. Mais s’ils pénètrent dans des eaux territoriales revendiquées par la Chine, nous devons protester en accord avec la Convention des Nations unies sur le Droit de la mer. »
« Il est clair que la France a pour intention de démontrer sa présence militaire dans la région Indo-Pacifique, tout spécialement sous la pression des États-Unis, en vue de coopérer avec le déploiement militaire américain », a pour sa part estimé Song Zhongping, un commentateur des affaires militaires chinoises et ancien instructeur de l’Armée populaire de libération, cité par le quotidien anglophone de Hong Kong.

Porte-avions britannique

Cette nouvelle mission française intervient après la présence en mer de Chine du Sud depuis le 9 février de deux porte-avions américains, l’USS Theodore Roosevelt et l’USS Nimitz, accompagnés de leurs flottilles, dans ce qui avait constitué le plus important déploiement américain dans cette zone depuis sept mois.
Ces missions seront en outre rejointes début 2022 par celle du tout nouveau porte-avions britannique HMS Queen Elizabeth qui prendra, lui aussi, la route de la mer de Chine méridionale dans ce qui constituera sa première mission opérationnelle. Cette mission a été révélée en février 2019 par l’ancien ministre britannique de la défense Gavin Williamson pour qui cette mission « fera du Royaume Uni global une réalité ».
Le 31 décembre dernier, le porte-parole du ministère chinois de la Défense Tan Kefai avait souligné que « la source réelle de la militarisation de la mer de Chine du Sud émane de pays extérieurs à la région qui envoient des navires de guerre à des milliers de kilomètres de leurs côtes afin de montrer de montrer leurs muscles. L’armée chinoise devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder la souveraineté nationale, la sécurité de même que la paix et la stabilité en mer de Chine du Sud. »

Inquiétudes américaines

Mais en réalité, que peut bien faire la Chine ? Rien. Au risque sinon de déclencher un incident armé qui pourrait dégénérer dans cette zone stratégique devenue une zone particulièrement « chaude » du monde, par où transite plus de 40 % du trafic maritime mondial et qui pourrait receler d’énormes gisements sous-marins de pétrole et de gaz. La Chine proclame sa « souveraineté indiscutable » sur 90 % de la mer de Chine du Sud, également revendiquée en partie par Taïwan, les Philippines, la Malaisie et le Vietnam.
Samedi 20 février, les États-Unis ont mis en garde la Chine contre l’usage de la force en mer de Chine du Sud, réaffirmant en même temps que les revendications chinoises dans la zone étaient « illégales ». Le département d’État a exprimé son « inquiétude » à propos d’une nouvelle législation adoptée le 22 janvier dernier par l’Assemblée nationale populaire (ANP) qui autorise les navires garde-côtes chinois à faire usage de leurs armes contre des bâtiments étrangers qui pénètreraient de façon « illégale » dans ces eaux.
Ce texte « laisse fortement entendre que cette loi pourra être utilisée pour intimider les voisins de la République populaire de Chine, a souligné Ned Price, le porte-parole du département d’État. Nous sommes aussi inquiets du fait que la Chine puisse invoquer cette nouvelle loi pour renforcer ses revendications maritimes illégales en mer de Chine du Sud. »
Le 21 janvier dernier, dans une note verbale transmise aux Nations Unies, le Japon a déclaré les revendications de Pékin en mer de Chine du Sud « sans fondement » car étant en contradiction avec la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer. Cette réaction japonaise vient s’ajouter à la déclaration, le 13 juillet 2020, des États-Unis, par la voix de l’ex-secrétaire d’État Mike Pompeo, selon laquelle l’Amérique juge les prétentions chinoises dans cette zone « illégales ». Cette déclaration avait plus tard été reprise à son compte par l »actuel chef de la diplomatie américaine Anthony Blinken.
Or Washington et Tokyo ne sont pas seuls. D’ordinaire discrets sur cette question, la France, l »Allemagne et le Royaume-Uni ont créé la surprise le 16 septembre dernier, en envoyant simultanément à l »ONU leurs propres notes sur le sujet dans lesquels ils considèrent « injustifiées » et contraires au droit international les revendications chinoises sur cette zone. C’était la première fois que les trois plus grandes puissances européennes — membres du G7 — expriment ensemble une vision commune et confirment leur position unifiée sur la question de la mer de Chine.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).