Environnement
Série - Chine, superpuissance maritime

La Chine et les régions polaires (5/7) : Pékin, un interlocuteur fiable pour le climat en Arctique ?

La station chinoise de Yellow River (Huánghé Zhàn, 黄河站), dans le village international de recherche de Ny-Ålesund, au Svalbard, a été inaugurée en 2014. Les chercheurs y étudient notamment les populations de microbes dans la banquise et l’évolution des glaciers. (Copyright: Julia Reynaud)
L’Arctique, premier témoin du changement climatique mondial, connaît de nouveau cette année des records de chaleur inquiétants. Dans ce contexte, l’engouement d’un acteur émergent comme la Chine pour les atouts industriels et commerciaux de la région pose la question de son engagement pour la protection de l’environnement du Grand Nord.

Dossier spécial : La Chine, superpuissance maritime

Le tour d’horizon d’Asialyst sur la « Chine hauturière » continue. Pour marquer à notre manière les 70 ans de la Chine populaire, nous vous proposons d’appréhender la projection chinoise en haute mer sous toutes ses composantes. Deuxième volet : « La Chine maritime dans les régions polaires ».

Entre la signature du traité du Svalbard dans les années 1920 et l’établissement des deux premières stations chinoises en Antarctique dans les années 1980, on ne peut pas dire que l’empire du Milieu se soit passionné pour ces territoires. Mais les temps ont changé.

Retrouvez l’intégrale de notre série « La Chine, superpuissance maritime » et le début de la saison 2, « La Chine et les régions polaires ».

*Anne-Marie Brady, China as a Polar Great Power, Cambridge University Press, 2017. **L’orientalisme polaire est un concept décrit par Klaus Dodds et Mark Nutall dans The Scramble for the Poles : The Geopolitics of the Arctic and Antarctic comme « une manière de représenter, d’imaginer, de voir et d’exagérer, de déformer ou de craindre l’Orient et son implication dans les affaires arctiques », de telle sorte que les investissements, la recherche, le commerce impliquant les pays asiatiques en Arctique sont traités différemment, avec un supplément de méfiance.
En posant le pied en Alaska, le 2 septembre 2015, Barack Obama effectuait la première visite d’un territoire arctique par un président américain en fonction. Il venait y constater les effets du réchauffement climatique. Le même jour, le Pentagone signalait la présence, au large des côtes de l’État américain dans la mer de Béring, de cinq vaisseaux de l’Armée populaire de libération (APL). Cette incursion de la marine chinoise aux portes de l’Arctique avait été organisée à la veille d’une immense parade militaire à Pékin, le premier défilé du Jour de la Victoire en Chine. Washington fit peu de cas de cette provocation : l’APL ne faisait qu’utiliser le droit de passage inoffensif dans les eaux territoriales américaines pour faire étalage de sa puissance navale*. Mais ce torpillage d’une campagne savamment médiatisée par la présidence américaine donna du grain à moudre à une foule d’adeptes de « l’orientalisme polaire »**. De nombreux compte-rendus de l’époque lurent en effet l’événement comme une menace, préfigurant le comportement chinois à venir : malgré tous ses vœux pieux, deux ans après son accession au statut d’observateur permanent du Conseil de l’Arctique (CA), la Chine se préoccupait manifestement plus de montrer ses muscles dans la région que de la sauvegarde des glaciers d’Alaska.
La vigilance de rigueur à l’égard des intentions de Pékin en Arctique prend sa source dans une posture plus ancienne et nettement moins équivoque des officiels chinois. En 2010, le contre-amiral Yin Zhuo se permit une interprétation originale de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) concernant l’Arctique : selon lui, l’océan et ses opportunités commerciales appartenaient « aux peuples du monde », et la Chine devait y avoir accès au même titre que les pays riverains. Il fallut attendre trois ans après cette déclaration pour que le gouvernement chinois clarifie sa position en reconnaissant, en 2013, la souveraineté et la juridiction des huit États membres du Conseil de l’Arctique dans la région – condition sine qua non pour y accéder au statut d’observateur.
*La Chine a par exemple tenu un meeting bilatéral au sujet des affaires arctiques en 2008 avec le Canada, en 2009 et 2010 avec la Norvège, en 2010, 2011 et 2012 avec les États-Unis, avec la Finlande en 2011. En 2012, les Premiers ministres de la Chine et de l’Islande ont tenu une réunion pour la coopération sur les questions arctiques. Ils y ont signé une convention-cadre pour la coopération arctique et un mémorandum d’entente sur la coopération dans les sciences marines et polaires et la recherche en technologie.
Dans le même temps, et tout au long des années 2010, la place de la Chine parmi les nations polaires s’est fortement affirmée. C’est en 2014 que le président Xi Jinping a pour la première fois déclaré publiquement l’intention de faire de son pays une « puissance polaire ». À la suite des sanctions occidentales décidées la même année contre la Russie, c’est vers Pékin que Moscou s’est tourné pour boucler le financement du plus grand complexe gazier construit sur du permafrost, à Sabetta. Peu à peu, la Chine a développé des relations bilatérales sur les affaires arctiques avec les huit États membres du CA* et les flux de capitaux chinois dans la région se sont multipliés. Entre 2014 et 2017, le gouvernement chinois a publié une série de guides sur les passages du Nord-Est et du Nord-Ouest, passés largement inaperçus du côté de l’Occident. C’est le 26 janvier 2018 qu’il a fait paraître, pour la toute première fois en anglais, un document stratégique sur le Grand Nord. Le « livre blanc » sur l’Arctique a clarifié beaucoup des intérêts de la Chine dans cette région. Il n’est cependant pas venu à bout des inquiétudes occidentales.
Dans de nombreux médias européens et américains, la Chine a pris l’image d’une nation peu soucieuse de la souveraineté des États arctiques, impétueuse et centrée sur ses intérêts. Plusieurs commentateurs ont exprimé une crainte de comportements de prédation sur les ressources, ou de dommages causés aux écosystèmes. Récemment, la plus grande défiance s’est exprimée, de façon très frontale, par la voix d’un responsable politique de premier rang. « Voulons-nous que les infrastructures essentielles de l’Arctique finissent comme des routes construites par les Chinois en Éthiopie, tombées en ruines après seulement quelques années ? Voulons-nous que l’océan Arctique se transforme en une nouvelle mer de Chine méridionale, en proie à la militarisation et à des revendications territoriales concurrentes ? Voulons-nous que le climat fragile de l’Arctique soit exposé à des ravages écologiques semblables à ceux causés par la flotte de pêche de Chine dans les océans qui bordent ses côtes ? », s’est emporté le secrétaire d’État américain Mike Pompeo à la réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique de 2019. En plus d’avoir jeté un froid entre Pékin et Washington, cette allocution a mis la pagaille au Conseil de l’Arctique : selon le consensus en règle, les enjeux militaires n’y ont pas leur place. De plus, émanant du même homme qui, quelques mois plus tard, officialisait le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, la sortie n’était rien de moins qu’incongrue. La question se pose toutefois : en tant qu’actrice de la géopolitique arctique, la Chine est-elle un partenaire crédible pour la protection de l’environnement au nord du monde ? N’en déplaise aux actuels dirigeants des États-Unis, il semblerait qu’elle soit fondée à revendiquer ce rôle. Et elle le fait. Depuis quelques années, tout en secouant l’ordre établi de la gouvernance régionale à coup de concepts déroutants (« État du Proche-Arctique », « routes de la soie polaires »…), la Chine redouble d’efforts de diplomatie en matière d’environnement en Arctique.

Signaux verts

*Ces deux dernières expéditions ont été menées respectivement en 2017 et 2018. La thématique de la pollution plastique en Arctique sera de nouveau à l’ordre du jour en Islande en mars 2021 – lire ici. **Tels qu’énoncés dans la déclaration d’Ottawa de 1996.
Représentant spécial pour les négociations sur le changement climatique au ministère des Affaires étrangères chinois, émissaire de Pékin à Paris lors de la COP21, Gao Feng est devenu en 2016 représentant spécial aux affaires arctiques pour son pays. Chacune de ses prises de parole revendique la mise en œuvre d’une coopération « win-win » entre la Chine et les autres États, dans la droite ligne de toute la diplomatie chinoise et dans un esprit de développement économique durable. Soulignant ici la diligence de la Chine à satisfaire aux exigences de l’accord de Paris, insistant sur les apports des 8e et 9e expéditions arctiques chinoises* pour l’étude des déchets microplastiques dans la région, il fait volontiers la publicité d’une singulière concertation nord-est asiatique sur les affaires arctiques, à l’œuvre depuis 2015 entre la Chine, la Corée du Sud et le Japon. Ces réunions visent, précise-t-il, à déployer une « coopération scientifique trilatérale dans les plus grands domaines d’intérêt tels que le réchauffement climatique ». En dehors de ces forums régionaux, la Chine ne perd pas de vue les possibilités de coopération globale pour la préservation des écosystèmes. En 2017, elle a par exemple rejoint les négociations pour l’établissement d’un moratoire sur la pêche en Arctique. La sanctuarisation des ressources halieutiques dans cette région du monde était en discussion depuis 2012 entre les États côtiers. Le moratoire, signé en 2018, a interdit avant même qu’elle soit possible la pêche commerciale en haute mer dans l’océan central arctique, le temps de mieux comprendre les écosystèmes et de mettre en place des mesures pour les préserver. L’accord réunit les cinq États riverains de l’océan et la plupart des grandes nations de la pêche. Protection de l’environnement, coopération scientifique, développement économique durable : cette initiative était pour la Chine une excellente occasion d’affirmer sur la scène internationale son adhésion aux trois piliers de la coopération en Arctique**.
*Comme tout État observateur, la Chine doit faire renouveler son statut tous les quatre ans. Pour permettre l’étude de sa candidature, elle est tenue de rendre compte périodiquement de ses activités et projets en rapport avec le Conseil de l’Arctique.
Elle a également le moyen de le faire directement au Conseil de l’Arctique. En tant que forum intergouvernemental de haut niveau, le CA est considéré comme le principal espace où les États non arctiques peuvent participer à la gouvernance de la région. Les États observateurs peuvent notamment contribuer en recommandant des experts nationaux pour assister aux réunions des groupes de travail thématiques. Entre 2015 et 2016, Pékin a ainsi recommandé 25 experts pour différents comités. Huit d’entre eux ont été conviés par le CA. Entre 2016 et 2018, la Chine a été représentée auprès de la « task force » chargée de favoriser la coopération scientifique (SCTF), auprès du groupe de travail sur la protection de l’environnement marin (PAME), au sein du Programme d’action sur les substances polluantes (ACAP) – qui travaille notamment sur les pollutions par le charbon noir et le méthane -, ou encore au sein du Programme de surveillance et d’évaluation (AMAP) qui étudie les aléas climatiques et environnementaux dans la région. Elle a également deux représentants dans le groupe de travail dédié à la préservation de la faune et de la flore de l’Arctique (CAFF), qui a lancé l’initiative pour les oiseaux migrateurs de l’Arctique (AMBI). « La Chine attache une grande importance à la protection des oiseaux migrateurs de l’Arctique empruntant le corridor est-asiatique et australien », insiste le rapport d’activité rendu par Pékin en 2018 au Conseil de l’Arctique*. Ce rapport stipule qu’en se fondant sur les données collectées en Chine au sujet des populations de migrateurs, les délégués chinois ont pu apporter « des suggestions pratiques qui ont été incorporées au Plan de travail révisé de l’AMBI pour la période 2015-2019 ». Le document mentionne aussi une collaboration entre l’Administration nationale des forêts et des prairies de Chine et des gouvernements locaux chinois pour « envisager de prendre des mesures de protection concrètes afin d’établir des mécanismes de protection à long terme pour les oiseaux migrateurs de l’Arctique. »

Un simple opportunisme ?

*Il s’agissait des universités allemandes de Kiel et de Brême. **Voir Frédéric Lasserre, Olga V. Alexeeva et Linyan Huang, « La stratégie de la Chine en Arctique : agressive ou opportuniste ? », Norois, 236 | 2015, mis en ligne le 30 décembre 2017.
La tendance est forte à voir dans ces différentes initiatives de la Chine en matière d’environnement en Arctique de simples démonstrations récentes de bonne volonté, camouflant des intérêts industriels plus pressants. Il y a pourtant des programmes de recherche chinois dans l’Arctique depuis plus de 30 ans. Le lancement en 1988 du Chinese Journal of Polar Research (极地研究), la création à Shanghai de l’Institut de recherche polaire en 1989, le lancement du premier programme de recherche chinois en Arctique en 1992, en partenariat avec des instituts de recherche européens* : ces évènements sont tous survenus bien avant que ne devienne tangible l’ouverture du passage du Nord-Est à des fins commerciales**. Aujourd’hui, l’étude du dérèglement climatique en Arctique occupe une part centrale dans les programmes de recherche chinois. La thématique a pris du poids tout au long des neuf expéditions arctiques du MV Xuelong (雪龙) menées depuis 1999. Les recherches sur le climat sont l’une des priorités de la station scientifique chinoise Yellow River (黄河站), au Svalbard. Elle compte aussi parmi les missions annoncées de la station satellite chinoise de Kiruna, qui doit collecter des données sur les conditions environnementales, la répartition des ressources minérales et les changements climatiques en Europe et en Arctique.
La recherche scientifique constitue certes un moyen de légitimation d’intérêt pour la zone, mais le souci de Pékin pour la situation environnementale de l’Arctique n’a rien de contrefait : la compréhension de ces phénomènes est d’une importance stratégique pour la Chine. Du fait de sa position géographique, cette dernière est en effet l’un des pays pays les plus vulnérables aux répercussions des bouleversements des courants d’air froid et de la circulation atmosphérique à l’œuvre dans les plus hautes latitudes. La question se pose notamment en termes de sécurité alimentaire. « Les conditions naturelles de l’Arctique et leurs changements ont un impact direct sur le système climatique et l’environnement écologique de la Chine et, par conséquent, sur ses intérêts économiques dans l’agriculture, la foresterie, la pêche, l’industrie maritime et d’autres secteurs », indiquait le Livre blanc sur l’Arctique en 2018. Cela vient en partie justifier l’appellation d’État du « proche Arctique » par les universitaires et officiels chinois. Par ailleurs, la fonte des inlandsis, des calottes glaciaires et des glaciers aux pôles constitue un risque majeur pour la côte est de la Chine. Certaines villes très densément peuplées, comme Shanghai, Shantou ou Tianjin, sont directement menacées par l’élévation du niveau des océans.

Un intérêt double

Le réchauffement climatique en Arctique peut aussi, il est vrai, ouvrir des opportunités économiques à la Chine. L’océan Arctique s’ouvre peu à peu à la navigation pendant les mois d’été, via le passage du Nord-Ouest et le passage du Nord-Est. Or, à peu près la moitié du PIB de la Chine dépend du transport maritime. En tant que plus grand importateur mondial de fer et de cuivre et second plus grand importateur d’hydrocarbures, la Chine est naturellement intéressée par les ressources minérales et énergétiques de l’Arctique. Cela ne fait pas de la Chine une nation plus incohérente qu’une autre dans son rapport à l’environnement en Arctique. En Islande, au Groenland, en Russie, au Canada, les associations environnementales n’ont pas attendu les investissements chinois pour s’opposer à des projets d’extraction de ressources. Au demeurant, dans la majorité des projets où les sociétés chinoises investissent, c’est sous forme de prises de participation minoritaire, sans contrôle sur la production.
Les investissements chinois dans le secteur extractif. (Sources : Alexiane Lerouge, Camille Le Ho, Frédéric Lasserre / Réalisation : Gaëlle Sutton - 2020)
Les investissements chinois dans le secteur extractif. (Sources : Alexiane Lerouge, Camille Le Ho, Frédéric Lasserre / Réalisation : Gaëlle Sutton - 2020)
Dans de rares cas, la présence chinoise exacerbe les inquiétudes. Sur le plateau de Kvanefjeld, au Groenland, par exemple, la Shenghe Resources Holding est bien partie pour gérer une future exploitation de terres rares, alors que cette activité est associée à une importante pollution des sols en Chine. Mais là ou ailleurs, aucune activité économique en Arctique n’a lieu sans l’approbation et le contrôle des États qui les accueillent. Ils ont d’ailleurs généralement lieu à leur initiative. En cela, la position de la Chine ne diffère pas de celles de l’Inde, du Japon ou de la France, porteurs d’intérêts stratégiques dans l’Arctique et soumis à la souveraineté et la juridiction des États arctiques. La dualité des enjeux entre protection de l’environnement et exploitation des atouts potentiels de la zone se pose pour toutes les nations présentes. Pour la Chine, l’Arctique cumule les défis de la sécurité climatique et alimentaire, de la sécurité énergétique et des avantages commerciaux. Au sein du Conseil de l’Arctique, c’est dans les négociations sur le développement durable que les États trouvent les leviers d’arbitrage entre ces problématiques. Sur cette base, la coopération internationale est indispensable, notamment pour assurer les approvisionnements en pêche et la sécurité des investissements dans les ressources minérales. Les officiels chinois en sont très conscients.

Peut mieux faire ?

*T. Koivurova, W. Hasanat, P. Graczyk et T. Kuusama, « China as an observer in the Arctic Council », in Timo Koivurova, Qin Tianbao, Sebastien Duyck et Tapio Nykänen, Arctic Law and Governance : The Role of China and Finland, Bloomsbury, 2017. **Ont assisté aux réunions du Conseil de l’Arctique des diplomates du ministère chinois des Affaires étrangères, du ministère des Transports ou des Terres et des Ressources, des chercheurs de différentes spécialités, des représentants de l’Académie des sciences météorologiques de Chine, de l’administration nationale de l’énergie ou de l’administration chinoise de l’Arctique et de l’Antarctique. ***T. Koivurova, W. Hasanat, P. Graczyk et T. Kuusama, « China as an observer in the Arctic Council », in Timo Koivurova, Qin Tianbao, Sebastien Duyck et Tapio Nykänen, Arctic Law and Governance : The Role of China and Finland, Bloomsbury, 2017, pp. 175-178. ****Ibid, p. 177.
En 2017, les chercheurs T. Koivurova, W. Hasanat, P. Graczyk et T. Kuusama ont relevé un certain nombre de limites dans le travail de la Chine au Conseil de l’Arctique*. Ils concédaient que, depuis son accession au statut d’observateur ad hoc au Conseil (dès 2007), la Chine s’était montrée très assidue dans l’institution, tant aux réunions des Senior Arctic Officials (SAO) qu’aux réunions ministérielles. Néanmoins, les représentants chinois venaient d’institutions et de champs de compétence très variés**, parfois peu adaptés aux besoins des groupes de travail où ils étaient missionnés. Par ailleurs, les deux tiers des délégués chinois ayant assisté au travail du CA n’y sont venus qu’une fois. De manière générale, parce qu’elle fait partie des « derniers arrivés », la Chine semble souffrir d’un certain retard dans la compréhension des modes d’action au sein du Conseil de l’Arctique ; et la grande variété des acteurs a certainement empêché les délégations chinoises de gagner efficacement en expérience au sein du CA. Il semble que Pékin ait désormais désigné des experts pour travailler sur une base permanente dans des groupes de travail correspondant à leurs compétences. Par ailleurs, si l’un des plus grands apports potentiels de la Chine réside dans la participation aux groupes de travail du CA et dans le partage de données de recherche avec les autres États, les contributions de la Chine se sont avérées en deçà des attentes des autres acteurs***. Les représentants des groupes de travail du Conseil de l’Arctique ont souligné la valeur ajoutée que pourrait apporter l’expertise chinoise dans des domaines comme la chimie, la réduction des émissions de carbone et le développement de solutions technologiques. Certains observateurs interviewés par les chercheurs estiment même qu’un engagement plus poussé de la Chine pourrait inciter d’autres parties prenantes de l’Arctique « à agir de façon plus responsable et à se montrer plus actives dans la coopération Arctique »****.
*Voir Qin Tianbao et Li Miaomiao, « Strenghtening China’s Role in the Arctic Council », in Timo Koivurova, Qin Tianbao, Sebastien Duyck, Tapio Nykänen, Arctic Law and Governance : The Role of China and Finland, Bloomsbury, 2017. **Du fait de son quasi-monopole sur les terres rares, la Chine est l’un des premiers pays à profiter de la révolution énergétique et numérique de ces dernières années. Voir Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares : La face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, 2018. ***On a pu le voir en 2014, quand le ralentissement de la croissance chinoise a contribué à faire chuter le cours des matières premières, au point de décourager de nombreux investissements dans des minerais et ressources énergétiques de l’Arctique.
Il reste que le statut de la Chine au Conseil de l’Arctique lui laisse peu d’influence au sein de l’institution. Les privilèges des États observateurs au CA sont, encore aujourd’hui, très restreints, et les conditions à remplir pour pouvoir exercer ces privilèges sont souvent jugées assez opaques. Notamment, les règles de procédure pour les États observateurs sont dispersées entre cinq textes : la déclaration d’Ottawa de 1996, l’Arctic Official Report de 2011 et l’Observer Manual for Subsidiary Bodies de 2013, ainsi que les règles de procédures du Conseil de l’Arctique adoptées en 1998 et en 2013. En outre, l’Observer Manual for Subsidiary Bodies ne clarifie pas « les moyens d’obtenir les documents et informations, sous quelles échéances, l’ordre et le moment dans lesquels [les États observateurs] peuvent faire des déclarations et la manière dont ils peuvent présenter leurs propositions de projets », selon les universitaires chinois Qin Tianbao et Li Miaomiao*. Le désir d’une gouvernance internationale de l’Arctique plus ouverte et lisible pour les outsiders est défendue tant par les États observateurs que par les cinq membres européens du CA. Sans doute aurait-on tort d’exiger des États observateurs davantage d’investissement sans leur accorder des moyens clairs de participer efficacement. C’est particulièrement vrai quand ces derniers, comme la Chine, ont intérêt à contenir la montée du niveau des océans, sont intéressés au développement des énergies vertes**, possèdent les moyens d’investir dans la recherche ainsi qu’un poids économique mondial tel qu’il peut facilement affecter le développement de la région***.
Par Alexiane Lerouge

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Journaliste spécialisée dans les questions d'industrie en région Arctique, Alexiane Lerouge a notamment enquêté au Groenland sur le projet d'extraction de terres rares de Kvanefjeld, et au Svalbard (Norvège) sur les conséquences du changement climatique dans la ville de Longyearbyen.