La Chine et les régions polaires (1/7) : quand la boussole indique le Nord à l'empire du Milieu
Dossier spécial : La Chine, superpuissance maritime
Le tour d’horizon d’Asialyst sur la « Chine hauturière » continue. Pour marquer à notre manière les 70 ans de la Chine populaire, nous vous proposons d’appréhender la projection chinoise en haute mer sous toutes ses composantes. Deuxième volet : « La Chine maritime dans les régions polaires ».
Entre la signature du traité du Svalbard dans les années 1920 et l’établissement des deux premières stations chinoises en Antarctique dans les années 1980, on ne peut pas dire que l’empire du Milieu se soit passionné pour ces territoires. Mais les temps ont changé.
Retrouvez ici tous les épisodes du premier volet de notre série « La Chine, superpuissance maritime »
Reconnu par quelques États dès 1920, le texte, intitulé « Traité concernant le Spitzberg » en français, établit la souveraineté de la Norvège sur ces îles stratégiques de l’Arctique, qui deviennent par la même occasion un espace démilitarisé*. À partir de 1925, il autorise quelques signataires du monde entier à venir s’y implanter. La majorité des Chinois l’ignore, mais il existe, niché sur le toit de l’Europe, un endroit où ils sont les bienvenus de droit depuis près d’un siècle.
Quand la Chine mit un pied dans l’Arctique
Dans ce contexte d’engouement, la Chine achète en 1993 son tout premier « brise-glace », navire servant à ouvrir – ou maintenir ouvertes – des voies de navigation dans la glace en été. Sa mission : apporter du matériel aux installations chinoises, présentes et futures, dans toutes les régions polaires du globe. Pékin le nomme « Xuelong », le « Dragon des neiges ». Il a été construit dans les chantiers de Kherson, en Ukraine, sur le modèle du Vasiliy Golovnin soviétique. Il est ensuite passé entre les mains de la Hudong-Zhonghua Shipbuilding, compagnie nationale chinoise.
Les mythiques voies maritimes du Nord
On le sait depuis des siècles, ces voies maritimes méconnues tout au Nord, nommées « passage du Nord-Ouest » pour celui de l’archipel Arctique canadien, et « passage du Nord-Est » le long de la côte nord de la Russie, constituent les chemins les plus courts entre l’Orient et l’Occident par bateau. Alors, profiter du réchauffement climatique pour réduire les distances entre les centres commerciaux névralgiques du monde, est-ce mettre de l’huile sur le feu ? Ou s’agit-il de voir le bien dans le mal ? De fait, le commerce et le transport contribuent aux émissions de gaz à effet de serre, mais emprunter ces routes réduit aussi le temps passé en mer. S’en servira-t-on un jour comme de vraies voies de transit ? Ce ne sera jamais royal*, mais le débat est ouvert.
Expéditions au-delà du cercle polaire
Le voyage islandais du Xuelong correspondait à la cinquième expédition chinoise dans l’Arctique. Dédiée à la science, avec le commerce en arrière-plan, chacune de ces épopées nordiques est systématiquement célébrée en grande pompe, au départ puis à l’arrivée en mer de Chine orientale. L’aventure a commencé en 1999 : à l’époque, le brise-glace chinois traverse le Pacifique, franchit la chaîne des îles Aléoutiennes, puis le détroit de Béring et enfin le cercle arctique. Au préalable, il fait escale au port de la mine de Red Dog, en Alaska. Au-dessus du Canada, près de l’entrée du passage du Nord-Ouest, il rebroussera chemin, mais se retrouvera au centre d’un imbroglio à Tuktoyaktuk*.
Un mois après la huitième expédition, un autre Chinois lui aussi nommé Gao se présente à la communauté du Grand Nord et prononce un discours emprunt de fierté (voir la vidéo). Gao Feng, c’est son nom, est alors le représentant spécial de son pays pour les affaires arctiques. Auparavant négociateur de la RPC à la COP21, il est en train, au moment de son discours, de contribuer à la réalisation d’un « livre blanc » chinois consacré au Grand Nord, qui sortira l’année suivante*. La Chine y développe sa vision des affaires septentrionales, celle d’un État du « proche-Arctique », concerné par le changement climatique et abritant les sources de plusieurs fleuves qui s’écoulent dans l’océan glacial. En Asie, il y en a trois : Irtysh, Yeniseï et Ob.
« Afin d’approfondir l’exploration et la compréhension de l’Arctique, déclare Gao Feng devant l’Arctic Circle de Reykjavík, la Chine a toujours fait la promotion active de la recherche scientifique et de l’investigation. Ces deux dernières années, nous avons accompli notre septième, puis notre huitième expédition scientifique dans l’Arctique, et nous avons organisé l’inspection de la station Fleuve Jaune. Lors de la huitième expédition, conclue pas plus tard que ce mois-ci, la Chine a effectué un tour intégral de l’océan Arctique pour la toute première fois, et a conduit une enquête multidisciplinaire dans les mers et l’océan, se concentrant sur l’environnement, les glaces de mer, la biodiversité et les déchets plastiques. »
Ouverture sur le monde et intérêt national
Depuis la grande aventure de 2017, une autre expédition chinoise a eu lieu au-delà de Béring. L’occasion pour les scientifiques du pays de publier de nouvelles données, notamment sur l’environnement et les micro-pastiques*. Tout du long, la Chine cherche aussi des points d’appui : la Norvège par exemple, où le port de Kirkenes, situé près du passage du Nord-Est, espère devenir un jour une « nouvelle Singapour ». Jumelée à Harbin, la ville a inauguré un Chinatown et rêve de pouvoir prochainement bénéficier d’infrastructures qui permettraient d’acheminer les marchandises d’Asie dans toute l’Europe.
Le Xuelong 2, brise-glace « indigène »
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