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Analyse

Comment la Corée du Sud négocie sa défense avec les États-Unis

Le président Donald Trump et son homologue sud-coréen Moon Jae-in en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies à New Ork, le 2 octobre 2017. (Source : Wikimedia Commons)
Le président Donald Trump et son homologue sud-coréen Moon Jae-in en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies à New Ork, le 2 octobre 2017. (Source : Wikimedia Commons)
Le message de Donald Trump est clair : les alliés des États-Unis doivent augmenter leurs dépenses militaires. Répétée avec force depuis mai 2017 à l’Allemagne ou la Belgique, cette demande vise également les partenaires asiatiques de Washington. Parmi eux, la Corée du Sud, où stationnent 30 000 soldats américains. Séoul s’était déjà engagée à un effort financier de près d’1 milliard de dollars pour son alliance avec les États-Unis l’année dernière. Le pays est désormais pressé par le président américain de verser une somme environ cinq fois supérieure chaque année.
Les négociations sont âpres entre les deux pays. Leur précédent accord financier, signé le 5 février 2019 et prévu pour une durée d’un an, vient en effet d’arriver à expiration. Organisée les 15 et 16 janvier 2020 à Washington, la sixième rencontre sur la participation financière de la Corée du Sud à son alliance avec les États-Unis n’a permis d’aboutir à aucun compromis. Cette impasse diplomatique comporte pourtant des risques. Donald Trump a d’ores et déjà indiqué qu’un échec de ces négociations pourrait entraîner le licenciement temporaire des quelques 10 000 employés sud-coréens travaillant dans les bases américaines, ainsi qu’une remise en cause de la présence militaire américaine dans la péninsule.
À moyen terme, l’exécution de telles menaces est peu probable. Les deux pays cherchent pour le moment un compromis politiquement indolore. C’est qu’il y a trop à perdre d’une détérioration durable de leur relation bilatérale. L’Amérique serait plus particulièrement critiquée, car une nouvelle fois accusée d’abandonner ses plus fidèles alliés.

L’approche transactionnelle de Donald Trump

Au sortir de la guerre de Corée (1950-1953), le choix de l’alliance avec les États-Unis offre à la Corée du Sud une assurance de sécurité, grâce à l’établissement de plusieurs bases américaines sur son territoire. Cela permet au pays de se concentrer sur son développement économique et de devenir la 11e puissance économique mondiale tout en bénéficiant d’une balance commerciale largement excédentaire avec le reste du monde (81 milliards de dollars en 2018). Cet excédent commercial étant particulièrement important avec les États-Unis, Séoul se voit imposer par Washington, le 24 septembre 2018, un nouvel accord de libre-échange très contraignant sur son industrie automobile et sa production d’acier. Pourtant, en 2019, les États-Unis continuent d’enregistrer un déficit commercial avec la Corée du Sud de l’ordre de 19 milliards de dollars. Compte tenu des conditions économiques défavorables pour son pays, Donald Trump est formel : Séoul, qui profite depuis trop longtemps de la protection américaine, doit désormais utiliser sa prospérité économique pour davantage prendre en main sa défense.
Cette approche comptable de l’alliance, très éloignée de l’épreuve de feu partagée pendant la guerre de Corée, contrarie énormément Séoul qui se défend parallèlement des accusations de passivité dans le domaine militaire. La Corée du Sud investit en effet 2,5 % de son PIB pour sa défense : c’est beaucoup plus que les autres alliés des États-Unis (moins d’1.2 % pour l’Allemagne ou moins de 1 % pour le Japon). Séoul prend également en charge un peu plus de 40 % des dépenses quotidiennes des troupes américaines stationnées dans la péninsule, et finance à hauteur de presque 10 milliards de dollars le déménagement de la base américaine de Yongsan, au cœur de la capitale, vers celle de Camp Humphreys, dans le sud du pays. Entre 2008 et 2017 enfin, Séoul a acheté pour 6,7 milliards de dollars de matériel militaire américain, dont 40 avions de chasse F-35. Cela place la Corée du Sud à la troisième place du classement des principaux importateurs d’armes américaines au cours de cette période. Cette importance prise par Séoul dans l’industrie de défense étasunienne, secteur qui emploie plusieurs millions d’Américains, milite évidemment en faveur de l’alliance.

Un statu quo nécessaire

*Le 2 octobre 2019 pour les premiers (tir d’un missile balistique depuis une barge sous-marine) et le 1er janvier 2020 pour la seconde (discours de Kim Jong-Un).
Le 12 juin 2018, tout juste après le sommet de Singapour, Donald Trump annonce vouloir le retrait des troupes américaines stationnées dans la péninsule, souhaitant donner corps aux promesses de dénucléarisation formulées avec Kim Jong-Un. L’année suivante pourtant, les échecs des sommets de Hanoï (27-28 février) et de Stockholm (5 octobre) mettent un coup d’arrêt à l’enthousiasme des États-Unis. Washington ne peut se résoudre à une levée des sanctions internationales imposées à la Corée du Nord sans des engagements fermes de Pyongyang sur son programme nucléaire. La reprise des essais militaires et l’annonce du développement d’une nouvelle arme stratégique par la Corée du Nord* poussent les États-Unis à la prudence et à poursuivre leur traditionnelle politique d’endiguement.
L’alliance avec la Corée du Sud est, à ce titre, toujours considérée comme essentielle par Washington ; mais pas à n’importe quel prix. Les États-Unis entendent bien imposer l’idée d’un plus juste partage financier de l’effort militaire avec Séoul, mentionnant les retombées économiques positives de la présence de leurs soldats. Plusieurs sondages réalisés en 2019 en Corée du Sud montrent que plus de 60 % de la population est favorable à la présence militaire américaine. Cependant, 45 % des Sud-Coréens ne souhaitent pas voir leur pays davantage dépenser pour l’alliance avec les États-Unis.
À n’en pas douter, l’issue des négociations en cours avec Washington devra s’immiscer dans les prochaines élections législatives sud-coréennes du 15 avril 2020. Si Moon Jae-in veut accroître les chances d’une réélection du parti démocrate (Minjudang) dont il est issu, et qui contrôle actuellement l’Assemblée nationale, il doit trouver un accord financièrement acceptable pour la population. D’où, en partie, la lenteur des négociations, qui en sont déjà à leur sixième round. Dans l’intervalle, l’annonce le 21 janvier dernier de la participation de la Corée du Sud à l’opération américaine de sécurisation du détroit d’Ormuz doit laisser entendre aux États-Unis que la contribution à l’alliance n’est pas forcément que financière.

Le Japon, un observateur attentif

Les négociations entre Séoul et Washington sur le partage financier de l’alliance sont suivies de près par les autres alliés des États-Unis. Plus particulièrement par le Japon, qui rassemble environ 45 000 soldats américains. En juillet 2019, Tokyo a ainsi été sommé de payer 8 milliards de dollars par an pour la présence sur son sol de militaires étasuniens.
Il va sans dire qu’un échec des négociations entre la Corée et les États-Unis, s’il implique a fortiori un départ des troupes américaines de Corée du Sud, enverrait un signal inquiétant aux autres alliés de l’Amérique. Cela confirmerait notamment l’imprévisibilité de la politique étrangère de Donald Trump ainsi que sa propension à abandonner ses alliés. L’exemple des Kurdes, délaissés face au lancement de l’offensive turque contre la Syrie le 6 octobre 2019, en apporte l’illustration.
Par Olivier Martz

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A propos de l'auteur
Analyste diplômé en relations internationales, Olivier Martz est s'intéresse tout particulièrement aux problématiques géopolitiques et de sécurité en Asie du Nord-Est.