Photographes d'Asie
Portfolio : au cœur des banlieues de Saigon la nuit
Hors du centre-ville tumultueux et touristique de Hô-Chi-Minh-Ville, capitale économique du Vietnam, les banlieues de Saigon recèlent un mode de vie en proie au changement. Au creux des hêms, ces réseaux de ruelles qui serpentent entre les habitations, la rue est depuis longtemps un espace de vie complémentaire du foyer. La modernisation galopante de la métropole pourrait bien amener ces mœurs à changer.
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18 heures, l’heure de pointe. Des bancs compacts de scooters congestionnent les artères de la ville. L’air a goût de carbone. Saigon étouffe. Le soleil se couche sur le marché de Chợ Bà Chiểu, dans le quartier populaire de Binh Thanh. Ici et là, des mangues mûrissent dans leur panier, des crapauds patientent dans une cage, des poissons-chats barbotent dans un casier-aquarium. Ici et là, les Saïgonais motorisés s’arrêtent sans couper le moteur, font des emplettes rapides pour la tambouille du soir, et repartent dans un ronronnement de scooter se faufiler dans les venelles alentours. Ces réseaux de ruelles, les hêms en vietnamien, constituent le cœur des quartiers d’habitation de Hô-Chi-Minh-Ville.
Au creux des hêms, l’espace devant chaque foyer est une aire de vie, d’échange, de commerce. Les logements sont souvent modestes, et les habitants ont l’habitude de vivre dans la promiscuité. Au Vietnam, la rue est depuis longtemps un espace complémentaire du logis. On vit, on mange, on se détend sur le pas des portes. Difficile de percevoir où commencent et où s’achèvent vie privée et vie publique quand les deux s’enchevêtrent sur le trottoir qui fait office de salon.
Fréquemment, les Vietnamiens établissent un petit commerce de boissons ou de nourriture sur le seuil de leur logis. Ces enseignes de rue, la plupart informelles, constituent leur travail à plein temps, et contribuent à brouiller la frontière entre labeur et foyer. Les rez-de-chaussée sont parfois intégralement dédiés au commerce familial, sous la forme d’un étroit parking à scooter, d’une salle d’arcade ou d’un salon de coiffure.
Le soir, les hommes s’y relaxent autour d’une partie de cờ tướng, un jeu d’échec asiatique, ou en éclusant des bières frappées de la marque Tiger. Il n’est pas rare d’y croiser l’intégralité d’une famille, la grand-mère lisant son journal, les enfants jouant aux alentours, les parents les surveillant du coin de l’œil en préparant la pitance. Les larges grilles métalliques qui font office de portes sont souvent ouvertes en quête d’un courant d’air frais, et laissent entrevoir le quotidien, du repas du soir au coucher.
Un mode de vie à durée déterminée
Mais l’économie en pleine expansion de Hô-Chi-Minh-Ville pousse la métropole à une mue permanente. Graduellement, les vieilles bâtisses saïgonaises s’effacent sous les crocs des tractopelles de l’administration locale, ou les masses des propriétaires souhaitant étendre leurs demeures. Sur les quinze dernières années, près de 50 % de l’héritage architecturale de la ville a disparu au profit de nouveaux projets d’habitations. Une tragédie pour les historiens locaux, qui tirent régulièrement la sonnette d’alarme sur l’érosion du patrimoine historique vietnamien.
Ce renouvellement de Hô-Chi-Minh-Ville affecte également le mode de vie de ses habitants. Le nouvel espace urbain se compose désormais de quartiers résidentiels luxueux, plus vert, plus sûr, mais également plus clos. Une qualité pour certains Saïgonais, qui y voient la progression vers un mode de vie à l’occidentale idéalisé au Vietnam. Les petits commerces sont également en proie à ce changement, et les grilles de fer du centre-ville de Saigon sont insensiblement remplacées par les vitrines des grandes enseignes. Les cantines au coins des rues s’effacent au profit des restaurants et des fast-food. Les supermarchés de quartier ont eux aussi conquis une partie de la clientèle des marchés de rue.
S’il faudra encore bien des années pour venir à bout de l’apparence anarchique de Saigon et du mode de vie de ses habitants, j’ai souhaité documenter, le temps de quelques mois, la vie quotidienne et nocturnes des hêms pour garder une trace de l’esprit de ces allées, de leur rythme de vie, avant qu’elles ne s’estompent sous le poids d’une modernisation lente, mais immuable.
Par Moran Kerinec
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