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Afghanistan : négociations avortées et confusion généralisée après la présidentielle

Le représentant américain pour l'Afghanistan Zalmay Khalilzad et le chef de l'exécutif afghan Abdhullah Abdullah, le 2 septembre 2019 à Kaboul. (Source : PBS)
Le représentant américain pour l'Afghanistan Zalmay Khalilzad et le chef de l'exécutif afghan Abdhullah Abdullah, le 2 septembre 2019 à Kaboul. (Source : PBS)
Les résultats définitifs de la dernière présidentielle afghane doivent être annoncés ce week-end du 19 octobre. Le président sortant Ashraf Ghani et son chef de l’exécutif Abdullah Abdullah ont tous deux revendiqué la victoire. De quoi ajouter à la confusion générale depuis la rupture impromptue des négociations de paix entre Américains et Talibans par Donald Trump le 7 septembre dernier.
Le 19 août dernier, l’Afghanistan était censée « célébrer » le 100ème anniversaire de son indépendance. Une commémoration toute relative tant l’ambiance générale dans ce pays meurtri par quatre interminables décennies de crise, de conflits et de drames prêtait plutôt à l’abattement. Pas plus que 48 heures auparavant, un effroyable attentat-suicide portant la griffe de Daech avait emporté à Kaboul les 63 convives d’un mariage. L’énième tragédie d’un été 2019 particulièrement meurtrier.
*Matérialisées par les 9 rounds de discussions délocalisées à Doha au Qatar, où les Talibans disposent d’une ambassade semi-officielle. **Sur le principe de l’ouverture prochaine de négociations de paix entre l’insurrection et le gouvernement afghan. ***Alors qu’une douzaine d’Afghans et un soldat américain étaient tués dans un nouvel attentat. 17 soldats américains sont morts en Afghanistan depuis le début 2019.
Depuis lors, on ne saurait dire des semaines qui se sont écoulées qu’elles ont apporté un semblant de répit, d’espoir ou de réconfort aux 35 millions de citoyens de ce pays sinistré, exsangue. Bien au contraire. Le 7 septembre, dans la foulée d’une année de négociations ardues*, alors que semblait se dessiner un accord préliminaire** entre la hiérarchie talibane et l’administration américaine, une série de tweets rageurs du locataire de la Maison Blanche*** décrétait qu’il ne saurait plus être question d’un quelconque « agreement » entre les États-Unis et cette insurrection radicale. « S’ils ne peuvent même pas accepter un cessez-le-feu lors de ces pourparlers de paix très importants et qu’en plus, ils tuent une douzaine de personnes innocentes, cela signifie sans doute qu’ils n’ont de toute façon probablement pas l’autorité pour conclure un véritable accord, tonna Trump. J’ai en conséquence immédiatement annulé la réunion et mis fin aux négociations de paix. Quel genre de personne ferait autant de victimes dans le seul but de renforcer sa position dans des négociations ? » Réponse sans détour des talibans, et bien loin de toute préoccupation de paix : « Les Américains souffriront plus que n’importe qui d’autre pour avoir annulé les pourparlers. »
*Dénier tout accès ou asile au territoire afghan à Al-Qaïda, Daech et autres groupes islamo-terroristes cherchant à attenter aux intérêts américains ; capacité à composer un gouvernement d’unité nationale avec les autorités afghanes. En échange de quoi, Washington s’engageait en premier lieu à opérer un retrait cadencé – avec un calendrier court – de ses 14 000 hommes encore déployés en Afghanistan (dont 5 000 à court terme).
La décision du chef de l’exécutif américain paraît plus impromptue que scandaleuse, tant l’appétence des Talibans pour la paix, la fin des hostilités et des attentats-suicides, et le dialogue avec les autorités afghanes, restent bien évidemment à démontrer. Ne parlons pas de leur capacité à honorer dans le futur leurs « pré-engagements »* avec les États-Unis… Et dire que le président Trump était allé – dans son approche atypique sinon improbable du cérémonial – jusqu’à inviter sur le sol américain, dans le lieu emblématique de Camp David, les représentants des Talibans (ainsi que le chef de l’État afghan Ashraf Ghani) pour immortaliser devant les caméras le paraphe de cet accord au contenu si ténu…
*Le président sortant Ashraf Ghani, écarté jusqu’alors des « discussions de paix » entre les Talibans et les États-Unis.
Ces négociations avortées ont laissé le champ libre, mais non aisé pour autant, à l’organisation d’un scrutin présidentiel le 28 septembre. Hostiles au principe même de cet événement électoral national autant qu’à son favori logique*, les Talibans avaient en amont de l’élection suggéré aux 10 millions d’Afghans inscrit sur les listes électorales de boycotter ce scrutin, promettant aux téméraires contrevenants divers tourments… Pour mieux donner corps à leur promesse de chaos, les ils avaient – à nouveau – intensifié leur politique de terreur en recourant à leur mode opératoire privilégié, à l’image de cet attentat perpétré le 17 septembre à Charikar dans la province de Parwan, au nord de Kaboul. Soit à quelques dizaines de mètres seulement du site (sécurisé) où Ashraf Ghani tenait un de ses rares meetings électoraux. 24 personnes périrent dans cette énième démonstration de violence estivale.

Américains et Talibans reprennent le fil des négociations

Nonobstant cette violence aveugle qui en dit long sur les intentions pacifiques des Talibans, un quart des électeurs se seraient déplacés dans les bureaux de vote, tandis que plusieurs dizaines d’incidents imputables à cette insurrection radicale étaient comptabilisés dans le pays. Avant même que la fin du dépouillement des bulletins et l’annonce officielle des résultats (a priori autour du 19 octobre), les deux favoris de cette présidentielle, le chef de l’État sortant et son chef de l’exécutif Abdullah Abdullah – les mêmes que lors du scrutin précédent en 2014 – ont chacun revendiqué la victoire. Tout en clamant qu’un revers de leur part ne pourrait qu’être le résultat de fraudes et de malversations, des faiblesses il est vrai récurrentes par le passé lors de pareils événements. De quoi anticiper une inévitable passe d’armes – possiblement violente – entre les partisans de ces deux rivaux qui ne s’appréciant guère, une fois connue l’issue comptable définitive de ce 4ème scrutin présidentiel depuis la chute du régime taliban en 2011.
*Emmenée par un cofondateur du mouvement, le mollah Abdul Ghani Baradar.
En attendant ce jour et afin de ne pas perdre trop de temps, il semblerait que l’administration américaine et les émissaires talibans aient convenu de la nécessité de reprendre le fil, interrompu début septembre, de leurs discussions – auxquelles les autorités afghanes n’ont jusqu’alors pas été associées… Le 3 octobre, une délégation d’une douzaine de responsables talibans* a ainsi rencontré à Islamabad Zalmay Khalilzad, l’émissaire de l’administration Trump en charge de ce complexe et volatile dossier. De quoi naturellement ajouter davantage à la confusion générale. Mais s’agit-il seulement de s’en étonner ?

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.