Environnement
Chroniques malaisiennes

Quand l'Asie du Sud-Est nous renvoie nos déchets plastiques

Manifestation devant le consulat australien à Surabaya, le 22 avril 2019. (Crédit : Ecoton.or.id)
Manifestation devant le consulat australien à Surabaya, le 22 avril 2019. (Crédit : Ecoton.or.id)
Retour à l’envoyeur ! C’est une chose de savoir que nos déchets plastiques, loin d’être recyclés, viennent inonder l’Asie du Sud-Est. Il faut maintenant désengorger la Malaisie ou l’Indonésie où la crise environnementale est sévère. Las, l’idée de renvoyer ces déchets en Europe, aux États-Unis ou en Australie fait son chemin.
« Viens voir tes déchets. » C’est le slogan choisi pour nommer l’année 2019 par le ministère malaisien du Tourisme, des Arts et de la Culture, dont une délégation était en déplacement au Canada. L’occasion de visiter la Malaisie et de revoir le petit pot vide de « yogourt aux bleuets » (ou de « yaourt aux myrtilles » en français de France) que vous avez si aimablement confié pour recyclage aux bons soins de votre commune. C’est le Tapir Times, l’équivalent de notre site de fausses nouvelles satiriques Legorafi.fr, qui rit jaune en imaginant la suite de la crise des déchets en Asie du Sud-Est. Première destination du trafic de déchets plastiques depuis que la Chine a fermé ses portes début 2018, la Malaisie est aujourd’hui en passe d’être plus connue pour ses bouteilles de lait français dans des décharges sauvages que pour ses plages paradisiaques. « Les journalistes étrangers sont tout excités quand ils trouvent un déchet qui vient de chez eux dans une décharge », commente Mageswari Sangaralingam de l’ONG Friends of the Earth Malaisie et de l’alliance GAIA (Global Alliance for Incinerator Alternatives).
La sensibilisation du public européen a pris ce printemps une nouvelle dimension. Les reportages sur le sujet ont enfin suscité l’intérêt des pays occidentaux : crise globale des déchets plastiques et de la qualité des eaux, aberration écologique de détritus transportés sur des dizaines de milliers de kilomètres, aspects néocoloniaux du libre-échange, pitié pour des populations rendues malades par nos plastiques ou qui trouvent de quoi vivre en fouillant dans nos poubelles… Le contexte international aussi a changé : la convention de Bâle considère depuis mai 2019 les déchets plastiques comme dangereux et nombre de trafics encore autorisés ou tolérés l’an dernier par les autorités malaisiennes ou indonésiennes sont aujourd’hui interdits.
Collecte de couches sur les rives de la Brantas, août 2019. (Crédit : Aude Vidal)
Collecte de couches sur les rives de la Brantas, août 2019. (Crédit : Aude Vidal)

L’Indonésie renvoie des couches pour bébé

le faible pourcentage de déchets européens ou nord-américains envoyés en Asie du Sud-Est suffit à provoquer une crise environnementale grave dans la région. Or ces déchets y restent désormais stockés sans que l’industrie locale soit en mesure de les absorber. Et si l’Occident les reprenaient ? C’est le combat de Prigi Arisandi, biologiste et écologiste, prix Goldman de l’environnement en 2011. Lui qui collecte depuis plus d’un an dans les environs de Surabaya des déchets australiens ou nord-américains, il renvoie dans les ambassades des pays concernés des échantillons pour exiger le retour des montagnes de déchets qui s’empilent à Java. C’est le propos du documentaire Take Back! qu’il a produit avec la cinéaste Linda Nursanti :
Ce samedi 15 juin, la République indonésienne a pris une mesure moins symbolique. Cinq conteneurs de déchets, partis en mars de Seattle et déclarés comme du papier à recycler, ont été renvoyés aux États-Unis. Le motif : au milieu du papier se trouvaient des déchets plastiques, des bouteilles et mêmes des couches pour bébé. Ironie de l’actualité, la précédente campagne de l’association animée par Prigi portait sur la sensibilisation des riverains du fleuve Brantas et sur la mise en place d’un réseau de collecte des couches, dans un pays où les déchets ne sont pas collectés partout, pour les encourager à ne pas polluer la rivière en les y jetant.
Une poubelle pour les couches, action de l'association Ecoton (Crédit : Aude Vidal)
Une poubelle pour les couches, action de l'association Ecoton (Crédit : Aude Vidal)

Duterte menace le Canada

En Malaisie, les découvertes de cargaison pas ou mal déclarée se chiffrent par centaines de conteneurs. Le 23 avril dernier, la ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Yeo Bee Yin, s’était déplacée sur le port de Klang pour une cargaison espagnole déclarée de manière trompeuse, avec des déchets recyclables qui ne l’étaient pas. Le 31 mai à Butterworth, le deuxième port du pays, ce sont 265 conteneurs mélangeant déchets organiques en décomposition et déchets plastiques qui avaient attiré l’attention des douaniers. Le 15 juin, les autorités de l’État de Penang comptabilisaient 126 conteneurs de déchets non déclarés et 155 en attente d’inspection. Le 28 mai, la ministre Yeo promettait le renvoi de 3 000 tonnes vers leurs pays d’origine : États-Unis, Japon, France, Canada, Australie, Royaume-Uni et même Bangladesh.
S’agit-il des derniers conteneurs partis avant la signature de l’amendement à la convention de Bâle ? Les acteurs du trafic se savent depuis longtemps en tort et prennent leurs dispositions : déclarations frauduleuses, déchets illégaux cachés dans les conteneurs sous les déchets recyclables pour passer entre les gouttes d’une inspection superficielle… La ministre Yeo plaide : « Nous demandons avec insistance aux pays développés de revoir leur gestion des déchets plastiques et de cesser d’envoyer leurs détritus dans les pays en voie de développement. Si vous les envoyez en Malaisie, nous les renverrons sans états d’âme. » Le président philippin Rodrigo Duterte use d’un langage moins diplomatique : après un ultimatum sommant le Canada de reprendre ses déchets avant le 15 mai, il rappelle ses diplomates et envoie 69 conteneurs vers le port de Vancouver. Si les autorités canadiennes ne les acceptent pas, ce qui est leur droit, il menace de couler la cargaison dans leurs eaux territoriales. Le navire en question, le M/V Bavaria, devrait atteindre la Colombie-britannique dans quelques jours.
Par Aude Vidal
Avec l’aide de l’artiste malaisienne Shika Corona :

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Pour aller plus loin

– Grid-Arendal, Controlling Transboundary Trade in Plastic Waste, éd. Grid-Arendal, 2019.
– Livia Albeck-Ripka, « 6 Things You’re Recycling Wrong« , 29 mai 2018, The New York Times.
– Livia Albeck-Ripka, « Your Recycling Gets Recycled, Right? Maybe, or Maybe Not« , 29 mai 2018, The New York Times.
« Discarded: Communities on the Front Line of the Global Plastic Crisis« , GAIA, avril 2019.
– Dominique Mosbergen, « She Wanted Her Town To Breathe Clean Air. She Got Death Threats Instead. How neighbors in a small town exposed the dirtiest secrets of our broken recycling system« , 27 mars 2019, HuffPost.
« The Recycling Myth : Malaysia and the Broken Global Recycling System« , Greenpeace South-East Asia, novembre 2018.

A.V.

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A propos de l'auteur
Aude Vidal s'intéresse depuis 2014 aux conflits sociaux et environnementaux en Malaisie. Elle est diplômée en anthropologie et collabore au site Visionscarto.net ainsi qu'à CQFD, L'Âge de faire et Mediapart.