Environnement
Chroniques malaisiennes

Recyclés ? Non, nos déchets plastiques inondent l'Asie du Sud-Est

La Malaisie a, selon Greenpeace, importé autant de déchets plastiques l'an dernier que les États-Unis n'en exportaient. (Source : Christopherteh)
La Malaisie a, selon Greenpeace, importé autant de déchets plastiques l'an dernier que les États-Unis n'en exportaient. (Source : Christopherteh)
Les touristes occidentaux qui arpentent les routes du Sud-Est asiatique sont toujours choqués par l’omniprésence de déchets plastiques dans l’environnement de la péninsule et de l’archipel. Le plastique abonde dans la vie quotidienne, qu’il s’agisse d’usage unique ou d’objets. Dans les supermarchés et les épiceries, les contenants en verre ou en carton sont plus rares qu’en Europe et les doses individuelles plus répandues. Dans les marchés, les emballages en feuilles de bananier ont laissé place au plastique et parmi les stands, il en est souvent un qui vend aux commerçants les sacs en plastique et boîtes en polystyrène dont ils font un usage abondant. Le traitement des déchets pose problème : les infrastructures sont mauvaises ou inexistantes et dans les zones rurales les déchets ne sont pas collectés, chaque famille brûlant dans son jardin ses emballages de snacks, sacs ou bouteilles en plastique. À ces difficultés s’ajoutent désormais celles que connaît la région depuis qu’elle suscite les convoitises des acteurs du marché mondial du recyclage des déchets. Car le problème des déchets domestiques est aggravé par l’importation de ceux des pays riches, des États-Unis au Japon, en passant par l’Europe.

« Épée nationale » et crise mondiale des déchets

En juillet 2017, la Chine annonce à l’OMC ne plus accepter sur son territoire les déchets en plastique qui y étaient jusqu’alors retraités. L’opération « Épée nationale » prend effet le 1er janvier suivant et a pour but la « protection de la Chine, de son environnement et de la santé de ses citoyens ». Les industriels s’affolent puis se tournent alors vers les pays pauvres adjacents, lesquels n’ont pas encore fermé leurs portes à ces importations.
Sous le nom générique de plastique, on trouve de tout, marqué de 1 à 7. 1 pour le polytéréphtalate d’éthylène (PET), celui des bouteilles d’eau ou de soda. 2 pour le polyéthylène haute densité (PE-HD), celui des bouteilles de lait, d’huile ou de lessive. 5 pour le polypropylène (PP) dont on fait des usages variés. Les autres ? Les autres sont impossibles à recycler et donc sans valeur. L’enjeu du recyclage est de séparer les plastiques encore utiles du tout-venant.
La bonne conscience empire la situation puisque les ménages occidentaux qui souhaitent faire un geste pour l’environnement ont tendance à mettre tous les plastiques dans la poubelle de tri. C’est autant qu’il sera recyclé, se disent-ils, alors que cela augmente considérablement le coût du traitement. Et avec les prix du pétrole relativement bas depuis l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, les plastiques neufs sont plus compétitifs que ceux issus du recyclage. C’est une opération à très faible valeur ajoutée qui est ainsi exportée vers l’Asie du Sud-Est… en échange d’un endroit où se débarrasser du reste.
Depuis 1950, seulement 9 % des plastiques produits dans le monde ont été recyclés. Ni l’Indonésie, ni la Thaïlande ou la Malaisie n’ont de solution technique miraculeuse à leur disposition pour faire mieux. Ce sont en revanche des États aux législations environnementales peu exigeantes. Leurs populations pauvres ont du mal à faire valoir leur droit à un environnement sain ou à refuser de travailler dans les décharges qui depuis 2018 ont surgi dans ces trois pays. Ces activités existaient avant le retrait chinois mais elles ont depuis pris une toute autre dimension.
La Malaisie a, selon Greenpeace, importé autant de déchets plastiques l’an dernier que les États-Unis n’en exportaient, la France étant le dixième de ses contributeurs, pendant que la Thaïlande a vu ses importations décupler. Publié le 24 avril dernier par l’ONG américaine GAIA (Global Alliance for Incinerator Alternatives), un rapport sur la Malaisie, la Thaïlande et l’Indonésie décrit les problèmes écologiques et sanitaires posés par le traitement sauvage des déchets plastiques aussi bien que les réactions politiques à ce qui est vite devenu une véritable crise mondiale.

Les chiffonniers de Java

En Indonésie, à Java Est aux environs de Surabaya, l’association Ecoton se bat pour la qualité des eaux de la rivière Brantas. Depuis plus de quinze ans, ces biologistes militants sensibilisent le public, les industriels et les politiques sur ce sujet, enjoignant les uns à cesser de faire leurs besoins dans la rivière ou d’y jeter leurs couches et les autres à adopter des procédés moins dommageables à l’environnement. Depuis 2018, ils documentent la présence de déchets venus directement des ménages anglo-saxons. Avec la photo de produits emblématiques de la culture consumériste de ces pays, retrouvés dans une décharge javanaise, ils leur envoient sur Facebook ces messages : « Indonesia bukan recycle bin », « l’Indonésie n’est pas une poubelle ». Ou bien : « Australia, take back your trash ! »
Manifestation devant le consulat australien à Surabaya, le 22 avril 2019. (Crédit : Ecoton.or.id)
Manifestation devant le consulat australien à Surabaya, le 22 avril 2019. (Crédit : Ecoton.or.id)
En août dernier, les chiffonniers du village de Sumengko, à une quarantaine de kilomètres de la capitale provinciale de Surabaya, déploient un drapeau américain trouvé dans leurs poubelles. Ces ouvriers sont payés avec les pépites qu’ils trouveront dedans, notamment des billets souillés, des petites coupures qui finissent par représenter des montants plus importants que les modestes rémunérations locales. Une fois le dernier tri effectué, tout ce qui n’est pas valorisable finit comme combustible dans l’usine de tofu voisine. L’Indonésie, qui est avec la Chine le plus gros contributeur de plastique dans les océans, interdit en juin 2018 l’importation de déchets plastiques. Mais les portes d’entrée sont mal surveillées et en novembre, le ministre de l’Industrie Airlangga Hartarto demande la levée de l’interdiction pour soutenir l’économie du pays dans ce domaine.

Décharges sauvages en Malaisie

La combustion de ces plastiques libère dans l’atmosphère de la dioxine, du furane, du mercure ou des polychlorobiphényles (PCB). ces produits sont toxiques, pour la plupart très volatiles ou liposolubles, susceptibles de contaminer l’environnement et de s’accumuler dans le corps humain où il sont responsables de cancers et de troubles hormonaux ou du système nerveux.
Décharge informelle de Sumengko, août 2018. (Copyright : Aude Vidal)
Décharge informelle de Sumengko, août 2018. (Copyright : Aude Vidal)
En Malaisie, alertés par les mauvaises odeurs et les problèmes dermatologiques et respiratoires, des villageois sino-malaisiens de la côte ouest découvrent l’existence d’ateliers de traitement des déchets sur leur territoire. Les déchets y sont triés, brûlés à l’air libre ou dispersés dans la nature, parfois simplement stockés en attendant la saturation du site et la fuite des entrepreneurs voyous. Tan Ching Hin est l’ancien chef de village de Jenjarom, situé à quelques kilomètres du port de Klang, le plus grand de Malaisie. L’association Kuala Langat Environmental Protection Action Group, qu’il a contribué à créer avec une voisine, Pua Lay Pheng, a repéré en 2018 pas moins de 38 sites dont un seul opérait légalement. Aujourd’hui les membres de ce groupe s’inquiètent de voir ces usines sauvages s’installer plus loin et se disperser dans tout le pays.
Décharge informelle de Sumengko, août 2018. (Copyright : Aude Vidal)
Décharge informelle de Sumengko, août 2018. (Copyright : Aude Vidal)
Mageswari Sangaralingam s’occupe de cette question pour la branche locale des Amis de la Terre. Elle résume ainsi presque deux ans de luttes : « Sahabat Alam Malaysia [Les Amis e la Terre Malaisie – NDLR] a alerté le gouvernement dès la mi-2017 quand nous avons appris que la Chine allait cesser les importations. Nous avions prévu que les déchets seraient renvoyés vers l’Asie du Sud-Est. Nous avons envoyé un rapport en novembre 2018 demandant un arrêt des importations et révélant que des déchets arrivaient encore sous de fausses déclarations. » Le nouveau gouvernement, élu en mai, ne cesse cette année-là de faire des revirements : interdiction de l’importation des déchets plastiques en mai, autorisation en juin, annonce en août d’une suspension de trois mois puis en octobre d’une politique d’importation sélective qui ne concerne que les plastiques propres et recyclables exportés par les États-Unis, l’Europe et le Japon. En novembre, le département en charge des déchets répond aux associations qui font campagne depuis quelques mois : il est « prêt à collaborer pour s’assurer que la Malaisie ne devienne pas une décharge de déchets solides pour le compte de pays étrangers ».
Le 22 avril dernier, la ministre de l’Environnement et du Changement climatique Yeo Bee Yin est sur le port de Klang où 24 conteneurs de plastiques souillés ont été saisis par la douane. Elle déclare vouloir les faire renvoyer dans leur pays d’origine, l’Espagne. Le trafic de déchets fait rage, stimule la corruption, exige une surveillance de chaque instant, financée par le public ou prise en charge par les acteurs associatifs. Mageswari Sangaralingam interroge : « Maintenant, la question qui se pose, c’est comment les autorités pourront-elles vérifier chaque conteneur ? »
Décharge informelle de Sumengko, août 2018. (Copyright : Aude Vidal)
Décharge informelle de Sumengko, août 2018. (Copyright : Aude Vidal)

La fin du trafic mondial des déchets ?

Beaucoup d’Occidentaux « croient dans le recyclage », à l’instar de cette dame de l’Oregon qui effectuait le tri de ses déchets en toute bonne conscience écologique. Aujourd’hui, l’Amérique garde une partie de ses déchets et les stocke en décharge. L’Union européenne s’inquiète, mais la crise globale des déchets plastiques a peu d’échos en France, où les ménages « recyclent » toujours leurs déchets en les mettant dans les poubelles de la bonne couleur. Avec le retrait de la Chine de cette industrie, c’est un « mythe » qui s’effondre, selon les mots de Greenpeace. Le recyclage n’est pas écologique s’il repose sur le transport de matières sur des dizaines de milliers de kilomètres. Et les procédés industriels verts sont incapables de résoudre les problèmes créés par cette même industrie. N’est-ce pas le moment enfin d’envisager une réduction drastique de la production de déchets ?
Par Aude Vidal

Pour aller plus loin

– Livia Albeck-Ripka, « 6 Things You’re Recycling Wrong« , 29 mai 2018, The New York Times.
– Livia Albeck-Ripka, « Your Recycling Gets Recycled, Right? Maybe, or Maybe Not« , 29 mai 2018, The New York Times.
« Discarded: Communities on the Front Line of the Global Plastic Crisis« , GAIA, avril 2019.
– Dominique Mosbergen, « She Wanted Her Town To Breathe Clean Air. She Got Death Threats Instead. How neighbors in a small town exposed the dirtiest secrets of our broken recycling system« , 27 mars 2019, HuffPost.
« The Recycling Myth : Malaysia and the Broken Global Recycling System« , Greenpeace South-East Asia, novembre 2018.

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A propos de l'auteur
Aude Vidal s'intéresse depuis 2014 aux conflits sociaux et environnementaux en Malaisie. Elle est diplômée en anthropologie et collabore au site Visionscarto.net ainsi qu'à CQFD, L'Âge de faire et Mediapart.