Economie
Expert - Agro en Chine

La Chine s’attaque aux pollutions d’origine agricole

La Chine a lancé un plan quinquennal pour rendre à nouveau utilisables 90% des terres agricoles polluées d'ici 2030. (Source : Asialink Business)
La Chine a lancé un plan quinquennal pour rendre à nouveau utilisables 90% des terres agricoles polluées d'ici 2030. (Source : Asialink Business)
C’est une prouesse indéniable. Jusqu’au milieu des années 2000, la Chine a réussi à nourrir la population la plus nombreuse au monde tout en réduisant la part des Chinois sous le seuil de pauvreté. Et cela sans peser sur les grands équilibres agricoles mondiaux. Mais le pays doit affronter de nouveaux défis : les Chinois ne mangent plus la même chose qu’avant, et les conséquences sont multiples. L’urbanisation comme la hausse du pouvoir d’achat des ménages ont fortement tiré la demande en produits alimentaires, notamment animaux (viandes, lait, œufs). Ce qui a entraîné à partir de 2003 une explosion des importations agricoles chinoises. Face à des ressources naturelles toujours plus réduites, la Chine pourra-t-elle satisfaire sa demande intérieure sans augmenter sa dépendance alimentaire ? Saura-t-elle maintenir une main-d’œuvre agricole suffisante et motivée alors que les salaires en ville sont beaucoup plus attractifs ? Plus crucial encore : jusqu’à quand la Chine soutiendra-t-elle un modèle agricole au potentiel productif qui atteint sa limite et à l’impact environnemental de plus en plus négatif ?

Problèmes environnementaux croissants

Le développement de l’agriculture chinoise est confronté à des contraintes hydriques toujours plus prégnantes. Les volumes disponibles sont faibles et se réduisent ; l’eau est géographiquement mal répartie entre le Nord et le Sud et sa qualité se dégrade progressivement. La proportion d’eaux souterraines dont l’utilisation pour les activités humaines est limitée par le niveau de pollution, a été évaluée à plus de 60 % en 2014 par les autorités chinoises. Plus de 4 millions d’hectares, soit 6 % des surfaces irriguées, dont les deux tiers dans le nord du pays, seraient irrigués avec de l’eau polluée, menant à de faibles récoltes et à une pollution des sols. Si l’industrie et les villes sont en cause, l’agriculture chinoise n’est pas seulement la victime. Elle contribue largement à ce phénomène avec l’usage des pesticides et des engrais, dont le pays est le premier consommateur au monde.
La Chine connaît aussi des problèmes de sols agricoles. Une partie importante est en effet dégradée par l’usage excessif des engrais et par les pollutions d’origine industrielle et urbaine. En 2013, les autorités avaient annoncé que 3,3 millions d’hectares, près de 3 % de la surface agricole, étaient trop pollués pour être cultivés. L’année suivante, un rapport officiel a révisé ces chiffres, estimant que 16 % du territoire et 19 % des terres cultivées dépassaient les seuils de pollution admis en Chine, notamment pour le cadmium, le nickel et l’arsenic.

Réorientation verte de la politique agricole

Conscient de ces impasses écologiques, le président Xi Jinping, arrivé au pouvoir en 2013, a initié une inflexion de la politique agricole afin de restaurer les capacités de production domestiques et assurer la sécurité alimentaire sur le long terme. L’appel à des récoltes record a disparu des discours officiels, qui insistent au contraire sur la nécessité de recourir – modérément – aux importations, nécessaires à l’équilibre offre-demande au niveau national.
Le XIIIème plan quinquennal chinois (2016-2020) a confirmé cette réorientation. Priorité à la protection des sols et à l’amélioration de la capacité de production, sous le signe d’une « gouvernance écologique » avec des technologies propres. Les ressources naturelles deviennent dans la politique chinoise une « réserve » de production qu’il faut entretenir. Les mesures prises pour limiter les pollutions environnementales deviennent plus contraignantes et sont à l’origine d’une stagnation, voire parfois d’une baisse de certaines productions agricoles.
Le plan de développement durable de l’agriculture ambitionne ainsi d’avoir étendu les techniques d’irrigation plus économes en eau, comme l’aspersion ou le goutte à goutte, à 75 % des surfaces irriguées en 2030 contre moins de 50 % aujourd’hui. Le volume d’eau consacré à l’irrigation, ont annoncé les autorités, devrait se stabiliser à partir de 2030, à un niveau supérieur de 10 % à celui de 2013. En outre, la croissance de l’épandage d’engrais et de pesticides, + 1,3 % par an en 2013, devra retomber à 1 % puis s’arrêter à partir de 2020. Enfin, il est prôné de mieux valoriser les résidus de culture et les déjections animales et de les substituer au maximum aux engrais artificiels. A ce plan pour l’agriculture durable s’en ajoutent deux autres destinés à lutter contre la pollution de l’eau et des sols. Leurs objectifs sont d’une part d’améliorer la qualité des sept principaux fleuves du pays d’ici à 2020 ainsi que d’améliorer en dix ans la qualité de plus de 90 % des eaux urbaines et, d’autre part, de rendre utilisables 90 % des terres agricoles polluées d’ici à 2020 et 95 % d’ici à 2030.

Montée en puissance des contraintes environnementales sur l’élevage

Le rapport de 2013 pointe une nouvelle source de pollution devenue prépondérante : les déjections animales. Elles seraient responsables de près de 60 % des rejets agricoles de phosphore et de près de 40 % de ceux d’azote. Les exploitations de grande taille sont montrées du doigt pour leur forte contribution à ce phénomène. Car l’élevage s’est fortement développé en Chine à partir de 1978 et surtout depuis une vingtaine d’années. Entre 1990 et 2016, le nombre de porcs engraissés a plus que doublé et la production de viande de volaille a été multipliée par 5. Si le cheptel bovin s’est globalement maintenu, les productions de viande et de lait se sont fortement intensifiées. Si les volumes de déjections ont progressé de pair avec la hausse de la production, leur gestion a par contre évolué très lentement, contribuant nettement à la dégradation de la qualité des eaux et des sols.
Une des mesures phares dans la lutte contre les pollutions d’origine animales consiste à délimiter des zones sans élevage qui englobent des périmètres habités et/ou comprenant des sources d’eau potable et/ou des zones environnementalement fragiles et/ou des zones touristiques. Si la création de ces zones date du début des années 2000, le plan d’action pour la prévention et le contrôle de la pollution des eaux publié en 2015 a fortement accéléré le processus de délimitation des zones en fixant une date butoir au 31 décembre 2017. A cette date, toute les zones respectant les critères retenus pour la délimitation devaient être définies et les exploitations s’y trouvant fermées ou déplacées hors de ces périmètres. Si toutes les productions animales sont visées par le texte, les exploitations porcines ont été les plus touchées. En décembre 2017, les zones interdites totalisaient au niveau national 630 000 km², soit une superficie supérieure à celle de la France continentale, et plus de 200 000 élevages avaient été fermés ou déplacés. Selon les autorités, ces fermetures auraient réduit le cheptel national porcin de 36 millions de têtes en 2016 et de 20 millions en 2017. Ainsi, la province du Guangdong aurait déjà perdu plus de 5 millions de porcs, la province du Jiangxi 3 millions, plus de 4700 élevages avaient été fermés dans la province du Hubei… De nombreux districts sont fiers d’annoncer que plus aucun cochon n’est élevé sur leur sol.
Des compensations ont été prévues pour dédommager les éleveurs et leur permettre soit de reconstruire un élevage dans les zones autorisées, soit de démarrer une nouvelle activité. Mais leur montant, laissé à l’appréciation des autorités locales, a largement varié d’une ville à une autre. Résultat : le versement de ces compensations est jugé trop lent par de nombreux éleveurs, et leur montant insuffisant pour couvrir les pertes subies. Car nombre d’entre eux n’ont été avertis que très peu de temps avant la fermeture administrative de leur exploitation, souvent seulement deux semaines. Bien souvent, ils ont dû vendre à perte leurs animaux et équipements. La destruction des élevages au bulldozer contribue également au traumatisme. Si certains souhaitent poursuivre dans l’élevage ailleurs, d’autres pensent à se reconvertir dans l’hôtellerie ou la restauration, et une partie s’inquiète compte tenu de leur manque d’expérience dans d’autres secteurs d’activité. Les anciens éleveurs sans source de revenus seraient nombreux.

L’élevage relocalisé dans le nord-est du pays

La délimitation de zones sans élevage est complétée par la volonté des autorités de procéder à une relocalisation de la production porcine au niveau national. L’objectif est de concentrer les exploitations porcines dans les zones les mieux adaptées, en prenant en compte leurs capacités environnementales et leur dotation en ressources naturelles. La déclinaison du XIIIème plan quinquennal dans le secteur porcin divise ainsi le pays en 4 zones, en fonction de leur rôle dans la production porcine.
La croissance de la production porcine n’est notamment plus possible dans la zone couvrant les entités administratives de Pékin, Tianjin, Shanghai, des provinces du Jiangsu, Zhejiang, Fujian, Anhui, Jiangxi, Hubei, Hunan et Guangdong. En causse : la densité de population, le nombre d’animaux élevés et la dégradation des ressources naturelles. Les éleveurs sont ainsi incités à créer de nouvelles exploitations dans la zone regroupant les 4 provinces du Nord-Est (Liaoning, Jilin, Heilongjiang et Mongolie Intérieure) ainsi que le Yunnan et le Guizhou dans le Sud-Ouest. Là, les capacités environnementales sont loin d’être arrivées à saturation.
L’objectif, rappelé dans le document n°1 de 2017, est donc de transférer une partie de la production porcine des provinces du sud du pays, saturées au niveau environnemental, vers celles du Nord, dont les caractéristiques environnementales leur permettent d’accueillir de nouveaux élevages. Ce mouvement a également l’avantage, aux yeux des gouvernants chinois, de rapprocher la production porcine des zones de culture des matières premières pour l’alimentation animale (maïs surtout) et donc de réduire les coûts de production.
De nombreuses grandes entreprises d’élevage ont ainsi décidé de se projeter dans le nord-est du pays. En 2016 et 2017, plus de 60 milliards de yuans (soit près de 7,5 milliards d’euros) auraient été investis dans la construction d’exploitations. D’ici la fin 2018, plus de 15 millions de porcs supplémentaires seront élevés dans la zone. Cette politique devrait renforcer la place des grandes entreprises d’élevage et réduire encore un peu plus la part des exploitations familiales.

Principe pollueur-payeur

Ces mesures visant à réduire les pollutions animales dans les zones fragiles sont complétées par une mesure générale, qui vise tous les secteurs d’activité, dont l’agriculture et les élevages : une taxe sur les pollutions environnementales. La « Taxe pour la protection de l’environnement », applicable depuis le 1er janvier dernier vise les pollutions de l’air, de l’eau et du sol.
Les exploitations animales font partie des sources de pollution visées par la loi, mais seules celles au-dessus d’une certaine taille (50 bovins, 500 porcs et 5 000 volatiles) devront s’acquitter de la taxe. Celle-ci prend en compte séparément la pollution de l’eau, de l’air et des sols, engendrée par les animaux. Ainsi pour chaque animal, l’éleveur devra s’acquitter, sur une base mensuelle, d’une taxe fixe pour les polluants aériens et liquides, dont le montant est décidé par chaque gouvernement local. Leur niveau peut varier d’un facteur 10 selon les zones géographiques (entre 12 et 14 yuans à Pékin et entre 1,2 et 1,4 dans la majorité des provinces). Un élevage de 500 porcs dans le Guangdong devra donc payer 2 300 yuans/mois (près de 300 euros/mois) pour ces deux seules taxes. S’ajoute la taxe sur les polluants solides (déjections solides) calculée en fonction de la production de déjections moyenne des animaux.
Bien évidemment, cette taxe a pour objectif de pousser les acteurs économiques, dont les élevages, à diminuer les pollutions engendrées par leur activité et à mettre en place des solutions de gestion des effluents. Ainsi sont déduits du calcul de la taxe les polluants solides stockés, recyclés ou traités. Le montant de la taxe peut être diminué si la concentration en polluants aériens et liquides est inférieure aux normes officielles. Dans le même temps, les autorités promeuvent le développement du biogaz en accordant des subventions à la construction d’installation, mais également en fonction des volumes traités.
Cette forte réorientation de la politique agricole chinoise suffira-t-elle à limiter les pollutions et à préserver les capacités de production du pays ? Comme souvent en Chine, les problèmes viennent de l’application des réglementations et non des textes officiels. Dans le cas des productions animales, les mesures environnementales ont été fermement mises en œuvre par les autorités locales sous la pression du gouvernement central, soucieux d’atteindre les objectifs fixés car conscient de l’urgence environnementale qui touche le pays. Il est intéressant de constater que, dans le cas du secteur porcin, les mesures préventives de protection de l’environnement, et non la dégradation des ressources naturelles, sont à l’origine d’une baisse de la production. Il reste à voir si la même diligence sera de mise pour les mesures touchant les cultures et si, au final, toutes ces actions permettront à la Chine de préserver sa capacité de production et de limiter sa dépendance alimentaire.

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A propos de l'auteur
Jean-Marc Chaumet est agroéconomiste à l'Institut de l'Elevage. Co-auteur du livre "La Chine au risque de la dépendance alimentaire" (Presses universitaires de Rennes, 2017), il est aussi rédacteur en chef de la lettre de veille Chine Abcis sur les produits agricoles chinois, en particulier les produits animaux.