Histoire
Hôtels mythiques d'Asie du Sud-Est

Hôtels mythiques d'Asie : la gloire du Raffles à Singapour

L'hôtel Raffles à Singapour. (Source : Wikimedia Commons)
L'hôtel Raffles à Singapour. (Source : Wikimedia Commons)
Monuments incontournables ou palaces surannés, l’Asie du Sud-Est ne se comprend pas tout à fait sans ses hôtels mythiques. Témoins d’un pan d’histoire coloniale, de sa splendeur et de sa décadence, ils furent parfois un carrefour d’espions durant la guerre froide. Jacques Bekaert nous emmène aujourd’hui à l’Hôtel Raffles à Singapour, fondé en 1887 par les frères Sarkis. Les deux Arméniens lui donnèrent le nom de Sir Thomas Stamford Raffles, considéré comme le père de Singapour.
Le parcours qui m’amena en Asie et au Raffles est sinon bizarre, du moins compliqué. En juillet 1974, je rentrai en hâte d’Athènes ou j’avais assisté à la chute des colonels fascisants, pour gagner Washington et commenter le départ de Richard Nixon. Parmi mes rencontres, une jeune journaliste de Singapour.
« – Si jamais tu viens à Singapour, voici mon adresse… »
En Australie, Gough Whitlam, un travailliste, gagna les élections de 1976, mettant fin a 25 années de règne conservateur. En l’espace de 100 jours, il bouleversa le paysage politique du pays, abolissant les lois qui fermaient le pays aux immigrants non blancs.
Lorsque la Lufthansa décida d’inviter une dizaine de journalistes européens, son représentant en Belgique demanda à l’Ambassade d’Australie. Qui inviter ? L’attaché de presse avec qui j’étais en contact suggéra mon nom. A l’époque, impossible de voler de Francfort à Sydney d’une seule traite. Escale brève à Changi et transit de trois jours à Singapour au retour. Je me souvins de la journaliste, lui écrivis un mot avec l’adresse de l’hôtel où nous logerions au retour.
Un mot d’elle m’attendait avec son numéro de téléphone. Une heure plus tard, dans sa petite voiture, je commençais l’exploration de l’île-État. Premier soir, diner dans un de ces car parks, aujourd’hui disparus pour des raisons d’hygiène. Au dessert, elle me proposa du durian. Ce fut le coup de foudre.
« – Les meilleurs viennent de Thaïlande.
– Alors il faudra que j’aille un jour en Thaïlande. »
Le lendemain, elle me proposa de dîner au Raffles. Nouveau coup de cœur.
Le Raffles ne naquit pas Raffles. D’abord une simple cabane au bord de la mer dans les années 1830, il fallu l’ambition des frères Sarkis et l’arrivée plus fréquente de voyageurs aisés dans la région pour que le Raffles devienne ce joyaux de l’île-État. L’hôtel fut le premier de la région à disposer de l’électricité. C’est un peu avant 1915 que Ngiam Tong Boon, barman originaire de Hainan, créa le fameux Singapore Sling. Le Raffles est du reste un monument classé depuis 1967.
Il y eut un moment difficile au moment de la grande dépression et en 1931, les frères Sarkis firent faillite. L’hôtel, lui, survécut. Seconde Guerre mondiale, invasion japonaise le 15 février 1942. Le personnel se hâta d’enterrer l’argenterie dans la cour aux Palmiers. Le Raffles devint « La Lumière du Sud » (Syonan Ryokan). Même si une légende veut qu’à l’annonce de la défaite de l’empire nippon, des centaines d’officiers se suicidèrent dans les salons de l’hôtel, il est vrai que dans Singapour, les « seppuku » rituels furent nombreux.
Dans un premier temps, le Raffles abrita des prisonniers anglais et hollandais libérés, aux bon soins de la Croix Rouge. Il parait que les Anglais, croyant que le Raffles était un hôtel japonais, en démolirent un partie du mobilier.
Le Raffles devint pour ma femme et moi un excellent prétexte pour aller à Singapour, après avoir convaincu les patrons du Bangkok Post ou du Monde que des élections, un entretien avec Lee Kuan Yew ou la prospérité nouvelle de l’île, y justifiaient ma présence.
Les chambres, souvent des suites énormes, étaient bon marché. Quel bonheur de dîner le soir, dans la fraîcheur du Palm Court, d’huîtres fraiches et de viandes tendres.
A l’époque ou le KGB tenta de me recruter, entre 1978 et 1984, je devins intéressant pour d’autres de même profession. Un service de renseignement d’Asie du Sud-Est me fit savoir qu’un certain « Monsieur André » souhaitait venir me parler. Rendez-vous au Raffles.
Monsieur André ressemblait à un petit commerçant de Chinatown. Mais ses questions avaient le tranchant et la précision d’un expert. Bien plus tard, je découvris que Monsieur Andre était le patron d’un des meilleurs et des plus puissants services de la région.
Un jour, le patron de l’hôtel, l’Italien Roberto Pregaz, qui avait tant fait pour rendre au Raffles sa gloire et ses qualités d’antan, m’annonça qu’hélas le Raffles allait bientôt fermer. c’était pour renaître quelques années plus tard version grand luxe, très cher. Comme quelques passionnés, je vécu le dernier soir. Certains membres du personnels pleuraient en distribuant gratuitement du vin et des hors d’œuvres.
Aujourd’hui, le Raffles est toujours la, hors de prix. Curieux, je m’y suis un jour promené, pour voir. Un gentleman me demanda poliment ce que je faisais là, et me suivit jusqu’au moment où je quittais une fois pour toutes ces couloirs rénovés, que j’avais si souvent parcourus, heureux.

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Jacques Bekaert (1940-2020) fut basé en Thaïlande pendant une quarantaine d'années. Il est né le 11 mai 1940 à Bruges (Belgique), où sa mère fuyait l’invasion nazie. Comme journaliste, il a collaboré au "Quotidien de Paris" (1974-1978), et une fois en Asie, au "Monde", au Far Eastern Service de la BBC, au "Jane Defense Journal". Il a écrit de 1980 a 1992 pour le "Bangkok Post" un article hebdomadaire sur le Cambodge et le Vietnam. Comme diplomate, il a servi au Cambodge et en Thaïlande. Ses travaux photographiques ont été exposés à New York, Hanoi, Phnom Penh, Bruxelles et à Bangkok où il réside. Compositeur, il a aussi pendant longtemps écrit pour le Bangkok Post une chronique hebdomadaire sur le vin, d'abord sous son nom, ensuite sous le nom de Château d'O. Il était l'auteur du roman "Le Vieux Marx", paru chez l'Harmattan en 2015, et d'un recueil de nouvelles, "Lieux de Passage", paru chez Edilivre en 2018. Ses mémoires, en anglais, ont été publiées en 2020 aux États-Unis sous le titre "A Wonderful World".